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04/04/2025 | FRANCE | N°25NT00283

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 3ème chambre, 04 avril 2025, 25NT00283


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 25 septembre 2023 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".



Par un jugement n°2306425 du 15 janvier 2025, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 25 septembre 2023 et enjoint au préfet du Morb

ihan de délivrer à Mme E... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et fami...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 25 septembre 2023 par lequel le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour et d'enjoindre au préfet de lui délivrer un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Par un jugement n°2306425 du 15 janvier 2025, le tribunal administratif de Rennes a annulé l'arrêté du 25 septembre 2023 et enjoint au préfet du Morbihan de délivrer à Mme E... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

I) Par une requête enregistrée le 28 janvier 2025 sous le n°25NT00283, le préfet du Morbihan demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 janvier 2025 ;

Il soutient que :

- sa décision de refus de séjour n'est pas entachée d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation ;

- Mme E..., ressortissante algérienne, n'entre pas dans le champ des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment de l'article L. 423-23 dont l'équivalent est l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

- Mme E... pouvait demander le bénéfice du regroupement familial sur le fondement de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors que son époux, ressortissant algérien, est titulaire d'une carte de résident et est en situation régulière depuis au moins 18 mois ;

- Mme E... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'elle peut solliciter un regroupement familial ;

- le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est infondé dès lors qu'un étranger n'a pas le droit de choisir le lieu le plus approprié pour développer une vie privée et familiale et que la méconnaissance de l'article 8 ne peut être invoquée lorsque l'étranger sait qu'il est en situation irrégulière et précaire sur le territoire national et développe, malgré tout, une vie privée et familiale sans entreprendre pendant plusieurs années de démarche afin de régulariser sa situation ; enfin une décision de refus de séjour n'a pas pour objet ni pour effet de séparer Mme E... de sa famille.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2025, Mme E..., représentée par Me Fleck, conclut :

- au rejet de la requête ;

- à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par le préfet du Morbihan ne sont pas fondés.

Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 10 mars 2025.

.

II) Par une requête, enregistrée le 28 janvier 2025 sous le n° 25NT00284, le préfet du Morbihan demande à la cour de surseoir à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Rennes du 15 janvier 2025.

Il soutient que :

- sa décision de refus de séjour n'est pas entachée d'erreur de droit ou d'erreur manifeste d'appréciation ;

- Mme E..., ressortissante algérienne n'entre pas dans le champ des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et notamment l'article L. 423-23 dont l'équivalent est l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

- Mme E... pouvait demander le bénéfice du regroupement familial sur le fondement de l'article 4 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dès lors que son époux, ressortissant algérien est titulaire d'une carte de résident et est en situation régulière depuis au moins 18 mois ;

- Mme E... ne peut utilement se prévaloir des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors que son époux avait la possibilité de solliciter un regroupement familial ;

- le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est infondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, modifié ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marion a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante algérienne, née le 12 juin 1981, est entrée régulièrement en France le 27 mai 2018 sous couvert d'un visa de court séjour valable jusqu'au 20 juillet 2018. Elle s'est mariée en France le 9 juin 2018 à Hennebont avec un ressortissant algérien titulaire d'une carte de résident. Le 6 décembre 2022, Mme E... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968. Par un arrêté du 25 septembre 2023, le préfet du Morbihan a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Mme E... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler cet arrêté. Le préfet du Morbihan relève appel et demande le sursis à exécution du jugement du 15 janvier 2025 par lequel le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 25 septembre 2023 et enjoint au préfet du Morbihan de délivrer à Mme E... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur la requête n° 25NT00283 :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes des stipulations l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance (...) ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme E... est entrée régulièrement en France munie d'un visa de court séjour, le 27 mai 2018, à l'âge de 37 ans, et s'est mariée le 9 juin 2018, à Hennebont (Morbihan) avec un compatriote titulaire d'un certificat de résidence, M. H.... Elle s'est ensuite maintenue irrégulièrement sur le territoire français sans solliciter de titre de séjour avant le 6 décembre 2022. Elle a donné naissance à trois enfants nés à B... en 2019, 2021 et 2022 et était enceinte de son quatrième enfant à la date de la décision en litige. Si la requérante fait valoir sa situation de mère de famille nombreuse et la présence régulière en France de ses parents, de ses trois frères et de deux sœurs, ces circonstances ne suffisent pas à établir que le refus de séjour opposé à Mme E... porterait atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale qu'elle tient des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales alors que ces stipulations n'ont pas pour objet de conférer à un étranger le droit de choisir son pays de résidence. En outre, il est constant que la requérante, après avoir vécu en Algérie jusqu'à l'âge de 37 ans, s'est placée en situation irrégulière et précaire sur le territoire français en vue de développer, en dépit de la législation française sur le droit au séjour, sa vie privée et familiale sans entreprendre pendant plusieurs années de démarches, notamment par la mise en œuvre de la procédure du regroupement familial, en vue de régulariser sa situation. Dans ces conditions, le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé sa décision de refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme E... au motif que cette décision porterait atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

4. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par Mme E... en première instance et en appel.

En ce qui concerne les autres moyens :

5. En premier lieu, l'arrêté en litige est signé par Mme F... D.... Par un arrêté du 29 août 2022, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Morbihan du 31 août 2022 et accessible sur son site internet, le préfet de ce département a donné délégation à M. C... G..., directeur de la citoyenneté et de légalité et à Mme F... D..., cheffe du bureau des étrangers et de la nationalité, à l'effet de signer notamment les décisions de refus de titre de séjour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté en litige refusant de lui délivrer un titre de séjour, doit être écarté.

6. En deuxième lieu, l'arrêté en litige vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la convention de New-York des droits de l'enfant, le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et mentionne le parcours migratoire et les circonstances de fait tenant à son mariage avec un compatriote titulaire d'une carte de résident et la naissance de ses trois enfants à B... que Mme E... a porté à la connaissance du préfet. Par suite, l'arrêté en litige n'est pas insuffisamment motivé et n'a pas été pris à l'issue d'un examen incomplet de la situation de Mme E....

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 4 de l'accord franco-algérien : " (...) l'admission sur le territoire français en vue de l'établissement des membres de famille d'un ressortissant algérien titulaire d'un certificat de résidence (...) et l'octroi d'un certificat de résidence sont subordonnés à la délivrance de l'autorisation de regroupement familial par l'autorité française compétente ... " et de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ".

8. Il résulte des stipulations de l'article 6 de l'accord franco-algérien précité que la délivrance à un ressortissant algérien d'un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " peut être décidée lorsque le ressortissant algérien n'entre pas dans les catégories pouvant bénéficier de la procédure de regroupement familial. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait commis une erreur de droit en refusant de délivrer un certificat de résidence d'un an à Mme E... sur le fondement du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien au motif que cette dernière aurait dû faire l'objet d'une demande de regroupement familial de la part de son époux, M. H..., ne peut qu'être écarté.

9. En quatrième lieu, le droit au séjour des ressortissants algériens étant entièrement régi par l'accord franco-algérien, les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne leur sont pas applicables. Le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'articles L.423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit dès lors être écarté comme inopérant.

10. En cinquième lieu, aux termes des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".

11. Il ressort des pièces du dossier que les trois enfants de Mme E... âgés d'un an, deux ans et quatre ans ont vocation à vivre avec leurs parents et que rien ne fait obstacle à ce que la famille reste unie alors que Mme E... et son époux, M. H..., ont la même nationalité. Par suite, pour ce motif et ceux exposés au point 3 du présent arrêt, la décision de refus de séjour en litige ne porte pas atteinte aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

12. En sixième et dernier lieu, il découle de ce qui a été dit au point 3 du présent arrêt, que le préfet du Morbihan n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de Mme E....

13. Il résulte de ce qui précède que le préfet du Morbihan est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal a annulé sa décision de refus de délivrance d'un titre de séjour à Mme E... et lui a enjoint de délivrer à cette dernière un certificat de résidence d'une durée d'un an.

Sur la requête n° 25NT00284 :

14. Dès lors qu'il est statué par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du préfet du Morbihan tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement sont privées d'objet. Il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de Mme E... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête enregistrée sous le n° 25NT00284 tendant au sursis à l'exécution du jugement n°2306425 du 15 janvier 2025 du tribunal administratif de Rennes

Article 2 : Le jugement n°2306425 du 15 janvier 2025 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 3 : Les conclusions de Mme E... présentées devant le tribunal et la cour sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Mme A... E....

Copie en sera adressée au préfet du Morbihan

Délibéré après l'audience du 20 mars 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Brisson, présidente de chambre,

- M. Vergne, président assesseur,

- Mme Marion, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2025.

La rapporteure,

I. MARION

La présidente,

C. BRISSON

Le greffier,

Y. MARQUIS

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

Nos 25NT00283, 25NT00284


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 25NT00283
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. BRISSON
Rapporteur ?: Mme Isabelle MARION
Rapporteur public ?: M. CATROUX
Avocat(s) : FLECK

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-04;25nt00283 ?
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