Vu la requête, enregistrée le 23 septembre 2010, présentée pour la Société d'exploitation de la Tour Eiffel (SETE), dont le siège est 5 avenue Anatole France, Champ de Mars à Paris (75007), représentée par son directeur général en exercice, par la Selarl Mignard ; la Société d'exploitation de la Tour Eiffel demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0714038/6-3 en date du 9 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la Société française d'exploitation des restaurants (SOFEREST) la somme de 370 760 euros TTC ;
2°) de rejeter la demande de la SOFEREST ;
3°) de mettre à la charge de la SOFEREST le versement d'une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 novembre 2012 :
- le rapport de M. Boissy, rapporteur,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,
- les observations de Me Gauch, substituant Me Pachen Lefevre, pour la Société d'exploitation de la Tour Eiffel, et celles de Me Dal Farra, pour la Société française d'exploitation des restaurants venant aux droits de la société Eliance Tour Eiffel ;
- et connaissance prise de la note en délibéré en date du 7 novembre 2012, présentée pour la Société française d'exploitation des restaurants venant aux droits de la société Eliance Tour Eiffel, par Me Dal Farra ;
1. Considérant que, par une convention du 25 mai 1981, la Ville de Paris a concédé jusqu'au 31 décembre 2005 à la Société Nouvelle d'Exploitation de la Tour Eiffel (SNTE), devenue la Société d'exploitation de la Tour Eiffel (SETE), l'exploitation de la Tour Eiffel ; que, le 16 octobre 1981, la SNTE a conclu avec la société Eliance Maxim's International, à laquelle s'est substituée en 1983 la société Eliance Tour Eiffel, aux droits de laquelle vient la Société française d'exploitation des restaurants (SOFEREST), une convention intitulée " convention d'occupation temporaire pour l'exercice d'une activité commerciale sur la Tour Eiffel ", aux fins d'exploitation de restaurants, de débits de boissons et de vente de produits alimentaires destinés à la consommation sur place ; que cette convention, initialement conclue jusqu'au 31 décembre 1997, a été prolongée jusqu'au 31 décembre 2006 par cinq avenants respectivement signés les 21 mars 1994, 8 août 2003, 1er décembre 2005, 26 janvier 2006 et 4 mai 2006 ; que la Ville de Paris a conclu avec la SETE une convention de délégation de service public à compter du 1er janvier 2006 ; que la SETE a alors décidé, après une mise en concurrence, d'attribuer, à compter du 1er janvier 2007, la gestion et l'exploitation de restaurants et de boissons à un groupement solidaire constitué des sociétés Altima SA et Millenia SA ; que, le 19 décembre 2006, la SETE a demandé à la société Eliance Tour Eiffel de lui remettre gratuitement, au 31 décembre 2006, les équipements et le matériel nécessaires à l'exploitation des restaurants et des buffets ; que, le même jour, la société Eliance Tour Eiffel s'est opposée à la reprise de ces biens sans contrepartie financière ; que la SETE ayant réitéré le 21 décembre 2006 sa position exprimée le 19 décembre 2006, la société Eliance Tour Eiffel a alors accepté de laisser les biens litigieux sous la garde de la SETE après en avoir fait dresser l'inventaire par un huissier le 30 décembre 2006 ; que, par un courrier du 5 février 2007, la société Eliance Tour Eiffel a toutefois expressément demandé à la SETE de lui restituer ces biens et, à défaut, de lui verser la somme de 310 000 euros HT, soit 370 760 euros TTC, correspondant, selon elle, à la valeur de l'ensemble des biens figurant sur l'inventaire ; que, par la présente requête, la SETE fait appel du jugement du 9 juillet 2010 par lequel le Tribunal administratif de Paris l'a condamnée à verser à la SOFEREST la somme de 370 760 euros TTC ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :
2. Considérant que la SETE a formulé pour la première fois les moyens, susvisés, tirés de l'irrégularité du jugement attaqué, dans un mémoire qui a été enregistré le 30 octobre 2012, après l'expiration du délai d'appel ; que, dès lors, ces moyens, qui relèvent d'une cause juridique distincte de ceux, relatifs au bien-fondé du jugement attaqué, qui ont été présentés dans sa requête d'appel, sont irrecevables ;
En ce qui concerne le bien-fondé du jugement attaqué :
S'agissant de la responsabilité de la SETE :
3. Considérant qu'indépendamment des cas dans lesquels le législateur a lui-même entendu reconnaître ou, à l'inverse, exclure l'existence d'un service public, une personne privée qui assure une mission d'intérêt général sous le contrôle de l'administration et qui est dotée à cette fin de prérogatives de puissance publique est chargée de l'exécution d'un service public ; que, même en l'absence de telles prérogatives, une personne privée doit également être regardée, dans le silence de la loi, comme assurant une mission de service public lorsque, eu égard à l'intérêt général de son activité, aux conditions de sa création, de son organisation ou de son fonctionnement, aux obligations qui lui sont imposées ainsi qu'aux mesures prises pour vérifier que les objectifs qui lui sont assignés sont atteints, il apparaît que l'administration a entendu lui confier une telle mission ;
4. Considérant qu'en vertu de l'article 9 de la convention du 25 mai 1981, la SETE " s'efforcera de créer une animation, notamment aux premiers et deuxième étages, compatible avec le caractère du bâtiment. / A cette fin, et pour offrir aux visiteurs des conditions d'accueil optimale, elle pourra exploiter par elle-même, ou par des concessionnaires, des restaurants, brasseries, bars, stands de souvenirs, expositions, boutiques de présentation ou de vente d'articles de Paris ou d'articles régionaux, salles de spectacles, musées, présentations audiovisuelles, bureau de poste ou agence postale, et toute activité susceptibles de présenter un intérêt dans le cadre de l'animation du monument. Elle devra tenir la Ville de Paris informée de ses réalisations dans ce domaine et lui soumettre les traités de concession dont la durée excèderait deux années, la Ville de Paris lui faisant connaître dans le délai d'un mois, les éventuelles observations qu'elle jugerait nécessaires. / Les traités de concession (...) devront stipuler que les concessionnaires auront l'obligation de s'assurer, pour une valeur suffisante, contre les risques d'incendie et d'explosion ainsi que contre les dommages causés aux tiers, de communiquer à la société, sur simple demande de sa part, les polices souscrites et de lui justifier à tout moment du paiement des primes " ;
5. Considérant que même si l'activité des restaurants, dont le " Jules Verne ", et des points de vente de divers aliments contribue à l'accueil des touristes dans la capitale et concourt ainsi au rayonnement du monument, il ne résulte pas de l'instruction, et en particulier de l'analyse des stipulations de la convention du 25 mai 1981 liant la Ville de Paris à la SETE, que la collectivité parisienne aurait investi la SETE de prérogatives de puissance publique qu'elle serait susceptible de mettre en oeuvre dans le cadre de l'exploitation des différentes activités commerciales qu'abrite la Tour Eiffel ; que si, en vertu de cette convention, la Ville de Paris fixe les tarifs d'ascension du monument ainsi que le programme des travaux et exige de son délégataire qu'il rende la tour accessible toute l'année, elle ne lui impose en revanche pas de contraintes, de sujétions ou des procédures de contrôle particulières pour ce qui concerne l'organisation et le fonctionnement de l'activité commerciale de restauration ; que si l'article 9 de la convention prévoit notamment que les contrats de sous-concession d'une durée supérieure à deux ans doivent être soumis à la Ville de Paris pour observations éventuelles, impose pour les sous-concessionnaires une obligation d'assurance et permet en outre à la Ville de Paris de renvoyer un sous-concessionnaire qui aurait encouru des condamnations, ces stipulations, qui manifestent seulement le souci de la Ville de Paris, en sa qualité de propriétaire, de s'assurer que l'activité exercée dans les locaux qu'elle a concédé est compatible avec la destination normale du domaine et avec l'ordre public, ne sont pas de nature à révéler, en l'espèce, la volonté de la collectivité d'ériger l'activité de restauration de la Tour Eiffel en service public ; que, dans ces conditions, la convention du 16 octobre 1981 modifiée liant la SETE à la société Eliance Tour Eiffel et l'autorisant à exploiter les restaurants de la Tour Eiffel constitue une convention de sous-occupation du domaine public et non une convention de subdélégation de service public ; que les biens mobiliers acquis par la société Eliance Tour Eiffel pendant la durée de la convention ne constituent dès lors pas des biens de retour mais des biens propres ; que, par suite, en refusant de restituer les biens à la société Eliance Tour Eiffel à l'expiration de cette convention et en conservant les biens litigieux sans verser à cette dernière de contrepartie financière, la SETE a commis une faute dans l'exécution de ses obligations contractuelles ;
S'agissant de l'évaluation du préjudice subi :
6. Considérant, en premier lieu, qu'aucune disposition d'ordre public ni aucune stipulation de la convention du 16 octobre 1981 n'imposait à la société Eliance Tour Eiffel de céder ses biens à la SETE, à la fin de la durée de la convention, en se fondant sur leur valeur nette comptable ; qu'en particulier, les stipulations de l'article 24 de cette convention qui permettait à la SETE, en cas d'" interruption de la concession ", de " racheter les investissements mobiliers et immobiliers effectués par l'exploitant pour leur valeur d'acquisition amortie à la date de l'interruption, corrigée de l'érosion monétaire par application de l'indice INSEE du coût de la construction, à condition d'une part, que, préalablement à leur réalisation, cette valeur d'acquisition et ces modalités d'amortissement aient obtenu son agrément écrit, d'autre part, que l'état des agencements et matériels corresponde à une durée d'utilisation conforme à la durée des amortissements qu'elle aura agréés " ne sont pas applicables en l'espèce dès lors que cette convention n'a pas fait l'objet d'une résiliation anticipée ; que, dès lors, la société Eliance Tour Eiffel a pu librement décider d'évaluer l'ensemble des biens propres qui lui revenaient à l'expiration de la convention en se fondant sur une estimation de leur valeur vénale ;
7. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société Eliance Tour Eiffel, après avoir fait dresser par un huissier un inventaire détaillé, dont l'exactitude n'est pas contestée, de l'ensemble de ses biens propres dont elle avait demandé la restitution, a procédé à une évaluation de chaque bien en identifiant, pour la majeure partie de ces biens, la date et leur coût à l'achat et en fixant, pour chaque bien, un prix de vente en indiquant la décote pratiquée ; qu'alors même que cette évaluation n'a pas été certifiée par un expert comptable et que la société Eliance Tour Eiffel n'a pas produit l'ensemble des factures d'achat de ces biens ou de document comptable, la SETE, qui a conservé l'ensemble des biens en litige, était toutefois en mesure de contester cette évaluation et de proposer à la société Eliance Tour Eiffel une évaluation inférieure de chaque bien en se fondant sur ses propres estimations ou sur celles, le cas échéant, d'un expert qu'elle aurait mandaté à cette fin ; que si elle soutient que certains tabourets et sièges étaient dans un état d'usure avancée et que les fauteuils de bar ont tous été changés par le nouveau concessionnaire, elle n'apporte toutefois aucun élément précis permettant de minorer l'évaluation qu'en a faite la société Eliance Tour Eiffel ; qu'elle n'apporte pas davantage d'éléments sérieux de nature à permettre au juge de procéder, le cas échant, à la diminution de la valeur des autres biens ; qu'au demeurant, rien n'interdisait à la SETE de restituer à la société Eliance Tour Eiffel, après l'expiration de la convention, tout ou partie des biens qu'elle estimait inutiles ou hors d'usage et ainsi de réduire le coût d'achat des biens qu'elle souhaitait conserver ; que si elle soutient, dans ses dernières écritures, que la valeur des biens en litige ne saurait excéder en tout état de cause la somme de 118 163,44 euros, correspondant, selon elle, à la différence entre la valeur des immobilisations corporelles dans le dernier bilan de la société Eliance Tour Eiffel et l'indemnisation que cette dernière a reçu du groupement Millenia/Altimea, qui couvrait une partie des immobilisations corporelles à hauteur de leur valeur nette comptable, il ne résulte pas de l'instruction que certains des biens mentionnés dans l'inventaire détaillé de la société Eliance Tour Eiffel figuraient aussi dans ces immobilisations corporelles ; que, dans ces conditions, et en l'état des écritures des parties, la SETE n'est pas fondée à soutenir que l'évaluation des biens litigieux, pour un montant de 310 000 euros HT, à laquelle a procédé la société Eliance Tour Eiffel serait erronée ou surévaluée ;
8. Considérant, en dernier lieu, que l'indemnité versée au titre du préjudice résultant de la faute contractuelle commise par la SETE n'a pas le caractère d'une opération économique assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), de sorte que la SOFEREST n'a pas à s'acquitter de la TVA auprès de l'administration fiscale au titre de cette indemnité ; que, dès lors, la TVA réclamée par la SOFEREST, d'un montant de 60 760 euros, n'est pas incluse dans l'assiette du préjudice subi par cette société ; que, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus, il sera ainsi fait une exacte appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 310 000 euros ;
9. Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la SETE est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges l'ont condamnée à verser à la SOFEREST une somme excédant 310 000 euros et à demander, dans cette mesure, la réformation du jugement attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SETE, qui n'est pas dans la présente instance d'appel la partie perdante, le versement de la somme demandée par la SOFEREST au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas davantage lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la SOFEREST la somme demandée par la SETE au titre de ces mêmes frais ;
D E C I D E :
Article 1er : La société d'exploitation de la Tour Eiffel est condamnée à verser à la Société française d'exploitation des restaurants la somme de 310 000 euros.
Article 2 : Le jugement n° 0714038/6-3 en date du 9 juillet 2010 du Tribunal administratif de Paris est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions présentées par les parties est rejeté.
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N° 10PA04788