Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... I... et Mme C... G... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 5 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er mars 2022 de l'autorité consulaire française à Kinshasa (République démocratique du Congo) refusant de délivrer à leurs enfants allégués F..., D... et E... B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2209991 du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 juin 2023, M. B... I... et Mme G..., représentés par Me Magdeleine, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite née le 5 juillet 2022 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, subsidiairement, de réexaminer la demande dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2023, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Le Floch, substituant Me Magdelaine, représentant M. B... I... et Mme G....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 28 avril 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. B... I... et de Mme G... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 5 juillet 2022 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 1er mars 2022 des autorités consulaires françaises à Kinshasa rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour leurs enfants allégués F..., D... et E... B... au titre de la réunification familiale. M. B... I... et Mme G... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". L'article L. 561-5 du même code dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". Aux termes de l'article L. 311-2 du même code : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
4. Il ressort des mentions de l'accusé de réception du recours formé le 5 mai 2022 par M. B... I... et Mme G... à l'encontre de la décision de refus de visa de l'autorité consulaire du 1er mars 2022 que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France s'est appropriée le motif du refus opposé par l'autorité consulaire tiré de l'irrégularité des actes d'état-civil produits pour établir l'identité des demandeurs de visa et leur lien de filiation avec M. B... I... et Mme G....
5. Pour établir l'identité et la filiation des enfants F... B..., D... B... et E... B..., M. B... I... et Mme G... produisent les passeports des enfants, qui mentionnent leur nom et leur date de naissance. Ils justifient par ailleurs que M. B... I... a constamment déclaré sa composition familiale auprès de l'administration française, notamment auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 4 juillet 2012. Ils justifient encore de très nombreux versements d'argent effectués par M. B... I..., entre 2015 et 2023, à des membres de sa famille ainsi qu'à des personnes ayant attesté sur l'honneur avoir transmis l'argent aux enfants pour couvrir les frais de leur entretien. Il ressort en outre des pièces du dossier que M. B... I... a, le 7 avril 2017, souscrit un contrat d'assurance-vie désignant comme bénéficiaires Mme G... et les trois enfants du couple. M. B... I... et Mme G... produisent également des historiques de messagerie et justifient de l'identité du titulaire des numéros avec lesquels M. B... I... a été en contact qui, s'ils ne sont pas traduits, attestent du maintien de lien réguliers entre l'intéressé et Mme G... et ses enfants depuis 2020. Enfin, plusieurs attestations de proches, rédigées dans des termes qui ne sont pas stéréotypés, attestent de la notoriété du lien de filiation unissant M. B... I..., Mme G... et les trois enfants. Dans ces conditions et alors en outre que les enfants portent le nom de leur père, le lien de filiation allégué doit être regardé comme établi par la possession d'état. En refusant de délivrer les visas sollicités pour le motif rappelé au point précédent, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a dès lors fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... I... et Mme G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 1er mars 2022 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit délivré aux enfants F..., D... et E... B... les visas d'entrée et de long séjour sollicités. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
8. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 1 200 euros au profit de M. B... I... et Mme G... en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 28 avril 2023 est annulé.
Article 2 : La décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France du 5 juillet 2022 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour aux enfants F..., D... et E... B... dans un délai de deux mois.
Article 4 : L'Etat versera à M. B... I... et Mme G... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... I..., à Mme C... G..., à Mme F... B..., à Mme D... B... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. H...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 23NT01929