Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SA SNCF Réseau a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune de Couville et l'Etat (préfet de la Manche) à lui verser la somme de 1 111 522,43 euros en remboursement des travaux qu'elle a réalisés à proximité de l'aqueduc de Couville.
Par un jugement n° 2101648 du 24 novembre 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 26 janvier, 23 octobre et 7 novembre 2024 (ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué), la SNCF Réseau, représentée par Me Symchowicz-Weissberg, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 24 novembre 2023 ;
2°) de condamner solidairement la commune de Couville et l'Etat à lui verser la somme de 1 111 522,43 euros assortie des intérêts et de leur capitalisation à compter de sa réclamation préalable ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Couville et de l'Etat le versement de la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- l'inaction de la commune, propriétaire de la parcelle cadastrée ZB 139 riveraine du ruisseau, est constitutive d'une faute de nature à engager sa responsabilité ; la commune était en effet tenue d'assurer l'entretien et de procéder aux travaux permettant l'écoulement des eaux ; à tout le moins, elle devait se substituer aux propriétaires défaillants ;
- la buse métallique construite dans le prolongement de l'aqueduc ferroviaire ne lui appartient pas et ne fait pas partie du domaine public ferroviaire ; il n'est pas prévu que les ouvrages adossés ou réalisés dans le prolongement des biens apportés en pleine propriété à Réseau Ferré de France soient également transférés dans la propriété de SNCF Réseau ; rien ne permet d'affirmer que la buse métallique et le remblai militaire présenteraient une utilité directe pour l'aqueduc, notamment pour sa solidité ou son étanchéité, et constitueraient des accessoires du domaine public ferroviaire ;
- le préfet de la Manche et le maire de Couville ont méconnu leurs obligations prévues notamment aux articles L. 211-7, L. 215-7 et L. 215-12 du code de l'environnement au titre de leurs pouvoirs de police des cours d'eau ;
- les frais qu'elle a engagés s'élèvent à 1 111 522,43 euros.
Par des mémoires, enregistrés les 10 juillet et 12 novembre 2024, la commune de Couville, représentée par Me Gorand, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SNCF Réseau au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SNCF Réseau ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés les 25 octobre et 12 novembre 2024, la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
- A titre principal, la SNCF Réseau étant propriétaire de la butte, sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée ; la buse, encastrée dans l'aqueduc, concourt à l'utilisation de la voie ferrée ; SNCF Réseau avait l'obligation d'entretenir cet ouvrage ; aucune faute ne peut être reprochée à l'autorité de police, ni aucun lien de causalité constaté ;
- A titre subsidiaire, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée même s'il n'est pas retenu que la SNCF Réseau n'est pas propriétaire de la buse et aucun lien de causalité ne peut être établi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 97-135 du 13 février 1997 ;
- le décret n°97-445 du 5 mai 1997 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
- les observations de Me Scanvic représentant la société SNCF Réseau et de Me Gutton, représentant la commune de Couville.
Considérant ce qui suit :
1. Un aqueduc construit sous la voie de chemin de fer reliant Paris à Cherbourg permet le franchissement du ruisseau de Trotte-Bœuf, qui constitue un cours d'eau naturel non navigable. L'aqueduc situé sur le territoire de la commune de Couville fait partie du domaine public ferroviaire, lequel est désormais géré par la société anonyme SNCF Réseau. Lors de la seconde Guerre Mondiale, un remblai militaire a été déposé sur les parcelles jouxtant l'aqueduc, lesquelles appartiennent désormais à la commune de Couville et à des particuliers. Une buse métallique prolongeant l'aqueduc a été installée sous ce remblai. En 2010, le gestionnaire des réseaux ferrés, Réseau Ferré de France (RFF), a constaté la dégradation de cette buse métallique et en a alerté les pouvoirs publics. Par un arrêté du 28 février 2018, le préfet de la Manche a autorisé la SNCF, qui s'est substituée à RFF, à pénétrer et à occuper temporairement les parcelles privées pour réaliser les travaux, qui se sont déroulés du 14 novembre 2017 au 12 novembre 2018. Le 14 avril 2021, la société anonyme SNCF Réseau a adressé une réclamation préalable au préfet de la Manche et au maire de Couville afin qu'ils lui remboursent le coût des travaux, qui se sont élevés à 1 111 522,43 euros. La SA SNCF Réseau relève appel du jugement du 24 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".
3. Le tribunal administratif de Caen, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments présentés par la société SNCF Réseau, a répondu avec une précision suffisante, aux points 2 à 6 du jugement attaqué, aux moyens soulevés en première instance tirés de ce que la commune de Couville aurait commis une faute engageant sa responsabilité en s'abstenant d'entretenir le cours d'eau dont elle serait propriétaire et de ce que l'Etat et le maire de cette commune auraient commis une faute engageant leur responsabilité en s'abstenant de prendre des mesures relevant de la police de l'eau. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'irrégularité tenant à l'insuffisance de motivation du jugement attaqué manque en fait et ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne l'entretien de la buse métallique :
4. Aux termes de l'article 5 de la loi du 13 février 1997 portant création de l'établissement public " Réseau ferré de France " en vue du renouveau du transport ferroviaire : " Les biens constitutifs de l'infrastructure et les immeubles non affectés à l'exploitation des services de transport appartenant à l'Etat et gérés par la Société nationale des chemins de fer français sont, à la date du 1er janvier 1997, apportés en pleine propriété à Réseau ferré de France. Les biens constitutifs de l'infrastructure comprennent les voies, y compris les appareillages fixes associés, les ouvrages d'art et les passages à niveau, les quais à voyageurs et à marchandises, les triages et les chantiers de transport combiné, les installations de signalisation, de sécurité, de traction électrique et de télécommunications liées aux infrastructures, les bâtiments affectés au fonctionnement et à l'entretien des infrastructures (...) ". Les aqueducs font parties des actifs transférés à Réseau ferré de France (RFF) ainsi que le prévoit l'annexe au décret du 5 mai 1997 portant constitution du patrimoine initial de l'établissement public Réseau ferré de France. Il n'est d'ailleurs pas contesté que la partie maçonnée de l'aqueduc construite sous la voie ferrée reliant Paris à Cherbourg fait partie du domaine public ferroviaire.
5. En outre, si aux termes de l'article L. 2111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve de dispositions législatives spéciales, le domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 est constitué des biens lui appartenant qui sont soit affectés à l'usage direct du public, soit affectés à un service public pourvu qu'en ce cas ils fassent l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public ", l'article L. 2111-2 du même code précise que " Font également partie du domaine public les biens des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 qui, concourant à l'utilisation d'un bien appartenant au domaine public, en constituent un accessoire indissociable. ".
6. Enfin, l'article L. 215-14 du code de l'environnement dispose que " Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives (...). ".
7. La SNCF Réseau soutient que la buse métallique installée sous le remblai militaire ne fait pas partie du domaine public ferroviaire. Il résulte toutefois de l'instruction et notamment du procès-verbal d'huissier du 16 février 2016 dont elle se prévaut, ainsi que des photos prises après la réalisation des travaux litigieux, que les deux parties de l'ouvrage ne sont pas séparables et permettent un écoulement des eaux du ruisseau au-dessous de la voie ferrée, alors même qu'avant l'installation du remblai militaire l'aqueduc fonctionnait sans cette buse. La SNCF a d'ailleurs souligné la nécessité des travaux qu'elle a engagés pour éviter tout débordement du ruisseau susceptible d'entraîner la fermeture du trafic ferroviaire sur la voie de chemin de fer. Dans ces conditions, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, la buse métallique doit être regardée comme un accessoire indissociable de l'aqueduc. Elle fait ainsi partie du domaine public ferroviaire. A ce titre, il incombait à la SNCF de pourvoir, seule, aux travaux d'entretien ou de remplacement de cette partie de l'ouvrage.
En ce qui concerne la carence des pouvoirs publics :
8. Aux termes de l'article L. 211-5 du code de l'environnement : " Le préfet et le maire intéressés doivent être informés, dans les meilleurs délais par toute personne qui en a connaissance, de tout incident ou accident présentant un danger pour la sécurité civile, la qualité, la circulation ou la conservation des eaux. / La personne à l'origine de l'incident ou de l'accident et l'exploitant ou, s'il n'existe pas d'exploitant, le propriétaire sont tenus, dès qu'ils en ont connaissance, de prendre ou faire prendre toutes les mesures possibles pour mettre fin à la cause de danger ou d'atteinte au milieu aquatique, évaluer les conséquences de l'incident ou de l'accident et y remédier. / Le préfet peut prescrire aux personnes mentionnées ci-dessus les mesures à prendre pour mettre fin au dommage constaté ou en circonscrire la gravité et, notamment, les analyses à effectuer. / En cas de carence, et s'il y a un risque de pollution ou de destruction du milieu naturel, ou encore pour la santé publique et l'alimentation en eau potable, le préfet peut prendre ou faire exécuter les mesures nécessaires aux frais et risques des personnes responsables. / Le préfet et le maire intéressés informent les populations par tous les moyens appropriés des circonstances de l'incident ou de l'accident, de ses effets prévisibles et des mesures prises pour y remédier (...). Sans préjudice de l'indemnisation des autres dommages subis, les personnes morales de droit public intervenues matériellement ou financièrement ont droit au remboursement, par la ou les personnes à qui incombe la responsabilité de l'incident ou de l'accident, des frais exposés par elles. A ce titre, elles peuvent se constituer partie civile devant les juridictions pénales saisies de poursuites consécutives à l'incident ou à l'accident. ". Et aux termes de l'article L. 215-12 du même code : " Les maires peuvent, sous l'autorité des préfets, prendre toutes les mesures nécessaires pour la police des cours d'eau ". Enfin, l'article L. 215-16 de ce code dispose que : " Si le propriétaire ne s'acquitte pas de l'obligation d'entretien régulier qui lui est faite par l'article L. 215-14, la commune, le groupement de communes ou le syndicat compétent, après une mise en demeure restée infructueuse à l'issue d'un délai déterminé dans laquelle sont rappelées les dispositions de l'article L. 435-5, peut y pourvoir d'office à la charge de l'intéressé ".
9. En vertu de ces dispositions, la police spéciale de l'eau a été attribuée au préfet. S'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques, le maire ne saurait s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale qu'en cas de péril imminent.
10. Si la SNCF recherche tout d'abord la responsabilité de l'Etat en raison de la carence du préfet de la Manche dans l'exercice de ses pouvoirs de police spéciale sur l'eau, il résulte de l'instruction que par un arrêté du 28 février 2018, il a autorisé les agents de cette entreprise ou ses prestataires à pénétrer et à occuper temporairement les parcelles privées situées aux abords de l'aqueduc et de la buse à remplacer afin d'effectuer lesdits travaux. De plus, il n'est pas établi que la détérioration de la buse présentait un danger imminent, lequel aurait justifié une autorisation plus rapide du préfet ou une quelconque autre mesure de conservation qui aurait dû être prise par le maire afin de faire cesser un péril imminent. Par suite, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que la SNCF Réseau n'était pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat et de la commune de Couville pour inaction dans l'exercice de leurs pouvoirs de police.
11. Il résulte de tout ce qui précède, que la SNCF Réseau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat et de la commune de Couville, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, le versement à la SNCF Réseau de la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la SA SNCF Réseau le versement à la commune de Couville d'une somme de 1 500 euros au titre des mêmes frais.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SA SNCF Réseau est rejetée.
Article 2 : La SA SNCF Réseau versera à la commune de Couville une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SA SNCF Réseau, au ministre de l'intérieur, à la commune de Couville et au ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques (transports).
Une copie en sera adressée pour information au préfet de la Manche.
Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 janvier 2025.
La rapporteure,
V. GELARDLa présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne au ministre délégué en charge des transports en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00208