Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société d'exercice libéral à responsabilité limitée (SELARL) Pharmacie Caron a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne du 7 octobre 2021 portant autorisation de transfert de l'officine de pharmacie SELARL Pharmacie des Flots, située 8, Place de l'Eglise à Plounéour-Brignogan-Plages (Finistère) au lieu-dit " la Gare " de la même commune.
Par un jugement n° 2200009 du 4 avril 2024, le tribunal administratif de Rennes a annulé cette décision.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 26 avril 2024 et 16 janvier 2025, l'agence régionale de santé Bretagne demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 4 avril 2024 ;
2°) de rejeter la demande présentée devant le tribunal administratif de Rennes par la SELARL Pharmacie Caron.
Elle soutient que :
- la demande présentée devant le tribunal administratif était irrecevable dès lors que la pharmacie Caron, située dans la commune limitrophe de Ploudier, est très éloignée de la pharmacie des Flots et que leur clientèle est distincte ; la SELARL Pharmacie Caron ne justifiait dès lors d'aucun intérêt à agir ;
- son arrêté n'est pas entaché d'une erreur d'appréciation ; le nouveau local offre une très bonne visibilité ; il possède des places de stationnement, notamment pour les personnes à mobilité réduite (PMR), à proximité immédiate de l'entrée de la pharmacie qui, de plus, dispose d'un accès PMR ; il est accessible en transport en commun ;
- le dossier de la pharmacie des Flots était complet au regard des dispositions des articles 2 et 3 de l'arrêté du 30 juillet 2018 pris pour l'application des dispositions de l'article R. 5125-1 du code de la santé publique ;
- le nouvel emplacement répond aux exigences du 1° de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique, qui n'impose pas que la pharmacie soit accessible à pied depuis son implantation initiale s'il est accessible en transport en commun au moins une fois par jour ouvrable ; l'approvisionnement en médicaments de la population du quartier d'origine n'est donc pas compromis par ce transfert d'autant qu'en milieu rural les déplacements en voiture sont privilégiés ; le transfert a pour effet de recentrer l'unique pharmacie entre les centres-bourgs des deux anciennes communes et d'améliorer l'approvisionnement en médicaments de l'ensemble de la population ;
- l'accès à l'officine est aisé et les locaux sont conformes ainsi que l'exigent les dispositions de l'article L. 5125-3-2 du code de la santé publique.
Par des mémoire en défense, enregistrés les 25 octobre et 26 décembre 2024, la SELARL Pharmacie Caron, représentée par Me Dubourg, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge de l'ARS Bretagne au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par l'ARS Bretagne ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 décembre 2024, la SELARL Pharmacie des Flots, représentée par Me Gaspar, conclut à l'annulation du jugement attaqué et demande à la cour, à titre subsidiaire, de moduler les effets dans le temps de l'annulation de l'autorisation de transfert litigieuse et de préciser qu'elle ne prendrait effet que douze mois après son prononcé.
Elle soutient que :
- la pharmacie Caron, qui n'allègue qu'un intérêt personnel et financier, n'avait aucun intérêt à agir devant le tribunal administratif ;
- l'emplacement du local de transfert de la pharmacie des Flots est plus aisément accessible pour l'ensemble de la population résidente de la nouvelle commune et ne compromet pas son approvisionnement en médicaments ;
- ce local remplit les conditions d'accessibilité prévu au 1° de l'article L.5125-3 du code de la santé publique alors que l'ancienne officine ne permettait pas d'accueillir dans de bonnes conditions les personnes à mobilité réduite ;
- le tribunal aurait dû moduler l'effets de l'annulation qu'il a prononcée dès lors qu'elle ne peut plus réintégrer son ancien local et sera obligée de fermer son officine.
Le mémoire présenté le 3 février 2025 pour la SELARL Pharmacie Caron n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gélard,
- les conclusions de M. Catroux, rapporteur public.
- les observations de Me Dubourg, représentant la SELARL Pharmacie Caron ;
- et les observations de Me Hariot, substituant Me Gaspar, représentant la SELARL Pharmacie des Flots.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 juin 2021, Mme A..., pharmacienne, a demandé à l'agence régionale de santé (ARS) de Bretagne le transfert de l'officine pharmaceutique " des Flots ", située 8, place de l'Eglise à Plounéour-Brignogan-Plages (Finistère), au lieu-dit " la Gare " de la même commune. Par un arrêté du 7 octobre 2021, le directeur général de l'ARS a autorisé ce transfert. La SELARL " Pharmacie Caron ", implantée sur le territoire de la commune voisine de Ploudier, a contesté cette décision devant le tribunal administratif de Rennes. L'ARS de Bretagne relève appel du jugement du 4 avril 2024, par lequel les premiers juges ont annulé l'arrêté du 7 octobre 2021. Par un mémoire en défense, enregistré au greffe de la cour le 11 décembre 2024, la SELARL " Pharmacie des Flots " a également présenté des conclusions tendant à l'annulation de ce jugement.
Sur la recevabilité de la demande présentée par la SELARL " Pharmacie Caron " devant le tribunal administratif de Rennes :
2. La SELARL " Pharmacie Caron " exploite une officine de pharmacie dans la commune de Ploudier, qui est contigüe à celle de Plounéour-Brignogan-Plages. Il ressort des pièces du dossier que la distance séparant cette officine de celle " des Flots " avant son transfert au lieu-dit " la Gare " était d'environ 7,5 km, et sera ramenée à 5,2 km après ce transfert. De plus, le nouveau local sera situé à 450 m d'une maison de santé alors qu'auparavant elle en était distante de 2,3 km. L'effet attractif de ce regroupement de professionnels de santé comprenant notamment 5 médecins généralistes, alors que la commune de Ploudier n'en comporte elle-même aucun, est de nature à causer un préjudice à la SELARL " Pharmacie Caron ", qui justifie d'ailleurs d'une baisse de son activité postérieurement au transfert de l'office intervenu le 14 novembre 2022. Par suite, cette pharmacie justifiait d'un intérêt lui donnant qualité pour contester la décision litigieuse.
Sur la légalité de l'arrêté litigieux :
3. Aux termes de l'article L. 5125-3 du code de la santé publique dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision contestée : " Lorsqu'ils permettent une desserte en médicaments optimale au regard des besoins de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par le pharmacien demandeur au sein d'un quartier défini à l'article L. 5125-3-1, d'une commune ou des communes mentionnées à l'article L. 5125-6-1, sont autorisés par le directeur général de l'agence régionale de santé, respectivement dans les conditions suivantes : 1° Les transferts (...) d'officines, sous réserve de ne pas compromettre l'approvisionnement nécessaire en médicaments de la population résidente du quartier, de la commune ou des communes d'origine. / L'approvisionnement en médicaments est compromis lorsqu'il n'existe pas d'officine au sein du quartier, de la commune ou de la commune limitrophe accessible au public par voie piétonnière ou par un mode de transport motorisé répondant aux conditions prévues par décret, et disposant d'emplacements de stationnement (...) ". A cet égard, l'article L 5125-3-2 du même code dispose que : " Le caractère optimal de la desserte en médicaments au regard des besoins prévu à l'article L. 5125-3 est satisfait dès lors que les conditions cumulatives suivantes sont respectées : 1° L'accès à la nouvelle officine est aisé ou facilité par sa visibilité, par des aménagements piétonniers, des stationnements et, le cas échéant, des dessertes par les transports en commun ; 2° Les locaux de la nouvelle officine remplissent les conditions d'accessibilité mentionnées aux articles L. 164-1 à L. 164-3 du code de la construction et de l'habitation, ainsi que les conditions minimales d'installation prévues par décret. Ils permettent la réalisation des missions prévues à l'article L. 5125-1-1 A du présent code et ils garantissent un accès permanent du public en vue d'assurer un service de garde et d'urgence (...) ". Enfin, selon l'article L 5125-3-3 de ce code : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 5125-3-2, le caractère optimal de la réponse aux besoins de la population résidente est apprécié au regard des seules conditions prévues aux 1° et 2° du même article dans les cas suivants : 1° Le transfert d'une officine au sein d'un même quartier, ou au sein d'une même commune lorsqu'elle est la seule officine présente au sein de cette commune ; 2° Le regroupement d'officines d'un même quartier au sein de ce dernier. ".
4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'autorité administrative ne peut autoriser le transfert d'une officine pharmaceutique qu'à la double condition, d'une part, qu'il permette de répondre de façon optimale aux besoins en médicaments de la population résidant dans le quartier d'accueil et, d'autre part, qu'il n'ait pas pour effet de compromettre l'approvisionnement de la population résidente du quartier d'origine. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir de vérifier si les projets de transfert d'officines de pharmacie sur lesquels l'autorité administrative se prononce remplissent cette double condition.
5. Pour annuler l'autorisation de transfert délivrée le 7 octobre 2021 à la SELARL " Pharmacie des Flots ", le tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance des dispositions précitées du 1° de l'article L. 5125-3-2 du code de la santé publique, le projet en litige ne permettant pas, selon les premiers juges, une desserte en médicaments optimale, faute pour l'accès à la nouvelle officine d'être aisé ou facilité par des aménagements piétonniers.
6. Il ressort des pièces du dossier que la " pharmacie des Flots " est la seule officine de la commune nouvelle de Plounéour Brignogan-Plages, créée le 1er janvier 2017 par le regroupement des communes de Brignogan-Plages et de Plounéour-Trez et que le transfert envisagé l'éloigne de la zone urbanisée de l'ancienne commune de Brignogan-Plages sans pour autant se situer dans le bourg de Plounéour-Trez, qui accueille une population résidente plus importante. Il est constant que l'immeuble qui accueillera l'officine de la " pharmacie des Flots " après son transfert, qui est doté de plusieurs places de stationnement notamment pour personnes à mobilité réduite, se situe au carrefour de la route départementale 770 reliant le quartier de Brignogan-Plages, où était située la " pharmacie des Flots ", à la commune de Lesneven, et de la route de la Gare, permettant notamment de rejoindre le bourg de Plounéour-Trez. Si ces voies très fréquentées sont desservies par une ligne de bus, l'arrêt " Trégueiller " de la ligne 24, le plus proche du local de transfert, en est distant d'un kilomètre et nécessite un trajet à pied d'environ 10 minutes. De plus, la fréquence des bus, assez limitée, ne permet pas d'assurer une desserte régulière de ce site, notamment après 17h ou le week-end. Si l'ARS et la SELARL " Pharmacie des Flots " se prévalent d'un projet de modification de la ligne 24 afin de permettre une meilleure desserte du lieu-dit " la Gare ", cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision contestée qui s'apprécie à la date à laquelle elle a été prise. Par ailleurs, il ressort des éléments photographiques produits au dossier que ces voies de circulation, et notamment la RD 770, sont dépourvues, à la date de l'arrêté en litige, de tout trottoir ou cheminement piétonnier aménagé et sécurisé. Ainsi, ni les usagers du bus, ni les autres patients désirant se rendant à pied à l'officine depuis le quartier de Brignogan-Plages situé à plus de de 2 km, et notamment les patients âgés ou à mobilité réduite, ne peuvent y accéder dans des conditions de sécurité satisfaisantes. Dans ces conditions, et alors même que le nouveau local répond aux normes d'accessibilité, y compris pour les personnes à mobilité réduite, c'est à bon droit que le tribunal administratif a estimé que l'une des conditions cumulatives posées par le 1° de l'article L. 5125-3-2 du code de la santé publique n'était pas satisfaite par le projet et que celui-ci ne pouvait légalement être regardé par le directeur général de l'ARS Bretagne comme permettant une desserte optimale en médicaments de la population résidente et du lieu d'implantation choisi par la pétitionnaire.
7. Il résulte de tout ce qui précède que l'ARS de Bretagne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 7 octobre 2021.
Sur le report dans le temps des effets de l'annulation :
8. L'annulation d'un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n'être jamais intervenu. Toutefois, s'il apparaît que cet effet rétroactif de l'annulation est de nature à emporter des conséquences manifestement excessives en raison tant des effets que cet acte a produits et des situations qui ont pu se constituer lorsqu'il était en vigueur que de l'intérêt général pouvant s'attacher à un maintien temporaire de ses effets, il appartient au juge administratif, après avoir recueilli sur ce point les observations des parties et examiné l'ensemble des moyens, d'ordre public ou invoqués devant lui, pouvant affecter la légalité de l'acte en cause, de prendre en considération, d'une part, les conséquences de la rétroactivité de l'annulation pour les divers intérêts publics ou privés en présence et, d'autre part, les inconvénients que présenterait, au regard du principe de légalité et du droit des justiciables à un recours effectif, une limitation dans le temps des effets de l'annulation. Il lui revient d'apprécier, en rapprochant ces éléments, s'ils peuvent justifier qu'il soit dérogé à titre exceptionnel au principe de l'effet rétroactif des annulations contentieuses et, dans l'affirmative, de prévoir dans sa décision d'annulation que, sous réserve des actions contentieuses engagées à la date de celle-ci contre les actes pris sur le fondement de l'acte en cause, tout ou partie des effets de cet acte antérieurs à son annulation devront être regardés comme définitifs ou même, le cas échéant, que l'annulation ne prendra effet qu'à une date ultérieure qu'il aura déterminée.
9. L'autorisation de transfert de l'officine pharmaceutique exploitée par la SELARL " Pharmacie des Flots " a été prise le 7 octobre 2021. L'article 2 de cette décision précise qu'elle ne prendra effet qu'à l'issue d'un délai de trois mois à compter de sa notification au demandeur. Son article 4 prévoit que toute fermeture définitive de l'officine entraîne la caducité de la licence qui doit être remise au directeur général de l'agence régionale de santé Bretagne. Eu égard à l'incidence que l'annulation de l'autorisation de transfert est susceptible d'avoir sur la desserte en médicaments dans la commune de Plounéour Brignogan-Plages, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il n'a pas précisé que l'annulation de la décision attaquée prendrait effet à une date ultérieure à sa notification. Dans les circonstances de l'espèce, l'annulation de la décision du 7 octobre 2021 prendra effet dans un délai de 12 mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
10. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'ARS de Bretagne le versement à la SELARL " Pharmacie Caron " d'une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'annulation de la décision du 7 octobre 2021 prendra effet dans un délai de douze mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 2 : Le jugement n° 2200009 du 4 avril 2024 du tribunal administratif de Rennes est réformé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'ARS de Bretagne et de la SELARL " Pharmacie des Flots " est rejeté.
Article 4 : L'ARS de Bretagne versera à la SELARL " Pharmacie Caron " une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles, à l'agence régionale de santé Bretagne, à la SELARL " Pharmacie Caron " et à la SELARL " Pharmacie des Flots ".
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Brisson, présidente de chambre,
- M. Vergne, président-assesseur,
- Mme Gélard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2025.
La rapporteure,
V. GELARDLa présidente,
C. BRISSON
Le greffier,
Y. MARQUIS
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 24NT01273