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14/02/2025 | FRANCE | N°22NT03164

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 14 février 2025, 22NT03164


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



L'association Manche-Nature a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel le préfet de la Manche a enregistré, au nom de la société Biogaz de Bel Air, une unité de méthanisation, sur le territoire de la commune de Pirou, d'une capacité de traitement de 81 tonnes par jour, associée à un plan d'épandage des digestats issus du processus de méthanisation.



Par un jugement n° 2100319 du 29 juillet 2022, le tr

ibunal administratif de Caen a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

L'association Manche-Nature a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2020 par lequel le préfet de la Manche a enregistré, au nom de la société Biogaz de Bel Air, une unité de méthanisation, sur le territoire de la commune de Pirou, d'une capacité de traitement de 81 tonnes par jour, associée à un plan d'épandage des digestats issus du processus de méthanisation.

Par un jugement n° 2100319 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 29 septembre et 6 décembre 2022 et le 15 août 2023, l'association Manche-Nature, représentée par Me Busson, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen ;

2°) d'annuler l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

L'association Manche-Nature soutient que :

- les dispositions de l'article L. 512-7-2 du projet ont été méconnues ; au regard de la localisation du projet, la sensibilité environnementale du milieu justifiait qu'une évaluation environnementale soit réalisée et que la demande soit, par conséquent, instruite selon la procédure d'autorisation environnementale ;

- la société pétitionnaire n'a pas suffisamment justifié de ses capacités techniques et financières ; le dossier de demande ne contient aucun engagement des établissements bancaires ;

- en n'assortissant pas son arrêté de prescriptions particulières complétant ou renforçant les prescriptions générales applicables à l'installation, alors qu'elles étaient nécessaires pour assurer la protection des intérêts mentionnés aux articles L. 511-1 et L. 211-1 du code de l'environnement, le préfet de la Manche a méconnu les dispositions de l'article L. 512-7-3 du code de l'environnement ;

- les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ne sont pas applicables aux recours formés contre les arrêtés d'enregistrement.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 12 juin et 15 septembre 2023, la société Biogaz de Bel Air conclut au rejet de la requête, subsidiairement à ce qu'il soit fait application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement et à ce qu'il soit mis à la charge de l'association Manche-Nature une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Elle soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable ; l'association requérante ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité à agir contre l'arrêté contesté ; son objet social est trop large et le projet contesté n'aura pas d'incidence à l'échelle départementale ;

- la requête d'appel est une reprise des écritures de première instance, sans développements tenant au caractère erroné du jugement attaqué ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, la cour devra mettre en œuvre les pouvoirs qu'elle tient de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

Par un mémoire enregistré le 20 septembre 2023, le ministre de la transition écologique, et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par l'association Manche-Nature ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics ou privés sur l'environnement ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Dias,

- les conclusions de M. Le Brun, rapporteur public,

- et les observations de Me Macé, représentant l'association Manche-Nature, et de Me Sicoli, substituant Me Gandet, représentant la société Biogaz de Bel Air.

Une note en délibéré présentée par la société Biogaz de Bel Air a été enregistrée le 31 janvier 2025.

Une note en délibéré présentée par l'association Manche-Nature a été enregistrée le 5 février 2025.

Considérant ce qui suit :

1. Le 11 février 2020, la société Biogaz de Bel Air a présenté une demande d'enregistrement, au titre de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), en vue de la création et de l'exploitation, sur le territoire de la commune de Pirou (Manche), au lieu-dit L'Eventard, d'une unité de méthanisation d'une capacité de traitement de 81 tonnes par jour d'effluents d'origine agricole. L'association Manche-Nature, association agréée pour la protection de l'environnement, relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche portant enregistrement de cette installation classée.

Sur les fins de non-recevoir opposées par la société Biogaz de Bel Air à la requête d'appel :

2. En premier lieu, la société Biogaz de Bel Air soutient que l'association Manche-Nature ne justifie pas, compte tenu de son objet social et de son champ d'action départemental, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre l'arrêté d'enregistrement contesté. Cette question qui a trait au bien-fondé du jugement attaqué reste toutefois sans incidence sur la recevabilité de la requête d'appel présentée par cette association qui avait la qualité de demandeur en première instance et qui justifie donc d'un intérêt pour relever appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

3. En second lieu, la requête d'appel de l'association Manche-Nature qui ne constitue pas la reproduction littérale de sa demande de première instance énonce, de manière précise, les moyens dirigés contre l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche et satisfait donc aux exigences de l'article R. 411-1 du code de justice administrative.

4. Les fins de non-recevoir opposées par la société Biogaz de Bel Air à la requête d'appel de l'association Manche-Nature doivent, par suite, être écartées.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne les fins de non-recevoir opposées à la demande de première instance par la société Biogaz de Bel Air devant le tribunal administratif de Caen :

5. En premier lieu, aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 ainsi que les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de protection du milieu aquatique et les associations agréées de pêcheurs professionnels justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ".

6. Il ressort des pièces du dossier que l'objet statutaire de l'association Manche-Nature est : " La protection active de la nature : l'association intervient sur l'ensemble du département de la Manche (...). Manche-Nature entend s'opposer par tous les moyens légaux à tout ce qui menace la biodiversité, les milieux naturels (...) et plus généralement l'environnement et la qualité de vie, notamment : - en faisant respecter sur le territoire de sa compétence les lois et les règlements relatifs à la protection de la nature (...) ". Ainsi défini avec un degré de précision suffisant, cet objet est en rapport direct avec l'arrêté contesté qui porte enregistrement d'une unité de méthanisation d'une capacité de traitement de 81 tonnes par jour, assorti d'un plan d'épandage de digestats liquides et solides sur des parcelles d'une superficie de 965 hectares, à proximité de plusieurs zones Natura 2000. Eu égard aux effets dommageables que l'exploitation de cette unité de méthanisation est susceptible d'occasionner sur une partie du territoire pour lequel l'association bénéficie de l'agrément, celle-ci justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour contester l'arrêté d'enregistrement de cette installation.

7. En second lieu, une association est régulièrement engagée par l'organe tenant de ses statuts le pouvoir de la représenter en justice, sauf stipulations de ces statuts réservant expressément à un autre organe la capacité de décider de former une action devant le juge administratif. Il appartient à la juridiction administrative saisie, qui en a toujours la faculté, de s'assurer, le cas échéant et notamment lorsque cette qualité est contestée sérieusement par l'autre partie ou qu'au premier examen, l'absence de qualité du représentant de la personne morale semble ressortir des pièces du dossier, que le représentant de cette personne morale justifie de sa qualité pour agir au nom de cette partie. A ce titre, si le juge doit s'assurer de la réalité de l'habilitation du représentant de l'association qui l'a saisi, lorsque celle-ci est requise par les statuts, il ne lui appartient pas, en revanche, de vérifier la régularité des conditions dans lesquelles une telle habilitation a été adoptée.

8. Aux termes de l'article 8 des statuts de l'association Manche-Nature : " L'association est dirigée par un bureau. Il prend toute décision au nom de l'association entre les assemblées générales, exécute et met en œuvre les orientations de l'assemblée générale. Le bureau a qualité pour décider d'ester en justice. Il mandate le Président, un autre membre de l'association ou un salarié, pour représenter l'association en justice. (...) ".

9. Il résulte de l'instruction que, par délibération du 18 décembre 2020, les membres présents du bureau de l'association requérante ont décidé, à l'unanimité, de saisir le tribunal administratif de Caen d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté d'enregistrement du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche et de confier à Mme A..., membre et salariée de l'association, mandat pour engager ce recours et représenter l'association dans cette instance devant le tribunal administratif, conformément à l'article 8 des statuts de l'association. La société Biogaz de Bel Air ne peut utilement soutenir que les membres du bureau n'auraient pas été régulièrement convoqués, ni que le quorum n'aurait pas été atteint dès lors que ces contestations ne portent pas sur la réalité de l'habilitation ainsi donnée à Mme A... mais sur les conditions dans lesquelles celle-ci lui a été donnée. La fin de non-recevoir tirée de ce que Mme A... n'avait pas qualité pour agir devant le tribunal administratif de Caen au nom de l'association Manche-Nature doit, par suite, être écartée.

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche :

10. D'une part, en vertu du II de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, pris pour la transposition de la directive du 13 décembre 2011 du Parlement européen et du Conseil concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement, " Les projets qui, par leur nature, leur dimension ou leur localisation, sont susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement ou la santé humaine font l'objet d'une évaluation environnementale en fonction de critères et de seuils définis par voie réglementaire et, pour certains d'entre eux, après un examen au cas par cas effectué par l'autorité environnementale. / Pour la fixation de ces critères et seuils et pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive 2011/92/UE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement. ". En vertu de I de l'article R. 122-2 du même code, " Les projets relevant d'une ou plusieurs rubriques énumérées dans le tableau annexé au présent article font l'objet d'une évaluation environnementale, de façon systématique ou après un examen au cas par cas, en application du II de l'article L. 122-1, en fonction des critères et des seuils précisés dans ce tableau ". Le tableau annexé à cet article prévoit, à sa ligne 1, que les projets d'installations classées pour la protection de l'environnement soumises à enregistrement relèvent de l'examen au cas par cas, en précisant que, pour ces installations, " l'examen au cas par cas est réalisé dans les conditions et formes prévues à l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement ".

11. D'autre part, en application du premier alinéa de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, la soumission des installations classées pour la protection de l'environnement à l'un des régimes d'autorisation, d'enregistrement ou de déclaration résulte de leur inscription, suivant la gravité des dangers et des inconvénients que peut présenter leur exploitation pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, dans les rubriques correspondantes d'une nomenclature. La répartition entre ces différents régimes est opérée, en référence à la nomenclature, en fonction de seuils et de critères, prenant en compte notamment les caractéristiques de ces installations et leur impact potentiel sur l'environnement. Ainsi, en vertu du premier alinéa de l'article L. 512-1 du même code, " Sont soumises à autorisation les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 " tandis que l'article L. 512-7 du même code permet de soumettre " à autorisation simplifiée, sous la dénomination d'enregistrement, les installations qui présentent des dangers ou inconvénients graves pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1, lorsque ces dangers et inconvénients peuvent, en principe, eu égard aux caractéristiques des installations et de leur impact potentiel, être prévenus par le respect de prescriptions générales édictées par le ministre chargé des installations classées ". Le deuxième alinéa de l'article L. 512-7 précise que " Les activités pouvant, à ce titre, relever du régime d'enregistrement concernent les secteurs ou technologies dont les enjeux environnementaux et les risques sont bien connus, lorsque les installations ne sont soumises ni à la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2010 relative aux émissions industrielles au titre de son annexe I, ni à une obligation d'évaluation environnementale systématique au titre de l'annexe I de la directive 85/337/CEE du 27 juin 1985 concernant l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ". L'article L. 512-7-2 du code de l'environnement prévoit cependant que le préfet peut décider que la demande d'enregistrement sera instruite selon les règles de procédure prévues par le chapitre unique du titre VIII du livre Ier pour les autorisations environnementales, c'est-à-dire selon le régime de l'autorisation, au vu de trois séries de considérations tenant à la sensibilité environnementale du milieu, au cumul des incidences du projet avec celles d'autres projets d'installations, ouvrages ou travaux et à la nécessité, à la demande de l'exploitant, d'aménager les prescriptions générales applicables à l'installation.

12. Enfin, aux termes du point 1, relatif aux caractéristiques des projets, de l'annexe III de la directive, modifiée, du 13 décembre 2011 : " Les caractéristiques des projets doivent être considérées notamment par rapport : / a) à la dimension du projet ; / b) au cumul avec d'autres projets ; / c) à l'utilisation des ressources naturelles ; / d) à la production de déchets ; / e) à la pollution et aux nuisances : / f) au risque d'accidents, eu égard notamment aux substances ou aux technologies mises en œuvre. ". Le point 2 relatif à la localisation des projets, prévoit que : " La sensibilité environnementale des zones géographiques susceptibles d'être affectées par le projet doit être considérée en prenant notamment en compte : / a) l'utilisation existante et approuvée des terres; / b) la richesse relative, la disponibilité, la qualité et la capacité de régénération des ressources naturelles de la zone (y compris le sol, les terres, l'eau et la biodiversité) et de son sous-sol; / c) la capacité de charge de l'environnement naturel, en accordant une attention particulière aux zones suivantes : / i) zones humides, rives, estuaires ; / ii) zones côtières et environnement marin ; / iii) zones de montagnes et de forêts ; / iv) réserves et parcs naturels ; / v) zones répertoriées ou protégées par la législation nationale; zones Natura 2000 désignées par les Etats membres en vertu des directives 92/43/CEE et 2009/147/CE ; / vi) zones ne respectant pas ou considérées comme ne respectant pas les normes de qualité environnementale fixées par la législation de l'Union et pertinentes pour le projet ; / vii) zones à forte densité de population ; / viii) paysages et sites importants du point de vue historique, culturel ou archéologique ". Enfin, en vertu du point 3 de cette annexe, relatif aux caractéristiques de l'impact potentiel : " Les incidences notables qu'un projet pourrait avoir doivent être considérées en fonction des critères énumérés aux points 1 et 2, notamment par rapport : a) à l'étendue de l'impact (zone géographique et importance de la population affectée) ; / (...) / c) à l'ampleur et à la complexité de l'impact ; / d) à la probabilité de l'impact ; / e) à la durée, à la fréquence et à la réversibilité de l'impact. ".

13. En vertu de l'annexe 4 à l'article R. 511-9 du code de l'environnement, les installations de méthanisation de matière végétale brute, effluents d'élevage, classées à la rubrique n°2781 de la nomenclature des installations classées, sont soumises à enregistrement, lorsque la quantité de matières traitées est supérieure ou égale à 30 t/j, mais inférieure à 100 t/j.

14. Si, dans le cadre du régime de l'enregistrement, la nécessité d'une évaluation environnementale résulte d'un examen au cas par cas réalisé par le préfet dans les conditions et formes prévues à l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement et si, par ailleurs, ce dernier article ne mentionne à son 1° que le critère de la localisation du projet, il résulte tant de l'article L. 122-1 du code de l'environnement, qui précise de façon générale que pour la détermination des projets relevant d'un examen au cas par cas, il est tenu compte des données mentionnées à l'annexe III de la directive du 13 décembre 2011, que des dispositions citées au point 10, dont il résulte que la répartition entre les différents régimes d'installations classées pour la protection de l'environnement est opérée, en référence à la nomenclature, en fonction de seuils et de critères, qui sont au nombre de ceux qui sont mentionnés à l'annexe III de la directive, prenant en compte notamment les caractéristiques de ces installations et leur impact potentiel sur l'environnement, que le préfet, saisi d'une demande d'enregistrement d'une installation, doit se livrer à un examen du dossier afin d'apprécier, tant au regard de la localisation du projet que des autres critères mentionnés à l'annexe III de la directive, relatifs à la caractéristique des projets et aux types et caractéristiques de l'impact potentiel, si le projet doit faire l'objet d'une évaluation environnementale, ce qui conduit alors, en application de l'article L. 512-7-2, à le soumettre au régime de l'autorisation environnementale.

15. Il résulte de l'instruction que le projet consiste en la création, sur le territoire de la commune de Pirou, au lieu-dit l'Eventard, d'une installation de méthanisation d'effluents d'origine agricole d'une capacité de traitement de 81 tonnes par jour, constituée notamment de deux fermenteurs de 2 500 m3 chacun, d'un post-fermenteur de 3 200 m3, engendrant la production de 22 860 tonnes de digestats liquides par an. Le stockage de ces digestats est prévu, d'une part, sur le site dans une fosse couverte, en béton armé, d'un volume de 7 700 m3, et d'autre part, sur deux autres lieux, situés à 1 kilomètre au nord et au sud du site, d'un volume respectif de 4000 et 2 500 m3, représentant un volume total de stockage de 13 000 m3, équivalant à 7 mois de production. Pour faire face au risque accidentel de pollution des eaux par le site, celui-ci est entouré d'un merlon en terre permettant de retenir 3 500 m3 d'effluents, soit une capacité supérieure au volume de la plus grande cuve de l'installation.

16. Il résulte de l'instruction que le projet litigieux est assorti d'un plan d'épandage des digestats engendrés par le processus de méthanisation, sur des parcelles agricoles appartenant à 9 exploitations, représentant une superficie totale de 965 hectares, et que 95% des effluents liquides seront épandus sur des parcelles situées dans un rayon de 5 kilomètres autour du site de l'installation, exploitées, pour l'essentiel par la SCEA du domaine Pierre Jean, dont l'exploitation, d'une surface de plus de 470 hectares, est située à proximité immédiate de l'unité de méthanisation. Il résulte de l'instruction, notamment de l'étude préalable à l'épandage des digestats de méthanisation jointe au dossier de demande d'enregistrement, que le risque principal engendré par l'épandage des digestats liquides consiste dans le transfert des produits fertilisants vers le réseau hydrographique de surface. Il ressort également de l'étude des sols versée au dossier que 81% des terres agricoles concernées par le plan d'épandage se caractérisent par une aptitude à l'épandage de niveau 1, soit un niveau " moyen " qui, s'il permet l'épandage, implique aussi un risque réel de lessivage des sols. Par ailleurs, il n'est pas contesté que la plupart des communes où se situent les parcelles concernées par le plan d'épandage ont été classées en zone vulnérable, au regard des taux de nitrates élevés mesurés dans les eaux.

17. Il est constant que le site du projet ainsi que la zone d'épandage sont situés à l'ouest de la péninsule du Cotentin, à proximité du littoral de la Manche, sur le territoire du parc naturel régional du " Marais du Cotentin et du Bessin ". Il résulte de l'instruction que le secteur concerné par le plan d'épandage, délimité par un rayon de 20 kilomètres autour de l'installation, se caractérise par un réseau hydrographique particulièrement dense, que, dans ce secteur, 5 zones Natura 2000 ont été recensées dont 3 bordent des parcelles incluses dans le plan et que 9 ZNIEFF de type 1 jouxtent des parcelles vouées à être amendées par les digestats résultant du processus de méthanisation. Si l'installation litigieuse doit être implantée sur des terres agricoles qui, par elles-mêmes, ne présentent pas d'intérêt environnemental particulier, il ressort du diagnostic Faune Flore établi en septembre 2018 que le terrain d'assiette du projet jouxte, au nord, à l'ouest et au sud, le site du " Havre de Saint-Germain-sur-Ay et Landes de Lessay ", avec lequel il est connecté hydrographiquement et qui a été classé zone Natura 2000 en raison de la richesse exceptionnelle de ses milieux humides. Ce diagnostic Faune Flore précise également que la dégradation de la qualité des eaux figure parmi les menaces principales auxquelles est exposé ce site. En outre, le terrain d'assiette du projet se trouve en contact, au sud, avec le site de " La tourbière du ruisseau de la Reine ", classé en zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF), de type I, et connecté écologiquement avec la ZNIEFF de type 2 " Landes de Lessay et Vallée de L'Ay ", décrite, dans la fiche éditée le 27 octobre 2020 par le ministère de l'environnement, de l'énergie et de la mer, comme un ensemble écologique remarquable, à la biodiversité exceptionnelle, caractérisée par une richesse floristique d'intérêt national et des tourbières renfermant de très nombreuses espèces végétales extrêmement rares. Au nombre de celles-ci figurent plusieurs espèces protégées à l'échelle nationale, notamment le Rossolis à feuilles longues, le Rossolis intermédiaire, la Pilulaire à globule, le Lycopode inondé la Littorelle uniflore, le Flûteau nageant, la Renoncule grande douve, le Spiranthe d'été, et l'Andromède. Il n'est pas contesté que la flore abritée dans ces zones humides est fortement sensible à la qualité des eaux.

18. Compte tenu de ce qui précède, notamment de la richesse environnementale très forte des milieux à proximité desquels l'installation doit être exploitée, de ce que les épandages seront concentrés dans un secteur de 5 kilomètres autour de l'installation, des quantités de matières organiques qui y seront apportées chaque année, du niveau " moyen " d'aptitude des sols à l'épandage et de la densité significative du réseau hydrographique constaté dans le secteur, le projet litigieux devait faire l'objet d'une évaluation environnementale et être instruit selon les règles de procédure prévues pour les autorisations environnementales, quand bien même la société Biogaz de Bel Air s'est engagée à respecter les prescriptions générales applicables aux installations classées de méthanisation relevant du régime de l'enregistrement ainsi que les mesures et le calendrier du programme d'action régionale de lutte contre les nitrates, et à supposer même que les exploitants agricoles qui utiliseront les digestats adopteront des bonnes pratiques visant à limiter les risques d'interférence avec les masses d'eau du secteur, notamment par des apports adaptés de matière fertilisante, par la mise en place de couverts intermédiaires pièges à nitrates (CIPAN) et de bandes enherbées le long des cours d'eau. Par suite, l'arrêté contesté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche qui procède à l'enregistrement d'un projet qui aurait dû faire l'objet d'une évaluation environnementale a été pris en méconnaissance des dispositions de l'article

L. 512-7-2 du code de l'environnement.

En ce qui concerne les conséquences à tirer du vice analysé au point 18 :

19. En premier lieu, les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, qui concernent les pouvoirs du juge de l'autorisation environnementale, sont applicables aux recours formés contre une décision d'enregistrement d'une installation classée dans le cas où le projet fait l'objet, en application du 7° du paragraphe I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement, d'une autorisation environnementale tenant lieu d'enregistrement ou s'il est soumis à évaluation environnementale donnant lieu à une autorisation du préfet en application du troisième alinéa du II de l'article L. 122-1-1 du même code.

20. Dans les autres cas où le juge administratif est saisi de conclusions dirigées contre une décision relative à l'enregistrement d'une installation classée, y compris si la demande d'enregistrement a été, en application de l'article L. 512-7-2 du code de l'environnement, instruite selon les règles de procédure prévues pour les autorisations environnementales, les dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement ne sont pas applicables. Cependant, en vertu des pouvoirs qu'il tient de son office de juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement, le juge administratif, s'il estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'une illégalité entachant l'élaboration ou la modification de cet acte est susceptible d'être régularisée, peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si la régularisation intervient dans le délai fixé, elle est notifiée au juge, qui statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. Le juge peut préciser, par sa décision avant dire droit, les modalités de cette régularisation, qui implique l'intervention d'une décision corrigeant le vice dont est entachée la décision attaquée. En outre, le juge peut limiter la portée ou les effets de l'annulation qu'il prononce si le ou les vices qu'il retient n'affectent qu'une partie de la décision.

21. D'une part, l'installation classée litigieuse n'a pas fait l'objet d'une autorisation environnementale tenant lieu d'enregistrement et n'entre pas dans les prévisions du troisième alinéa du II de l'article L. 122-1-1 du code de l'environnement. Par suite, les dispositions de l'article L. 181-18 de ce code ne sont pas applicables à la contestation de l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche. D'autre part, compte tenu de la nature du vice analysé au point 18 affectant l'arrêté contesté, il n'y a pas lieu de mettre en œuvre les pouvoirs de régularisation que le juge administratif tient de son office de juge de plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement.

22. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que l'association Manche-Nature est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'association Manche-Nature, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par la société Biogaz de Bel Air au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de la société Biogaz de Bel Air une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par l'association Manche-Nature et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 29 juillet 2022 du tribunal administratif de Caen ainsi que l'arrêté du 15 octobre 2020 du préfet de la Manche portant enregistrement d'une unité de méthanisation sur le territoire de la commune de Pirou sont annulés.

Article 2 : La société Biogaz de Bel Air versera à l'association Manche-Nature une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par la société Biogaz de Bel Air est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à l'association Manche-Nature, à la société Biogaz de Bel Air, et au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche

Copie en sera transmise, pour information, au préfet de la Manche.

Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Dias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.

Le rapporteur,

R. DIAS

La présidente,

C. BUFFET La greffière,

M. B...

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT03164


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03164
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Romain DIAS
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : BUSSON

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-14;22nt03164 ?
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