Vu la décision n° 320294 du 24 mars 2010 par laquelle le Conseil d'Etat, statuant sur le pourvoi en cassation présenté par M. André A, demeurant ..., après avoir annulé l'arrêt du 24 juin 2008 par lequel la Cour administrative d'appel de Paris a rejeté la requête de M. A tendant à l'annulation du jugement du 26 juin 2007 du Tribunal administratif de Paris rejetant sa demande tendant à la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser une indemnité de 318 500 euros assortie des intérêts au taux légal en réparation des préjudices résultant pour lui de sa contamination par le virus de l'hépatite C, a renvoyé l'affaire à la Cour de céans ;
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Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de soins ;
Vu la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 ;
Vu les décrets n° 2010-251 et n° 2010-252 du 11 mars 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 24 février 2011 :
- le rapport de Mme Folscheid, rapporteur,
- les conclusions de M. Jarrige, rapporteur public,
- et les observations de Me Godard, pour M. A ;
Sur l'intervention de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux et la demande de mise hors de cause présentée par l'Etablissement français du sang :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 1221-14 du code de la santé publique issu du I de l'article 67 de la loi susvisée du 17 décembre 2008 : Les victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus de l'hépatite C causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de médicaments dérivés du sang réalisée sur les territoires auxquels s'applique le présent chapitre sont indemnisées par l'office mentionné à l'article L. 1142-22 dans les conditions prévues à la seconde phrase du troisième alinéa de l'article L. 3122-1, aux deuxième et troisième alinéas de l'article L. 3122-2, au premier alinéa de l'article L. 3122-3 et à l'article L. 3122-4 (...) ; qu'aux termes du IV du même article 67 de la loi du 17 décembre 2008 : A compter de la date d'entrée en vigueur du présent article, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales se substitue à l'Etablissement français du sang dans les contentieux en cours au titre des préjudices mentionnés à l'article L. 1221-14 du code de la santé publique n'ayant pas donné lieu à une décision irrévocable (...) ;
Considérant qu'il est constant que, du fait des dispositions de l'article 67 de la loi du 17 décembre 2008, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) se trouve substitué à l'Etablissement français du sang (EFS) dans la présente instance pour indemniser, le cas échéant, le préjudice subi par M. A résultant de sa contamination par le virus de l'hépatite C ; que toutefois la Cour de céans, par arrêt n° 08PA03263 du 11 octobre 2010, a saisi le Conseil d'Etat, sur le fondement de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, d'une demande d'avis sur la question de savoir si lesdites dispositions font obstacle à l'exercice par les tiers payeurs, d'un recours subrogatoire à l'encontre de l'ONIAM et, dans l'affirmative, si l'EFS doit être maintenu en cause d'appel pour statuer ce que de droit sur le recours subrogatoire des tiers payeurs ; que cette demande d'avis fait obstacle à ce que la Cour se prononce, dès le présent arrêt et avant l'avis à intervenir, sur la demande de mise hors de cause présentée par l'EFS ;
Au fond :
Sur l'origine de la contamination :
Considérant qu'aux termes de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 relative au droit des malades et à la qualité du système de santé : En cas de contestation relative à l'imputabilité d'une contamination par le virus de l'hépatite C antérieure à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, le demandeur apporte des éléments qui permettent de présumer que cette contamination a pour origine une transfusion de produits sanguins labiles ou une injection de médicaments dérivés du sang. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que cette transfusion ou cette injection n'est pas à l'origine de la contamination. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Le doute profite au demandeur. (...) ;
Considérant, d'une part, que la présomption légale instituée par ces dispositions s'applique à la relation de cause à effet entre une transfusion sanguine et la contamination par le virus de l'hépatite C ultérieurement constatée mais ne concerne pas l'existence même de la transfusion ; qu'il incombe donc au demandeur d'établir l'existence de la transfusion qu'il affirme avoir subie conformément aux règles de droit commun gouvernant la charge de la preuve devant le juge administratif ; que cette preuve peut être apportée par tout moyen et est susceptible de résulter, notamment dans l'hypothèse où les archives de l'hôpital ou du centre de transfusion sanguine ont disparu, de témoignages et d'indices concordants dont les juges du fond apprécient souverainement la valeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport établi en janvier 2006 par l'expert désigné par le juge des référés du Tribunal administratif de Paris, que M. A, victime d'un grave accident le 25 octobre 1986, a été hospitalisé à partir du 3 novembre 1986 à l'Hôtel Dieu relevant de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, qu'il y a subi jusqu'en février 1988 de nombreuses et importantes interventions nécessitant normalement des transfusions sanguines, que quarante-huit unités de produits sanguins lui étant destinées ont été reçues par l'Hôtel Dieu et qu'il a été contaminé par deux virus de l'hépatite C, circonstance rare résultant généralement d'une contamination d'origine transfusionnelle ; que, compte tenu de ce faisceau d'indices concordants et alors même que l'Hôtel Dieu n'a pas été en mesure de fournir les documents établissant le suivi des produits sanguins qu'il avait reçus pour être transfusés à M. A, l'existence d'actes transfusionnels doit être regardée comme établie ;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 102 de la loi du 4 mars 2002 qu'il appartient au demandeur, non pas seulement de faire état d'une éventualité selon laquelle sa contamination par le virus de l'hépatite C provient d'une transfusion, mais d'apporter un faisceau d'éléments conférant à cette hypothèse, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que si tel est le cas, la charge de la preuve contraire repose sur le défendeur ; que ce n'est qu'au stade où le juge, au vu des éléments produits successivement par ces parties, forme sa conviction que le doute profite au demandeur ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction, notamment du rapport d'expertise précité, que la vérification de la sérologie des quarante-huit unités de produits sanguins destinées à M. A pour la période considérée n'a pas été possible, en l'absence de traçabilité desdits produits au niveau de l'établissement de soins ; que l'expert a examiné les différents facteurs de risques de contamination à l'hépatite C auxquels avait pu être exposé l'intéressé ; que, hormis le risque de contamination transfusionnelle, il n'a pas écarté un risque nosocomial lié aux nombreuses opérations chirurgicales avec anesthésies générales, soins locaux, pansements, injections parentérales, nombreuses endoscopies et trois mois de séjour en réanimation ; qu'il a toutefois souligné dans son rapport que les transfusions de l'intéressé avaient eu lieu en 1986, année à haut risque , que le malade avait été massivement transfusé dans une région où le risque était élevé (région parisienne) et qu'il avait présenté une double contamination par deux virus de l'hépatite C, ce qui est très exceptionnel et, selon la note de l'expert en date du 11 avril 2006, majore encore le risque transfusionnel ; que ces éléments confèrent à l'hypothèse d'une contamination transfusionnelle, compte tenu de toutes les données disponibles, un degré suffisamment élevé de vraisemblance ; que le défendeur, en se bornant à contester la réalité des transfusions, qui, ainsi qu'il a été dit, doit être regardée comme établie, n'apporte pas la preuve contraire ; qu'ainsi, le doute profitant au demandeur, le lien de causalité entre les transfusions réalisées à l'Hôtel Dieu et la contamination de M. A doit être regardé comme établi ;
Sur les préjudices :
Considérant que si M. A demande à titre principal la condamnation de l'EFS, auquel l'ONIAM a été substitué, à lui verser la somme de 318 500 euros en réparation des différents préjudices qu'il a subis du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C, le rapport de l'expert établi en janvier 2006 ne permet pas à la Cour de se prononcer sur l'étendue desdits préjudices, ni même sur la consolidation de l'état de santé de l'intéressé, l'expert ayant estimé nécessaire un recul d'un an minimum après la fin du traitement, intervenue en août 2005, pour se prononcer sur ces points ;
Considérant qu'il y a lieu, en conséquence, de faire droit aux conclusions présentées à titre subsidiaire par le requérant en ordonnant, avant-dire droit, une expertise complémentaire aux fins précisées ci-après ;
D E C I D E :
Article 1er : Il sera, avant de statuer sur les conclusions de M. A et de la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados procédé à un complément d'expertise par le Professeur B.
Article 2 : L'expert sera désigné par le président de la Cour. Il accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : L'expert aura pour mission de dire si l'état de M. A s'est amélioré ou aggravé depuis le 15 janvier 2006, date du premier rapport d'expertise ; de fixer la date de consolidation ; de donner tous éléments d'appréciation sur les préjudices subis par M. A, en relation directe avec l'hépatite C dont il souffre et, en particulier, sur la durée de l'incapacité temporaire totale, le taux de l'éventuelle incapacité permanente partielle, le préjudice d'agrément, l'importance des souffrances physiques endurées et le préjudice esthétique ; d'indiquer si les arrêts de travail de M. A à compter du 1er mars 2004 et jusqu'au 31 janvier 2006, puis son placement en invalidité le 2 janvier 2007 sont imputables en tout ou partie à son hépatite C, à sa bithérapie ou à d'autres traitements de cette pathologie, et de préciser les frais médicaux et d'appareillage rattachables à sa contamination litigieuse et ses suites, y compris les frais futurs.
Article 4 : Le rapport d'expertise sera déposé au greffe de la Cour en deux exemplaires dans le délai de deux mois suivant la prestation de serment.
Article 5 : L'expert notifiera une copie de son rapport à M. A, à l'Etablissement français du sang, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie du Calvados.
Article 6 : Tous les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.
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N° 10PA01538