Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 novembre 2022 de l'autorité consulaire française à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à l'enfant Hadya B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2302919 du 25 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 avril 2023 de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 22 novembre 2023, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le lien de filiation allégué n'est pas établi dès lors que l'acte de naissance produit est dépourvu de valeur probante, que M. B... a affirmé ne pas avoir de fille et qu'il résidait en Belgique à l'époque où l'enfant a été conçu en Afghanistan ;
- en conséquence, la décision contestée ne méconnaît ni l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 janvier 2024, M. B..., représenté par Me Pollono, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;
2°) subsidiairement, d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
3°) subsidiairement, de prescrire avant dire droit une expertise génétique afin de confirmer le lien de filiation l'unissant à l'enfant Hadya B... ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
M. B... a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 janvier 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Mas,
- et les observations de Me Pollono, représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 25 septembre 2023, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. D... B..., bénéficiaire de la protection subsidiaire, la décision du 6 avril 2023 par laquelle la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 30 novembre 2022 de l'autorité consulaire française de l'ambassade de France à Téhéran (Iran) refusant de délivrer à son enfant alléguée Hadya B... un visa d'entrée et de long séjour au titre de la réunification familiale et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". Il résulte de ces dispositions que lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'une personne bénéficiant de la qualité de réfugié, l'autorité diplomatique ou consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressée avec la personne protégée.
3. Aux termes de l'article L. 561-5 du même code : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ". Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ".
5. Pour refuser de délivrer le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur ce que le lien de filiation allégué entre l'enfant Hadya B... et M. D... B... n'est pas établi et de ce que les déclarations contradictoires de l'intéressé conduisent à conclure à une tentative frauduleuse pour obtenir un visa au titre de la réunification familiale.
6. Pour justifier du lien de filiation qui l'unit à l'enfant Hadya, le requérant produit l'acte de naissance de l'intéressée, qui atteste de sa naissance le 16 mai 2018 dans la province de Kaboul (Afghanistan), ainsi que son passeport qui mentionnent des nom et prénoms, une date et un lieu de naissance concordants.
7. En premier lieu, le ministre de l'intérieur fait valoir que la date d'établissement de l'acte de naissance n'est pas renseignée et que le même numéro de tazkera est attribué au père de l'enfant sur l'acte de naissance de celle-ci, ainsi qu'à l'enfant sur le passeport de l'intéressée. Si M. B... soutient que le numéro de tazkera du père tient lieu de numéro de tazkera d'un enfant de moins de 6 ans, il n'en justifie aucunement et ne se réfère en particulier à aucune disposition de droit local en ce sens. Il ne justifie pas davantage être titulaire de la tazkera ayant ce numéro. En outre, cet acte de naissance indique que le père de l'enfant a sa résidence permanente dans la province de Logar, en Afghanistan, tandis qu'il ressort des pièces du dossier que M. B... résidait en France à la date de naissance de l'enfant.
8. En deuxième lieu, ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur, dans le cadre de l'examen de sa demande d'asile, M. B... a déclaré sans ambiguïté devant l'officier de protection de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 8 mars 2019, soit après la naissance de sa fille alléguée le 16 mai 2018, n'avoir qu'un seul enfant de sexe masculin. En outre, il ressort des pièces du dossier que M. B... a vécu en Belgique, où il a formé des demandes d'asile en avril 2012, avril 2014 et juin 2014 et où des publications sur un réseau social attestent de sa présence jusqu'au début de l'année 2017. Si M. B... soutient être retourné en Afghanistan en 2017, il ne précise pas à quelle date et par quel moyen et n'en justifie pas par les pièces qu'il produit. Ainsi, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... était en Afghanistan à la date à laquelle l'enfant y a été conçu.
9. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le lien de filiation unissant cet enfant à M. B... ne peut être regardé comme établi par l'acte de naissance produit par M. B....
10. En troisième lieu, si M. B... justifie avoir déclaré le 17 septembre 2019 auprès de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides être le père de l'enfant Hadya et produit quelques photographiques qui auraient été prises avec ses enfants lors de séjours au Pakistan, des échanges sur messagerie instantanée datant de 2023, quelques attestations de proches et des mandats de transfert d'argent à destination de son épouse alléguée en 2022 et 2023, ces seuls éléments sont insuffisants pour établir le lien de filiation entre l'enfant Hadya et M. B... par une possession d'état continue, paisible, publique et non équivoque.
11. Il en résulte que c'est à tort que, pour annuler la décision du 6 avril 2023 de la commission de recours, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur ce que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 561-2, L. 561-5 et L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
13. En premier lieu, la décision contestée du 6 avril 2023 comporte l'exposé des motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement. Le moyen tiré de son absence de motivation, initialement dirigé contre la décision implicite à laquelle s'est substituée cette décision expresse, ne peut dès lors qu'être écarté.
14. En second lieu, le lien familial allégué n'étant pas établi, les moyens tirés de la méconnaissance des articles 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de prescrire une analyse génétique, que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 6 avril 2023 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
16. Le présent arrêt, qui rejette la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes, n'appelle aucune mesure d'exécution. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte présentées par M. B... ne peuvent dès lors qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de M. B... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 25 septembre 2023 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La demande de M. B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes est rejetée.
Article 3 : Les conclusions d'appel présentées par M. B... aux fins d'injonction et d'astreinte et au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à M. D... B....
Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Mas, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2025.
Le rapporteur,
B. MASLa présidente,
C. BUFFET
La greffière,
M. LE REOUR
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23NT03420