La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

22/11/2024 | FRANCE | N°22NT01248

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 22 novembre 2024, 22NT01248


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Urville-Nacqueville Littoral a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2019 par lequel le préfet de la Manche a approuvé le plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg, en tant qu'il concerne la zone littorale d'Urville-Nacqueville, ensemble la décision du 17 avril 2020 rejetant le recours gracieux formé contre cette décision.



Par un jugement n° 2001071 du 25 février 2022, le trib

unal administratif de Caen a rejeté sa requête.



Procédure devant la cour :



Par ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Urville-Nacqueville Littoral a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 décembre 2019 par lequel le préfet de la Manche a approuvé le plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg, en tant qu'il concerne la zone littorale d'Urville-Nacqueville, ensemble la décision du 17 avril 2020 rejetant le recours gracieux formé contre cette décision.

Par un jugement n° 2001071 du 25 février 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa requête.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 25 avril 2022, 3 novembre 2022, 20 février 2023, 8 novembre 2023 et 27 août 2024, l'association Urville-Nacqueville Littoral, représentée par la SCP Marlange-de la Burgade, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) de faire droit à ses conclusions présentées devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- l'arrêté contesté a été pris au terme d'une procédure d'association des collectivités territoriales et de leurs groupements concernés et d'une concertation avec le public menée de façon irrégulière ;

- il méconnaît les lignes directrices du guide méthodologique de rédaction des plans de prévention des risques littoraux de mai 2014 ;

- il est entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des risques naturels sur la zone littorale d'Urville-Nacqueville.

Par des mémoires en défense enregistrés les 22 septembre 2022 et 26 juillet 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens invoqués par l'association requérante ne sont pas fondés.

Les parties ont été invitées à présenter des observations sur la possibilité pour la cour de décider de repousser les effets d'une annulation contentieuse de cet arrêté au 1er juillet 2025, en application des principes dégagés par la décision du Conseil d'Etat n°s 255886, 255887, 255888, 255889, 255890, 255891, 255892, Association AC ! et autres du 11 mai 2004.

Des observations en réponse à ce courrier ont été présentées pour l'association Urville-Nacqueville Littoral les 27 juin 2024 et 17 juillet 2024.

Des observations en réponse à ce courrier ont été présentées pour la communauté d'agglomération du Cotentin le 28 juin 2024.

Des observations en réponse à ce courrier ont été présentées par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires le 28 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mas,

- et les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 30 décembre 2019, le préfet de la Manche a adopté le plan de prévention des risques naturels de la région cherbourgeoise, dont l'élaboration avait été prescrite par un arrêté de la même autorité du 21 décembre 2012. L'association Urville-Nacqueville Littoral a demandé au tribunal administratif de Caen l'annulation de l'arrêté préfectoral du 30 décembre 2019, en tant qu'il concerne la zone littorale d'Urville-Nacqueville, ainsi que de la décision du 17 avril 2020 par laquelle le préfet de la Manche a rejeté le recours gracieux formé contre cet arrêté. Elle relève appel du jugement du 25 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 dans sa partie applicable au secteur d'Urville-Nacqueville :

2. L'article L. 562-1 du code de l'environnement dispose : " I.- L'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles tels que les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les incendies de forêt, les séismes, les éruptions volcaniques, les tempêtes ou les cyclones. / II.- Ces plans ont pour objet, en tant que de besoin : / 1° De délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de la nature et de l'intensité du risque encouru, d'y interdire tout type de construction, d'ouvrage, d'aménagement ou d'exploitation agricole, forestière, artisanale, commerciale ou industrielle, notamment afin de ne pas aggraver le risque pour les vies humaines ou, dans le cas où des constructions, ouvrages, aménagements ou exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles, pourraient y être autorisés, prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités ; / 2° De délimiter les zones qui ne sont pas directement exposées aux risques mais où des constructions, des ouvrages, des aménagements ou des exploitations agricoles, forestières, artisanales, commerciales ou industrielles pourraient aggraver des risques ou en provoquer de nouveaux et y prévoir des mesures d'interdiction ou des prescriptions telles que prévues au 1° (...) ".

3. En premier lieu, s'agissant du risque d'érosion marine, le plan de prévention des risques naturels prévisibles litigieux a découpé le secteur d'Urville-Nacqueville en trois tronçons homogènes, les tronçons 1 Ouest et 1 Est qui correspond à des tronçons de plage et un tronçon 1 Centre qui concerne le front de mer urbanisé d'Urville-Nacqueville.

4. Il ressort des pièces du dossier que l'érosion de long terme retenue pour le tronçon 1 Est ne résulte pas d'une analyse des caractéristiques propres de ce tronçon, mais d'une extrapolation de la valeur retenue pour le tronçon 1 Ouest, l'ensemble du secteur d'Urville-Nacqueville ayant été regardé comme constituant un secteur homogène lors de l'élaboration du plan. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que si l'érosion à long terme de 0,8 mètre par an retenue pour le tronçon 1 Ouest résulte de mesures effectuées par l'université de Caen en un point de mesure sur ce tronçon entre 1996 et 2011, les mêmes données de l'université de Caen attestent de ce que le trait de côte n'a reculé que de 0,04 mètre par an en un point de mesure situé sur le tronçon 1 Est entre 1996 et 2011 et a progressé d'un mètre entre 2011 et 2019. La comparaison de différentes cartes, réalisée par un expert en génie côtier à la demande de l'association Urville-Nacqueville Littoral et non critiquée par l'administration, ne fait apparaître aucun recul significatif du trait de côte sur ce tronçon 1 Est entre 1947 et 2017. Le bureau d'études DHI, mandaté par la communauté d'agglomération du Cotentin, a également indiqué qu'aucun élément ne permettait de confirmer le taux de recul moyen prévu sur le secteur 1 Est, le recul effectivement observé sur cette partie du tronçon étant dix fois inférieure. Si le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires soutient que cet état de fait, qui résulte notamment du transit est-ouest de sédiments arrachés au secteur 1 Ouest, relève d'un équilibre précaire, il n'apporte aucun élément justifiant de ce que cette tendance est vouée à s'inverser à moyen ou long terme. Dans ces conditions, l'estimation de l'érosion à long terme à 0,8 mètre par an retenue par le plan de prévention des risques naturels litigieux pour le tronçon 1 Est est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

5. En second lieu, le risque de submersion marine a été évalué en tenant compte des conditions de houle au rivage, des débits franchissants et du risque de brèche dans les ouvrages protégeant des zones basses en arrière du littoral.

6. D'une part, si une brèche de 100 mètres est identifiée sur le secteur d'Urville-Nacqueville, le plan de prévention des risques naturels prévisibles litigieux n'en précise pas exactement la localisation et l'ampleur ni ne justifie, dans son principe et son étendue, l'hypothèse de brèche retenue. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment de rapports rédigés par un expert en génie côtier à la demande de l'association Urville-Nacqueville Littoral, non précisément contesté par l'administration en défense, que la houle au large a été estimée à grande distance des côtes puis supposée déferlant sur le rivage du territoire couvert par le plan litigieux, sans tenir compte de la protection offerte par le cap de La Hague, qui renvoie une grande partie de la houle au large vers les côtes anglaises et la Manche orientale. En outre, cette houle au large a été estimée à partir de données issues de la base ANEMOC qui, contrairement aux données disponibles de la base HOMERE, ne tient pas compte des marées dans la propagation de la houle. Le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne saurait utilement se prévaloir, pour justifier le recours aux données issues de la base ANEMOC, de la précision des données issues de la base ANEMOC-2, laquelle constitue une base de données distincte, non mise en œuvre lors de l'élaboration du plan de prévention des risques littoraux litigieux. En outre, il ressort des pièces du dossier que le niveau atteint par les vagues en cas d'événement tempétueux de référence, dit " set-up ", a été déterminé à partir de la houle au large ainsi estimée et non de la houle au rivage. Il résulte à cet égard d'une étude réalisée à partir d'un point de mesure de la houle à Cherbourg que la base de données ANEMOC surestime la houle, dans une proportion d'autant plus grande que la houle est forte. Contrairement à ce que soutient l'administration, les résultats de son modèle ne peuvent être validés au regard des données issues de la base HOMERE pour une tempête de 1990, dès lors que cette base de données ne traite pas de données antérieures à l'année 1994 pour la Manche. Enfin, l'estimation à 25 mètres de la bande de recul pour se prémunir du choc mécanique des vagues, dont il peut résulter des paquets de mer franchissant les obstacles rencontrés par la houle, n'apparaît pas justifiée sur l'ensemble du secteur d'Urville-Nacqueville, compte tenu de l'hétérogénéité que présente la côte dans ce secteur, qui est constitué de plages où il ne peut y avoir de choc mécanique des vagues et de falaises rendant impossible le phénomène de franchissement. Au regard de l'ensemble de ces éléments, et nonobstant la circonstance que l'estimation d'élévation du niveau des eaux en raison du réchauffement climatique pourrait s'avérer insuffisante, le risque de submersion marine estimé par le plan de prévention des risques naturels litigieux sur les trois tronçons 1 Ouest, 1 Centre et 1 Est est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni les autres moyens invoqués, que l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 portant approbation du plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg est entaché d'illégalité en tant que son règlement a tiré les conséquences réglementaires des aléas d'érosion et de submersion marines définis pour les tronçons 1 Ouest, 1 Centre et 1 Est du secteur d'Urville-Nacqueville.

En ce qui concerne les conséquences de l'illégalité de l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 dans sa partie applicable au secteur d'Urville-Nacqueville :

8. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur, que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause, de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation, ou, lorsqu'il a décidé de surseoir à statuer sur cette question, dans sa décision relative aux effets de cette annulation, que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de sa décision prononçant l'annulation contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il détermine.

9. Alors qu'il ne résulte pas de tout ce qui précède qu'il n'existe aucun risque d'érosion et de submersion marines dans le secteur d'Urville-Nacqueville, l'annulation de l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 portant approbation du plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg avec effet rétroactif aurait pour effet de supprimer l'acte réglementaire définissant les mesures susceptibles de parer à ces risques, s'agissant tant des nouvelles constructions sur des terrains exposés à de tels risques que des constructions existantes. Il existe, dès lors, un intérêt général au maintien temporaire de ses effets, afin de permettre à l'administration d'adopter de nouvelles dispositions pour le secteur d'Urville-Nacqueville. Par ailleurs, le report dans le temps des effets de l'annulation contentieuse de cet arrêté n'emporte pas d'atteinte au droit au recours de l'association Urville-Nacqueville Littoral. Dans ces conditions, et sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du présent arrêt contre les actes pris sur le fondement du plan de prévention des risques naturels prévisibles, il y a lieu de reporter les effets de l'annulation de ce plan au 22 novembre 2026.

10. Il résulte de tout ce qui précède que l'association Urville-Nacqueville Littoral est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation, à compter du 22 novembre 2026, de l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 portant approbation du plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg, ainsi que de la décision du 17 avril 2020 portant rejet de son recours gracieux contre cet arrêté, en tant que le règlement de ce plan a tiré les conséquences réglementaires des aléas d'érosion et de submersion marines définis pour les tronçons 1 Ouest, 1 Centre et 1 Est du secteur d'Urville-Nacqueville.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'association Urville-Nacqueville Littoral d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 25 février 2022 est annulé.

Article 2 : Sous réserve des actions contentieuses engagées à la date du présent arrêt contre les actes pris sur leur fondement, les dispositions du règlement du plan de prévention des risques naturels de la région de Cherbourg approuvé par l'arrêté du préfet de la Manche du 30 décembre 2019 sont annulées au 22 novembre 2026, en tant qu'elles ont tiré les conséquences réglementaires des aléas d'érosion et de submersion marines définis pour les tronçons 1 Ouest, 1 Centre et 1 Est du secteur d'Urville-Nacqueville.

Article 3 : La décision du préfet de la Manche du 17 avril 2020 rejetant le recours gracieux de l'association Urville-Nacqueville Littoral est annulée.

Article 4 : L'Etat versera à l'association Urville-Nacqueville Littoral une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Urville-Nacqueville Littoral et à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de la Manche et à la communauté d'agglomération du Cotentin.

Délibéré après l'audience du 5 novembre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Montes-Derouet, présidente,

- M. Dias, premier conseiller,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 novembre 2024.

Le rapporteur

B. MasLa présidente,

I. MONTES-DEROUET

La greffière

M. A...

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 22NT01248


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01248
Date de la décision : 22/11/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Benoît MAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : SCP MARLANGE-DE LA BURGADE

Origine de la décision
Date de l'import : 24/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-11-22;22nt01248 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award