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20/06/2025 | FRANCE | N°24NT00745

France | France, Cour administrative d'appel de NANTES, 2ème chambre, 20 juin 2025, 24NT00745


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... E... K... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 25 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 septembre 2022 de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de délivrer aux enfants I... E... A... et J... E... F... des visas de long séjour sollicités au titre de la procéd

ure de réunification familiale.



Par un jugement n° 2303599 du 9 février 2024, le...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... E... K... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite née le 25 janvier 2023 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 septembre 2022 de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de délivrer aux enfants I... E... A... et J... E... F... des visas de long séjour sollicités au titre de la procédure de réunification familiale.

Par un jugement n° 2303599 du 9 février 2024, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 mars 2024, M. E... K..., représenté par Me Gay, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 9 février 2024 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision du 23 septembre 2022 de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo ;

3°) d'annuler la décision implicite née le 25 janvier 2023 de la commission de recours ;

4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer les demandes de visas ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'identité et le lien de filiation des enfants I... E... A... et J... E... F... à son égard sont établis par les pièces produites ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 juillet 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 12 septembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 modifiée relative à l'aide juridique ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Montes-Derouet a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., ressortissant de la République démocratique du Congo, né en 1964, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié en 2012. Par une décision du 23 septembre 2022, l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo a refusé de délivrer les visas d'entrée et de long séjour sollicités au titre de la procédure de réunification familiale pour les enfants, I... E... A... et J... E... F.... Par une décision implicité née le 25 janvier 2023, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces refus de visa. Par un jugement du 9 février 2024 dont il relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. E....

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par le ministre de l'intérieur :

2. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable au litige : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ".

3. Pour justifier de la formation, auprès de la commission de recours, d'un recours administratif préalable obligatoire, M. E... produit une copie de l'avis de réception postal d'une lettre recommandée le mentionnant comme l'expéditeur du courrier auquel l'avis de réception postal est renvoyé, et la commission de recours comme la destinataire de ce courrier. Le cachet de la sous-direction des visas est apposé sur cet avis de réception avec la date du 25 novembre 2022 et la mention " arrivée ". Le silence gardé par cette commission pendant les deux mois suivant la réception de ce recours a fait naître une décision implicite de rejet du recours à la date du 25 janvier 2023. Par suite, il y a lieu d'écarter la fin de non-recevoir opposée en défense, tirée de l'absence d'exercice du recours administratif préalable obligatoire devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

En ce qui concerne la légalité des décisions contestées :

4. Aux termes de l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au litige : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier ". Il résulte de ces dispositions que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se substitue à la décision des autorités consulaires. Par suite, la décision implicite de cette commission s'est substituée à la décision de l'autorité diplomatique française en République démocratique du Congo. Les conclusions de la requête doivent, dès lors, être regardées comme dirigées contre la seule décision de la commission de recours.

5. Il ressort des écritures en défense du ministre que, pour refuser la délivrance des visas sollicités, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés de ce qu'il n'est pas justifié d'une délégation de l'autorité parentale par une décision de justice et de ce que les documents produits lors du dépôt de la demande de visa ne permettent pas de justifier du lien de filiation des demandeurs de visa à l'égard du réunifiant.

6. En premier lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / (...) / 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) ". L'article L. 561-5 du même code prévoit que : " Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. Ils produisent pour cela les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. / En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 121-9 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. ".

7. L'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoit que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Cet article, dans sa rédaction applicable au litige, dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ".

8. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

9. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

10. Pour justifier de l'identité et de la filiation des enfants I... E... A... et J... E... F... à son égard, M. E... a produit deux actes de naissance établis, respectivement, les 27 mai 2008 et 8 mai 2009 par l'officier d'état-civil du bureau principal de la commune de Kadutu, sous les n° 225 volume VIII/2008 et 265 volume XV/2009. Si ces deux actes présentent des erreurs d'écriture dactylographiées, telles que " lecture de l'acte a été faire ", " traduction de l'acte a acte faite en français ", " en foi de quoi avons dressé la pressente acte ", ces seules coquilles ne sont pas de nature à établir le caractère non probant de l'ensemble des mentions essentielles qu'il comporte et qui ne sont pas critiquées par le ministre, à savoir, les nom, prénom, date et lieux de naissance des enfants ainsi que les prénom, nom, dates de naissance, profession et lieux de résidence des père et mère, concordants sur les deux actes, à savoir M. E... K... D... et Mme H.... Le requérant produit en outre une lettre du 13 octobre 2022, par laquelle le maire de Kadutu atteste du caractère authentique de ces actes de naissance " dressés par sa prédécesseure ". Le requérant produit également, pour chacun des demandeurs de visa, des actes de naissance expurgés des coquilles relevées par le ministre, dressés le 15 novembre 2023 en transcription d'un jugement supplétif rendu le 31 août 2023 par le tribunal pour enfants de C.... Enfin, si le ministre se prévaut d'une note du 15 février 2022 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides indiquant que M. E... a déclaré être le père des enfants " B... E... A... " et " L... E... F... " nés les 4 mai 2008 et 19 avril 2009, les énonciations de cette note sont infirmées par l'extrait, produit par M. E..., de l'entretien qu'il a eu en 2011, lors de sa demande d'asile, au cours duquel il a cité les demandeurs de visa comme se dénommant Caimano et A... et comme alors âgés de 2 et 3 ans. Dans ces conditions, en estimant que l'identité et le lien de filiation des jeunes I... E... A... et J... E... F... à l'égard de M. E... n'étaient pas établis et en refusant de délivrer les visas sollicités pour ce motif, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.

11. En second lieu, aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux procédures de réunification familiale sur le fondement de l'article L. 561-4 du même code : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs (...) : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". L'article L. 434-4 de ce code, auquel l'article L. 561-4 renvoie également, dispose : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs (...) du demandeur (...), qui [lui] sont confiés, (...) au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".

12. M. E... a produit un certificat de décès, établi le 3 janvier 2022 par l'officier d'état-civil de la commune de Kadutu, faisant état de la survenance, le 15 décembre 2021, du décès de Mme H.... Si le ministre fait valoir que cet acte n'indique pas la date et le lieu de naissance, mentions requises par l'article 134 du code de famille congolais, mais son âge à la date de son décès, et que le jeune I... E... A... a indiqué, le 6 janvier 2022, lors de sa demande de visa, résider avec sa mère, ces circonstances ne suffisent pas à remettre en cause le caractère probant de cet acte, alors qu'il ressort des mentions non contestées de cet acte que le décès en cause n'a été déclaré que le 3 janvier 2022 et que M. E... explique que le jeune I... E..., parti rejoindre sa tante à Brazzaville, à plus de 2 000 km de Kadutu, pour déposer sa demande de visa, était alors dans l'ignorance de la survenance entretemps de ce décès. En tout état de cause, M. E... produit un nouvel acte de décès de Mme H..., dressé le 29 décembre 2023 en transcription du jugement supplétif rendu le 27 décembre 2023 par le tribunal de paix de C..., mentionnant la date et le lieu de naissance de la personne défunte, dont l'authenticité n'est pas contestée par le ministre. Au regard de ces éléments, le décès de l'intéressée doit être regardé comme établi. Il en résulte que la réunification familiale n'était pas subordonnée à une délégation de l'autorité parentale sur les jeunes I... E... A... et J... E... F... au bénéfice de M. E.... Dans ces conditions, en refusant les visas sollicités au motif qu'il n'était pas justifié d'une délégation de l'autorité parentale de la part de leur mère, la commission de recours a fait une inexacte application des dispositions précitées.

13. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

14. Le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit délivré aux jeunes I... E... A... et J... E... F... les visas d'entrée et de long séjour qu'ils sollicitent. Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

15. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur de 25 %. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Gay de la somme de 800 euros, dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du 9 février 2024 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite née le 25 janvier 2023 de la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes I... E... A... et J... E... F... les visas d'entrée et de long séjour sollicités, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à Me Gay une somme de 800 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à M. D... E... K... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 3 juin 2025, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Mas, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 juin 2025.

La rapporteure,

I. MONTES-DEROUET

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

M. G...

La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 24NT00745


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de NANTES
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24NT00745
Date de la décision : 20/06/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: M. LE BRUN
Avocat(s) : GAY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-20;24nt00745 ?
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