Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 12 février 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 16 octobre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2304670 du 23 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 février 2024 et 24 octobre 2024, Mme C..., représentée par Me Roilette, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision implicite de la commission de recours née le 12 février 2023 ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision consulaire de refus de visa est insuffisamment motivée ;
- la décision contestée de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur de droit au regard de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en ce que l'absence de caractère probant des actes
d'état-civil produits ne constitue pas un motif d'ordre public justifiant un refus de visa sollicité au titre de la réunification familiale ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public au sens de l'article L. 561-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 29 juillet 2024, le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés et que la décision de refus de visa contestée aurait pu être légalement fondée sur deux autres motifs tirés, l'un, du caractère partiel de la réunification familiale sollicitée et, l'autre, de l'absence de jugement prononçant la déchéance de l'autorité parentale de la mère de Mme C..., dont le décès n'est pas établi.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mas a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 23 octobre 2023, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme C... tendant à l'annulation de la décision implicite née le 12 février 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Téhéran (Iran) rejetant sa demande de visa de long séjour présentée au titre de la réunification familiale. Mme C... relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". L'article L. 561-5 du même code dispose : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa version applicable au litige : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il ressort de l'accusé de réception de son recours administratif préalable obligatoire remis par la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France à Mme C... le 14 décembre 2022, que, pour rejeter implicitement son recours, la commission s'est approprié le motif de refus de visa opposé par l'autorité consulaire, tiré de ce que la requérante ne justifie pas de son identité et de sa situation familiale.
5. Pour justifier de son identité et de son lien de filiation avec M. B... C..., bénéficiaire en France de la protection subsidiaire, Mme C... produit une tazkera établie par les autorités afghanes, sur laquelle sont indiqués son prénom, son nom, son âge et son lieu de naissance, ainsi que l'identité de son père et de son grand-père paternel. Elle justifie en outre de ce que son père a constamment déclaré ce lien de filiation dans ses relations avec l'administration, notamment lors du dépôt de sa demande de protection internationale. Elle produit encore une photo avec son père. Le ministre de l'intérieur ne critique pas sérieusement la réalité de ce lien de filiation en se bornant à soutenir que la tazkera ne constitue pas un document d'état-civil. Mme C... est dès lors fondée à soutenir que, en refusant de lui délivrer un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification faute d'établissement de son lien de filiation, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
6. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. Le ministre de l'intérieur soutient que la décision de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France litigieuse pouvait être légalement fondée sur les motifs tirés, du caractère partiel de la réunification familiale sollicitée et de l'absence de jugement prononçant déchéance ou délégation de l'autorité parentale de la mère de Mme C....
8. Mme C... produit un certificat de décès établi par le département de la santé publique de la province de Ghor de la République islamique d'Afghanistan. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur, ce document n'est pas établi en langue française mais comporte un volet en langue originale, revêtu de la signature d'un médecin hospitalier ainsi que de la signature et du cachet d'un responsable du département de la santé publique. Il ressort en outre des pièces du dossier que M. B... C... a déclaré, dans sa fiche familiale de référence remise auprès des services de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 22 avril 2021, le décès en avril 2014 de son ancienne épouse et mère de Mme C.... Au regard de ces éléments, le décès de celle-ci doit être regardé comme établi. Il en résulte, d'une part, que la réunification familiale sollicitée ne présentait pas de caractère partiel et, d'autre part, que cette réunification familiale n'était pas subordonnée à une délégation de l'autorité parentale sur Mme C... au profit de son père. Il n'y a dès lors pas lieu de procéder à la demande de substitution de motifs sollicitée.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit délivré à Mme C... le visa d'entrée et de long séjour qu'elle sollicite. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Roilette de la somme de 1 200 euros hors taxe, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 23 octobre 2023 est annulé.
Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France née le 12 février 2023 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme C... un visa d'entrée et de long séjour dans un délai de trois mois.
Article 4 : L'Etat versera à Me Roilette une somme de 1 200 euros hors taxe dans les conditions fixées à l'article 37 du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT00452