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14/02/2025 | FRANCE | N°24NT03432

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 14 février 2025, 24NT03432


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2024 par lequel le préfet du Finistère lui fait obligation de quitter le territoire français sans délai et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois ans.



Par un jugement n°2406706 du 27 novembre 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.



Procédu

re devant la cour :



I - Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Cla...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2024 par lequel le préfet du Finistère lui fait obligation de quitter le territoire français sans délai et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois ans.

Par un jugement n°2406706 du 27 novembre 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

I - Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Clairay, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 27 novembre 2024 ;

2°) d'annuler, à titre principal, l'arrêté du préfet du Finistère du 7 novembre 2024 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français et, à titre subsidiaire, en tant qu'il lui refuse un délai de départ volontaire et, à titre infiniment subsidiaire, en tant qu'il porte interdiction de circulation sur le territoire français pendant une durée de trois ans ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle a été prise en méconnaissance de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en particulier son 2° car il ne représente pas une menace à l'ordre public ;

- la décision de ne pas lui accorder de délai de départ volontaire méconnaît l'article L. 251-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à l'absence d'urgence ;

- la décision d'interdiction de circuler sur le territoire français a été signée par une autorité incompétente ;

- elle a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- sa durée de trois ans est entachée d'erreur d'appréciation ;

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 janvier 2025, le préfet du Finistère conclut au rejet de la requête.

Il s'en remet à ses moyens de défense développés en première instance.

II - Par une requête, enregistrée le 6 décembre 2024, M. A... représenté par Me Clairay, demande à la cour :

1°) de suspendre, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, à titre principal, l'exécution de l'arrêté du préfet du Finistère du 7 novembre 2024 en tant qu'il l'oblige à quitter le territoire français et, à titre subsidiaire, ce même arrêté en tant qu'il lui refuse un délai de départ volontaire et, à titre infiniment subsidiaire, en tant qu'il lui interdit de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois ans ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- il y a urgence à suspendre l'arrêté du préfet du Finistère qui l'empêche de poursuivre son activité professionnelle, qu'il exerce en continu depuis le 12 décembre 2020 ;

- il existe un doute sérieux quant à la légalité des décisions contenues dans l'arrêté du 7 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Marion,

- et les observations de Me Clairay, représentant M. A....

Une note en délibéré présentée par M. A... a été enregistrée le 31 janvier 2025.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant roumain, né le 7 octobre 2002, est entré en France dans le courant de l'année 2020. Le 5 novembre 2024, il a été interpellé par la brigade de gendarmerie de Carhaix-Plouguer (Finistère) au cours d'une rixe pour des faits de violence en réunion avec arme et placé en garde à vue. A l'issue de son audition, le préfet du Finistère a édicté à son encontre un arrêté du 7 novembre 2024 par lequel il l'a obligé à quitter le territoire français sans délai à destination de la Roumanie et lui a interdit de circuler sur le territoire français pendant trois ans. M. A... a présenté une requête au tribunal administratif de Rennes pour demander l'annulation de l'arrêté du 7 novembre 2024. Par un jugement du 27 novembre 2024, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande au motif que M. A... représentait, par son comportement personnel, une menace réelle à l'ordre public. Par les présentes requêtes qui sont relatives aux mêmes décisions et qu'il y lieu de joindre pour y statuer par un seul arrêt, M. A..., d'une part, relève appel de ce jugement du 27 novembre 2024, et, d'autre part, demande à la cour, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 7 novembre 2024.

2. Aux termes de l'article L. 233-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les citoyens de l'Union européenne ont le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'ils satisfont à l'une des conditions suivantes : / 1° Ils exercent une activité professionnelle en France ; / 2° Ils disposent pour eux et pour leurs membres de famille de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / 3° Ils sont inscrits dans un établissement fonctionnant conformément aux dispositions législatives et réglementaires en vigueur pour y suivre à titre principal des études ou, dans ce cadre, une formation professionnelle, et garantissent disposer d'une assurance maladie ainsi que de ressources suffisantes pour eux et pour leurs conjoints ou descendants directs à charge qui les accompagnent ou les rejoignent, afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale ; (...) ". Aux termes de l'article L. 251-1 du même code : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger les étrangers dont la situation est régie par le présent livre, à quitter le territoire français lorsqu'elle constate les situations suivantes : / 1° Ils ne justifient plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 232-1, L. 233-1, L. 233-2 ou L. 233-3 ; / 2° Leur comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société ; (...) " et aux termes de l'article L. 251-4 du même code : " L'autorité administrative peut, par décision motivée, assortir la décision portant obligation de quitter le territoire français édictée sur le fondement des 2° ou 3° de l'article L.251-1 d'une interdiction de circulation sur le territoire français d'une durée maximale de trois ans ".

3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 7 novembre 2024 est fondé sur les motifs tirés de ce que M. A..., d'une part, ne justifie pas d'une activité professionnelle légale en France ni de ressources suffisantes ni d'une assurance maladie lui permettant de ne pas être une charge pour le système d'assurance sociale, et, d'autre part, que son comportement constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société dès lors qu'il a commis un acte de violence volontaire ayant entraîné une ITT inférieure à 8 jours. Toutefois, le tribunal a jugé que M. A... justifiait avoir occupé légalement un emploi lui procurant un revenu suffisant pour un célibataire et disposait également d'une assurance maladie de sorte que le premier motif retenu par le préfet ne pouvait légalement fonder l'arrêté en litige. A hauteur d'appel, le préfet du Finistère ne conteste pas l'illégalité du premier motif de son arrêté sanctionnée à bon droit par le premier juge, mais maintient que le comportement de M. A... constitue une menace à l'ordre public au sens des dispositions du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

4. Il ressort de l'enquête de flagrance menée par la gendarmerie que M. A... a reconnu au cours de sa garde à vue être intervenu le 5 novembre 2024 à Carhaix-Plouguer (Finistère) au cours d'une rixe opposant plusieurs personnes dont un de ses amis, et avoir blessé l'agresseur de celui-ci avec un gourdin qu'il transportait dans sa voiture, avant d' emmener son ami à l'hôpital. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces faits, qualifiés de " violence en réunion avec arme suivie d'une incapacité temporaire de travail inférieure à 8 jours ", aient fait l'objet de poursuites ayant conduit à une condamnation pénale. Par ailleurs, contrairement à ce qu'a relevé le premier juge, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que M. A... interpellé alors qu'il venait de frapper l'agresseur de son ami au cours de la rixe, serait retourné sur les lieux de la bagarre après avoir accompagné son ami blessé à l'hôpital. Par ailleurs, si l'arrêté en litige précise que M. A... est défavorablement connu des services de police pour avoir conduit sans permis à Guerledan le 19 octobre 2016, ces faits sont anciens et il résulte des déclarations de M. A... au cours de l'enquête de flagrance qu'il a obtenu en France son permis de conduire en 2019. Par suite, eu égard au caractère isolé des faits du 5 novembre 2024 et aux circonstances dans lesquelles ils ont été commis, et en l'absence d'autres faits récents et significatifs reprochés à M. A..., le comportement de celui-ci ne pouvait être regardé comme constituant, du point de vue de l'ordre public, une menace réelle, actuelle et sufffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société au sens des dispositions du 2° de l'article L. 251-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par conséquent, les décisions d'obligation de quitter le territoire français sans délai et d'interdiction de circuler sur le territoire français pendant trois ans sont entachées d'illégalité.

5. Il résulte de ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu d'annuler l'arrêté du 7 novembre 2024. Le présent arrêt statuant au fond sur l'appel de M. A..., sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté du 7 novembre 2024 est devenue sans objet.

Sur les frais liés aux litiges :

6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1500 euros au titre des frais exposés par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes en date du 27 novembre 2024 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du 7 novembre 2024 du préfet du Finistère est annulé.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête en référé suspension de M. A...

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet du Finistère.

Délibéré après l'audience du 30 janvier 2025, à laquelle siégeaient :

- M. Vergne, président de chambre,

- Mme Marion, première conseillère,

- Mme Gélard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 février 2025.

La rapporteure,

I. MARION

Le président,

G-V. VERGNE

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT03432 et 24NT03436


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT03432
Date de la décision : 14/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. VERGNE
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : CLAIRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-14;24nt03432 ?
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