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31/01/2025 | FRANCE | N°23NT03207

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 31 janvier 2025, 23NT03207


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le refus tacite opposé par l'administration à sa demande d'indemnisation et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 050 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation de des préjudices qu'il a subis du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 2102623 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de

M. A....



Procédure devant la cour :



Par une requête et un mémoire enregistrés l...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler le refus tacite opposé par l'administration à sa demande d'indemnisation et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 9 050 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, en réparation de des préjudices qu'il a subis du fait de ses conditions de détention.

Par un jugement n° 2102623 du 13 juin 2023, le tribunal administratif de Caen a rejeté la requête de M. A....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 8 novembre 2023 et le 19 novembre 2024,

M. B... A..., représenté en dernier lieu par Me Salkazanov, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 13 juin 2023 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 19 050 euros en réparation de ses préjudices, avec intérêts et capitalisation ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 600 euros TTC au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il a subi un préjudice moral lié à l'atteinte à la dignité humaine résultant de ses conditions de détention ;

- il a été confronté à des conditions de détention inhumaines et dégradantes au centre de détention d'Argentan du 6 août 2019 au 20 janvier 2020 ; la présence de caillebotis aux fenêtres des bâtiments E et C où il a été placé l'a privé de lumière naturelle ; le configuration du quartier disciplinaire (salle collective de douches et cours de promenade) répond exclusivement à une logique sécuritaire et conduit à la méconnaissance des droits fondamentaux de ceux qui y sont placés ; la température est insuffisante dans les cellules, comme l'a constaté le contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ; les conditions de détention aux quartiers disciplinaire et d'isolement sont indignes et le CGLPL a établi un rapport de visite de l'établissement, dans lequel il relève une configuration du quartier disciplinaire méconnaissant les droits fondamentaux ; son état de santé, qui l'oblige à avoir une alimentation régulière et équilibrée, à boire deux à trois litres d'eau par jour et à disposer d'une plaque chauffante est incompatible avec son placement dans ces quartiers ; il n'a pas pu disposer de la plaque chauffante qui lui était pourtant médicalement prescrite ;

- il a été victime d'une agression les 6 et 7 janvier 2020 de la part de surveillants du centre de détention d'Argentan, pour laquelle il a déposé plainte et produit des pièces ;

- il a été porté atteinte, au centre de détention d'Argentan où il n'a bénéficié que d'une seule visite, à ses droits au maintien des liens familiaux et à la réinsertion sociale ; onze transfèrements en sept ans et demi l'ont éloigné de sa famille installée en Normandie ; son placement en quartier disciplinaire l'a empêché de parler au téléphone à son père avant que

celui-ci ne décède le 11 octobre 2019 ou de contacter sa famille par la suite ; il lui a été refusé l'accès au travail comme auxiliaire à la buanderie ou aux cuisines malgré son indigence et son expérience professionnelle dans l'hôtellerie-restauration ;

- il a connu onze transfèrements en sept ans et demi, qui l'ont éloigné de sa famille installée en Normandie, qui ont eu des effets dévastateurs en matière de souffrance psychologique comme de réinsertion et de maintien des liens familiaux, et qui n'étaient pas justifiés par des motifs d'ordre et de sécurité ; certains de ces transfèrements n'ont pas été précédés des garanties procédurales prévues notamment aux articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il a connu depuis le début de son incarcération plus de 30 mois d'isolement et 15 mois de quartier disciplinaire ;

- ces conditions de détention dégradantes constituent une faute ouvrant droit à indemnisation au titre du préjudice moral, évalué à 5 000 euros, et, concernant sa détention dans des conditions indignes à Argentan, des troubles dans ses conditions d'existence, évalués à 4 050 euros.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juin 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- il convient de tenir compte non seulement des conditions de détention elles-mêmes, mais également des contraintes pesant sur le service public pénitentiaire et du soin qu'apportent les administrations compétentes à prendre des mesures pour améliorer ces conditions de détention ainsi que de la vulnérabilité de la personne détenue ;

- le requérant a toujours été placé seul en cellule et a bénéficié d'un espace individuel supérieur à 3 m2 au cours de sa détention à Argentan ;

- le placement en quartier disciplinaire se justifiait par le comportement du requérant ; les cellules disciplinaires, qui mesurent 9,5 m2, sont équipées d'une fenêtre oscillo-battante électrique et de caillebotis ; le quartier disciplinaire compte deux cours de promenade d'une superficie de 46 m2 ;

- le requérant, qui ne fait que reprendre les observations du contrôleur général des lieux de privation de liberté, n'établit pas avoir subi une température inférieure au minimum légal dans les différentes cellules qu'il a occupées ;

- s'agissant des violences qu'il prétend avoir subies, le requérant n'apporte pas d'éléments sur les suites données à la plainte qu'il aurait déposée, au demeurant non communiquée ;

- il n'établit pas avoir demandé, par l'intermédiaire de la cantine, l'achat de plaques autorisées, dont la puissance est limitée à 250 watts, en remplacement de sa plaque chauffante défectueuse ; il n'établit pas avoir été privé d'une alimentation équilibrée, laquelle est distribuée trois fois par jour, ni que son état de santé se serait détérioré en l'absence d'une telle plaque ;

- le requérant a bénéficié de trois visites au cours de sa détention à Argentan, sur une période de six mois ;

- s'il a été plusieurs fois transféré, c'est pour des raisons d'ordre et de sécurité, en raison de son comportement ; en l'absence d'évolution positive de son comportement, sa demande de transfert au centre pénitentiaire du Havre a été rejetée et c'est aussi en raison de son comportement qu'il a été transféré au centre de détention de Châteaudun ;

- ses demandes de travail pénitentiaire ont été rejetées pour les mêmes motifs et l'objectif de réinsertion sociale des détenus qu'il invoque n'est pas au nombre des droits et libertés fondamentaux des détenus.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

8 septembre 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code pénitentiaire ;

- le code de procédure pénale ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Vergne,

- et les conclusions de M. Catroux.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., écroué depuis le 6 décembre 2013, relève appel du jugement du 13 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis en raison de ses conditions de détention au centre pénitentiaire d'Argentan (Orne) du 6 août 2019 au 20 janvier 2020, et des nombreux transfèrements auxquels il a été soumis depuis le début de son incarcération.

2. Aux termes de l'article R. 811-1 du code de justice administrative : " Toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif ou qui y a été régulièrement appelée, alors même qu'elle n'aurait produit aucune défense, peut interjeter appel contre toute décision juridictionnelle rendue dans cette instance. Toutefois, le tribunal administratif statue en premier et dernier ressort : (...) 8° Sauf en matière de contrat de la commande publique sur toute action indemnitaire ne relevant pas des dispositions précédentes, lorsque le montant des indemnités demandées n'excède pas le montant déterminé par les articles R. 222-14 et R. 222-15 ; (...) Par dérogation aux dispositions qui précèdent, en cas de connexité avec un litige susceptible d'appel, les décisions portant sur les actions mentionnées au 8° peuvent elles-mêmes faire l'objet d'un appel (...) ". Aux termes de l'article R. 222-14 du même code : " Les dispositions du 10° de l'article précédent sont applicables aux demandes dont le montant n'excède pas 10 000 euros. " et aux termes de l'article R. 222-15 de ce code : " Ce montant est déterminé par la valeur totale des sommes demandées dans la requête introductive d'instance. Les demandes d'intérêts et celles qui sont présentées en application des dispositions de l'article L. 761-1 sont sans effet sur la détermination de ce montant. Le magistrat n'est compétent pour statuer en application du 7° de l'article R. 222-13 que si aucune demande accessoire, incidente ou reconventionnelle n'est supérieure au taux de sa compétence. (...) ".

3. Les litiges relatifs à des indemnités dont le montant demandé n'excède pas la somme de 10 000 euros relèvent de la compétence en premier et dernier ressort des tribunaux administratifs en application des dispositions précitées du 8° de l'article R. 811-1 du code de justice administrative. Il ressort des pièces du dossier de première instance que M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 9 050 euros. Dès lors que la demande d'indemnisation présentée par M. A... en première instance ne dépasse pas le seuil de 10 000 euros, le jugement n° 2102623 du tribunal administratif de Caen est insusceptible d'appel. Sont à cet égard sans incidence les circonstances que, d'une part,

M. A... a aussi demandé devant le tribunal administratif l'annulation de la décision rejetant implicitement sa réclamation indemnitaire préalable, laquelle n'a pour objet et pour effet que de lier le contentieux indemnitaire, et, d'autre part, que les prétentions de ce justiciable aient été portées en appel à un montant de 19 050 euros supérieur au seuil de 10 000 euros mentionné ci-dessus. De même, le fait que M. A... ait présenté devant différents tribunaux administratifs des requêtes indemnitaires tendant à l'indemnisation, au-delà de 10 000 euros, de ses conditions de détention ou des transfèrements, selon lui abusifs, dont il a fait l'objet entre différents lieux de détention depuis le début de son incarcération, ne rend pas le présent litige connexe à des litiges susceptibles d'appel. La requête présentée par M. A... contre le jugement du tribunal administratif de Rennes du 13 juin 2023 a, par suite, le caractère d'un pourvoi en cassation qu'il y a lieu de transmettre au Conseil d'Etat.

D E C I D E :

Article 1er : Le dossier de la requête de M. A... est transmis au Conseil d'Etat.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice et au président de la section du contentieux du Conseil d'Etat.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

Le président,

G.-V. VERGNE

L'assesseure la plus ancienne,

I. MARION

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT03207


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT03207
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : DAVID

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;23nt03207 ?
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