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31/01/2025 | FRANCE | N°24NT02192

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 31 janvier 2025, 24NT02192


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français, sans lui accorder de délai de départ volontaire, lui a interdit le retour sur ce territoire pendant une durée d'un an et a fixé le pays de renvoi, d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le même préfet a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, et d'enjoin

dre à cette autorité de réexaminer sa situation dans un délai de trois jours à compter de la no...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français, sans lui accorder de délai de départ volontaire, lui a interdit le retour sur ce territoire pendant une durée d'un an et a fixé le pays de renvoi, d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le même préfet a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours, et d'enjoindre à cette autorité de réexaminer sa situation dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement et sous astreinte de 100 euros par jour de retard

Par un jugement n° 2401396 du 21 mars 2024, le tribunal administratif de Rennes a rejeté la demande de Mme B....

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juillet 2024 Mme A... B..., représentée par Me Gourlaouen, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 21 mars 2024 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 mars 2024 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine l'a obligée à quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, lui a interdit le retour sur ce territoire pendant une durée d'un an et a fixé le pays de renvoi ;

3°) d'annuler l'arrêté du même jour par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours ;

4°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de réexaminer sa situation dans un délai de trois jours à compter de la notification de l'arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine de procéder à l'effacement de son signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen dans un délai de trois jours à compter de la notification du jugement ;

6°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 1 500 euros à Me Gourlaouen sur le fondement des dispositions des article 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français sans délai :

- la décision portant obligation de quitter le territoire est entachée d'un vice de procédure, n'est pas suffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation, exigences renforcées par la nouvelle rédaction de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle ne fait pas état de son activité professionnelle et de la scolarisation de sa fille, ne vise pas l'article L. 613-1 mentionné ci-dessus ni n'y fait référence, n'indique pas qu'elle ne peut pas obtenir de titre de séjour alors qu'elle peut prétendre à la délivrance d'un titre sur les fondements des articles L. 423-23, L. 435-1 et L. 425-9 du code applicable ;

- cette décision est entachée d'une erreur de droit, les dispositions du 6° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour n'étant pas applicables à sa situation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

S'agissant de la décision fixant le pays de renvoi :

- le préfet n'a pas examiné les risques qu'elle court en cas de retour en Géorgie mais s'est cru lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) :

- cette décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

S'agissant de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

- cette décision n'est pas suffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen complet de sa situation ;

- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;

- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant ;

S'agissant de l'arrêté d'assignation à résidence :

- il doit être annulé par voie de conséquence de l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français ; elle excipe de l'illégalité de cette dernière décision et invoque une méconnaissance du troisième alinéa de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La procédure a été transmise au préfet d'Ille-et-Vilaine qui n'a pas produit d'observations.

Par une décision du 17 juin 2024, Mme A... B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Vergne a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante géorgienne, née en 1985, est entrée régulièrement en France le 13 octobre 2016 accompagnée de sa fille mineure, née en 2008 en Géorgie. Sa demande d'asile, déposée le 14 novembre 2016 auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine, a été rejetée successivement par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 14 décembre 2017, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Mme B... a ensuite fait l'objet d'un premier arrêté portant obligation de quitter le territoire français lui accordant un délai de départ volontaire de 30 jours le 3 septembre 2020. Le 22 avril 2021, elle a sollicité le réexamen de sa demande d'asile. Cette demande ayant été rejetée le 5 juillet 2021 par une décision devenue définitive de l'OFPRA, le préfet d'Ille-et-Vilaine a pris, le 10 novembre 2021, à l'encontre de l'intéressée un nouvel arrêté portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant la Géorgie comme pays de renvoi, auquel l'intéressée ne s'est pas conformée. Soupçonnée d'avoir détenu et d'avoir fait usage d'une fausse carte d'identité lituanienne, elle a été convoquée et entendue le 11 mars 2024 par un officier de police judiciaire, dans le cadre d'une enquête préliminaire et a reconnu lors de son audition les faits qui lui étaient reprochés. Par le premier arrêté attaqué, en date du 11 mars 2024, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'obliger Mme B... à quitter le territoire français sans lui accorder de délai de départ volontaire, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Par le second arrêté attaqué, pris le même jour, le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Mme B... relève appel du jugement n° 2401396 du 21 mars 2024 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions en annulation de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français :

En ce qui concerne la légalité des décisions portant obligation de quitter le territoire et refusant à Mme B... un délai de départ volontaire :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La décision portant obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle est édictée après vérification du droit au séjour, en tenant notamment compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit. / Dans le cas prévu au 3° de l'article L. 611-1, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour. Toutefois, les motifs des décisions relatives au délai de départ volontaire et à l'interdiction de retour édictées le cas échéant sont indiqués.".

3. L'arrêté attaqué comporte l'ensemble des motifs de droit et de fait au regard desquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'obliger Mme B... à quitter le territoire et de refuser de lui accorder un délai de départ volontaire et qui permettent de s'assurer que le préfet a pris les décisions litigieuses après un examen particulier de la situation de l'intéressée telle qu'elle était portée à sa connaissance. Il mentionne en particulier que l'intéressée " déclare être séparée et avoir un enfant à charge vivant avec elle en France ", vise l'article 3-1 de la convention de

New-York relative aux droits de l'enfant, expose que Mme B..., définitivement déboutée du droit d'asile, ne justifie pas avoir de la famille en France et qu'elle n'a pas engagé de démarches, depuis que sa demande d'asile a été rejetée, pour régulariser sa situation administrative, notamment en faisant valoir éventuellement la protection due à son droit au respect dû à sa vie privée et familiale et qu'elle n'a pas non plus présenté de demande de titre de séjour en raison de son état de santé. L'arrêté en litige énonce également que l'intéressée " n'établit ni même n'allègue entrer dans l'une des catégories d'étrangers définies à l'article L. 611-3 du CESEDA ne pouvant faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire ". Il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment de la motivation de la mesure d'éloignement elle-même, que cette décision aurait été prise sans vérification préalable du droit au séjour de l'appelante, tenant notamment compte de la durée de présence de celle-ci sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France et des considérations humanitaires pouvant justifier un tel droit, conformément au premier alinéa de l'article L. 613-1 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile explicitant, s'agissant des décisions portant obligation de quitter le territoire français, l'obligation d'examen particulier applicable de manière générale aux décisions prises par l'autorité administrative. Par suite, et malgré l'absence de mentions de l'activité professionnelle exercée par Mme B..., irrégulièrement et sous une fausse identité, entre 2021 et 2023, et de la scolarisation de sa fille dans un lycée de Rennes, le moyen tiré du caractère insuffisant de la motivation de ces décisions doit être écarté, le préfet n'étant pas tenu à peine d'irrégularité d'y énoncer l'ensemble des informations concernant la situation de la personne concernée ou les circonstances susceptibles de s'opposer à la décision en cause ou de justifier qu'une décision différente soit prise. Doivent également être écartés, pour les mêmes motifs, les moyens tirés du défaut d'examen particulier et du " vice de procédure " consistant dans la méconnaissance du premier alinéa de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions n'impliquaient pas l'obligation pour le préfet de statuer expressément, dans sa décision, sur le droit au séjour de Mme B....

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : / 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° ; / 6° L'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois a méconnu les dispositions de l'article L. 5221-5 du code du travail. "

5. Si l'arrêté attaqué vise les 4° et 6° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il ressort de ses motifs développés que le préfet

d'Ille-et-Vilaine n'a pas entendu fonder l'obligation de quitter le territoire sur les dispositions du 6°, mais seulement sur celles du 4° de ce texte. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire serait entachée d'une erreur de droit en tant qu'elle serait fondée sur ces dispositions est inopérant et ne peut qu'être écarté.

6. En troisième lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / (...) ".

7. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est présente en France, où elle est arrivée à l'âge de 31 ans, depuis le mois d'octobre 2016, soit depuis plus de 7 ans et demi à la date de la décision contestée. Toutefois, sa demande de protection a été rejetée par les instances en charge de l'asile et elle s'est maintenue sur le territoire français malgré deux précédents arrêtés portant obligation de quitter le territoire pris à son encontre en 2020 et 2021. Si elle souligne que sa fille, Mme E... C..., âgée de quinze ans, est scolarisée en France en classe de seconde générale après avoir obtenu le brevet des collèges en juillet 2023 et est parfaitement francophone, celle-ci a vocation à la suivre en cas d'éloignement et il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle ne pourrait pas poursuivre ses études en Géorgie. La requérante a déclaré, lors de son audition du 11 mars 2024 vivre en concubinage depuis le mois de janvier 2019 avec

M. D..., qui toutefois ne séjourne pas régulièrement en France, ayant été effectivement éloigné à destination de la Géorgie le 27 août 2022 avant de revenir irrégulièrement sur le territoire français. Si elle soutient ne plus avoir en Géorgie que son ex-époux, père de sa fille, dont elle s'est séparée en raison de violences, avec qui elle ne veut plus avoir de contact et qui reste pour elle une menace, elle n'établit pas ne pas avoir de membres de sa famille ou d'autres attaches en Géorgie. Mme B... ne peut valablement invoquer une insertion professionnelle réussie depuis le mois d'août 2021 dans une entreprise de transformation de la viande de Liffré, dès lors que, si elle a travaillé en intérim dans le secteur de la boucherie considéré comme en tension, elle l'a fait en utilisant une identité frauduleuse et une fausse carte d'identité lituanienne, son expérience ayant d'ailleurs cessé en décembre 2023 lorsque cette fraude a été révélée. Au vu de l'ensemble de ces éléments, le préfet d'Ille-et-Vilaine n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de Mme B... au respect de sa vie privée et familiale en l'obligeant à quitter le territoire français. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celui tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation, doivent être écartés.

8. En quatrième lieu, aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, de tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale (...) ".

9. Ainsi que cela a été déjà relevé au point 7, il ne ressort pas des pièces du dossier que la fille de Mme B... ne pourrait pas poursuivre ses études en Géorgie. Il n'est pas davantage établi qu'elle ne pourrait pas y reconstituer un environnement amical et conserver, si elle le désire, des liens avec ses amis résidant en France. Par suite, il ne peut être considéré que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait omis d'attacher une considération primordiale à l'intérêt de la fille de Mme B... en décidant d'obliger cette dernière à quitter le territoire français.

10. En cinquième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier, eu égard à ce qui a été dit ci-dessus aux points 3 à 9, que la décision portant obligation de quitter le territoire français n'aurait pas été précédée d'un examen particulier de la situation de Mme B... par le préfet d'Ille-et-Vilaine à partir des éléments portés à sa connaissance.

En ce qui concerne la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :

11. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du dernier aliéna de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

12. En premier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment de la motivation de la décision fixant le pays de renvoi que le préfet d'Ille-et-Vilaine se serait cru lié par l'appréciation portée par l'OFPRA, puis la CNDA sur les risques invoqués par Mme B... dans le cadre de sa demande d'asile, alors que l'intéressée n'établit ni même ne soutient qu'elle aurait produit auprès des services de la préfecture d'Ille-et-Vilaine des éléments relatifs aux risques encourus par elle en cas de retour en Géorgie permettant de remettre en cause l'appréciation des instances en charge de l'asile.

13. En deuxième lieu, Mme B... invoque, dans le cadre de la présente instance, des risques totalement différents de ceux dont elle a fait état dans sa demande d'asile. Si elle soutient désormais qu'elle a quitté la Géorgie afin de se protéger et de protéger sa fille des violences psychologiques et physiques perpétrées par le père de celle-ci, M. C..., qu'après son arrivée en France, elle a reçu des menaces téléphoniques de la part de celui-ci, et que les femmes victimes de violences domestiques ne sont pas protégées par les autorités géorgiennes, elle ne produit toutefois aucun élément confirmant le risque qu'elle invoque désormais, dont d'ailleurs elle n'a pas fait état lors de son audition du 11 mars 2024, au cours de laquelle elle s'est seulement présentée comme divorcée du père de sa fille. Sa nouvelle explication des raisons de son départ de Géorgie en octobre 2016 apparaît au demeurant peu compatible avec les explications et motifs de fuite repris dans les décisions de l'OFPRA et de la CNDA des 14 décembre 2017 et 11 juin 2019, qui n'avaient pas convaincu ces instances. Par suite, Mme B... n'établissant pas qu'un retour en Géorgie l'exposerait à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de cet article, ainsi que de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français :

14. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder cinq ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, et dix ans en cas de menace grave pour l'ordre public. ". Aux termes de l'article

L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".

15. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour et si la décision ne porte pas au droit de l'étranger au respect de sa vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. En revanche, lorsqu'il est saisi d'un moyen le conduisant à apprécier les conséquences de la mesure d'interdiction de retour sur la situation personnelle de l'étranger et que sont invoquées des circonstances étrangères aux quatre critères posés par les dispositions précitées de l'article L. 612-10, il incombe seulement au juge de l'excès de pouvoir de s'assurer que l'autorité compétente n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.

16. l'arrêté attaqué mentionne les motifs de fait et de droit au regard desquels le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé d'interdire à Mme B... le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an. Le préfet y cite les dispositions précitées de l'article L. 612-6, qui est également visé, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, écarte l'existence de circonstances humanitaires au regard de la situation de la requérante, puis examine les quatre critères devant être pris en compte pour fixer la durée d'une interdiction de retour. Par suite, le moyen tiré du caractère insuffisant de la motivation de la décision interdisant à Mme B... le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an doit être écarté.

17. En deuxième lieu, Mme B... était présente sur le territoire français depuis plus de sept ans à la date de l'arrêté attaquée. Hormis sa fille mineure qui a vocation à la suivre et dont il n'est pas établi qu'elle ne pourrait poursuivre ses études en Géorgie, seul son frère est présent en France, et elle n'apporte aucune précision sur le ou les pays où résideraient les autres membres de sa famille. Son concubin, qui a déjà fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire en 2021 et qui a été effectivement éloigné de France en août 2022 après un séjour en prison, est actuellement en situation irrégulière sur le territoire français et n'a donc pas vocation à y rester. Si Mme B... a travaillé entre le mois d'août 2021 et le mois de décembre 2023, elle a utilisé durant cette période une fausse carte d'identité lituanienne pour obtenir des missions en intérim. Elle a fait l'objet antérieurement à l'arrêté attaqué de deux arrêtés portant obligation de quitter le territoire français en 2020 et 2021, devenus définitifs. Sa présence en France ne représente pas une menace pour l'ordre public. Au regard de l'ensemble de ces éléments et malgré l'absence, dont le préfet d'Ille-et-Vilaine fait état dans son arrêté, de menace pour l'ordre public liée à a présence de la requérante en France, ce préfet a pu sans méconnaître les dispositions précitées de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile fixer à un an la durée de l'interdiction de retour sur le territoire prise à l'encontre de la requérante.

18. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment des éléments, mentionnés au point 7, caractérisant la situation personnelle et familiale de Mme B..., qu'en décidant de lui interdire le retour sur le territoire français pendant une durée d'un an, le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

19. En quatrième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit être écarté pour les motifs énoncés aux points 7 et 9.

20. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, le moyen tiré par la requérante d'une erreur manifeste d'appréciation entachant la décision litigieuse ne peut qu'être écarté.

21. En dernier lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier eu égard à ce qui a été dit

ci-dessus aux points 16 à 20, que la décision interdisant à Mme B... le retour sur le territoire français n'aurait pas été précédée d'un examen particulier de sa situation.

22. Il résulte de tout ce qui précède que les conclusions de la requête de Mme B... tendant à l'annulation de l'arrêté du 11 mars 2024 portant obligation de quitter le territoire français, refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire doivent être rejetées.

Sur les conclusions en annulation de l'arrêté portant assignation à résidence :

23. En premier lieu, l'arrêté du 11 mars 2024 portant notamment obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulé, le moyen tiré de ce que l'arrêté du même jour portant assignation à résidence doit être annulé par voie de conséquence ne peut qu'être écarté.

24. En second lieu, Mme B... ne faisant pas l'objet d'une décision de transfert qui fonderait son assignation à résidence, le moyen tiré de la méconnaissance du troisième alinéa de l'article L. 751-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est inopérant et ne peut donc qu'être écarté.

25. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet d'Ille-et-Vilaine du 11 mars 2024. Ses conclusions à fin d'injonction et celles fondées sur les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées par voie de conséquence.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 16 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président,

- Mme Marion, première conseillère.

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 janvier 2025.

Le président,

G.-V. VERGNE

L'assesseure la plus ancienne,

I. MARION

Le greffier,

R. MAGEAU

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT02192


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT02192
Date de la décision : 31/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: M. Georges-Vincent VERGNE
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CABINET CAROLE GOURLAOUEN

Origine de la décision
Date de l'import : 09/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-31;24nt02192 ?
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