Vu l'arrêt du 12 décembre 2011 par lequel la Cour, avant de statuer sur les conclusions de la requête du Centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC) tendant à l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Melun n° 0602975/1 du 18 juin 2010 en tant qu'il l'a condamné à verser la somme de 73 413, 46 euros aux consorts B...en réparation des préjudices subis par Mme A...B...consécutivement aux soins qui lui ont été dispensés à compter du 14 juin 2001, ces préjudices s'étant traduits par une dégradation de son état de santé ayant abouti à son décès le 2 août 2006, a ordonné une expertise en vue de déterminer dans quelle mesure la carence fautive de l'équipe hospitalière, lors de la chimiothérapie subie par Mme B...à compter du 14 juin 2001, a fait perdre à celle-ci une chance d'échapper à l'aggravation de son état ayant abouti à son décès ;
Vu le rapport de l'expert enregistré le 7 mars 2012 ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 avril 2013 :
- le rapport de M. Sorin, rapporteur,
- et les conclusions de M. Ladreyt, rapporteur public ;
1. Considérant que MmeB..., résidant au Maroc, âgée de 43 ans et atteinte d'un cancer du sein droit, a été prise en charge à la clinique Gaston Métivet de Saint Maur (Val-de-Marne), où, alors que sa maladie avait déjà atteint un stade avancé qui se traduisait par une dissémination métastasique massive, elle a subi, le 18 mai 2001, une simple tumorectomie associée à un curage axillaire, la mammectomie totale étant écartée en raison notamment du jeune âge de la patiente ; que celle-ci a ensuite été orientée vers le centre hospitalier intercommunal de Créteil (CHIC) en vue d'une chimiothérapie " agressive " associée à une radiothérapie ; que lors de la première séance de chimiothérapie qui s'est déroulée le
15 juin 2001, une extravasation accidentelle et importante a entraîné la diffusion dans les tissus corporels de la patiente des produits très toxiques qui lui étaient administrés ; que cet accident, qui a immédiatement entraîné de graves lésions corporelles, n'a pas permis la poursuite d'une chimiothérapie aussi efficace que celle prévue initialement ; que son état de santé continuant de se dégrader, Mme B... a dû subir, en novembre 2003, une première mammectomie et, en avril 2004, une seconde ; que se fondant sur les conclusions de l'expert désigné par le Tribunal administratif de Melun, Mme B...a introduit, le 5 mai 2006, devant ce tribunal, une demande indemnitaire dirigée contre le CHIC, laquelle a été reprise par sa mère, son époux ainsi que ses quatre enfants après son décès intervenu le 2 août 2006 ; que, par un jugement en date du
18 juin 2010 dont le CHIC relève régulièrement appel, le Tribunal administratif de Melun a écarté la faute résultant de l'absence de mammectomie en juin 2001 mais jugé que les conditions dans lesquelles la chimiothérapie avait été pratiquée à cette date étaient fautives et avaient fait perdre à la patiente une chance de 50% d'échapper à l'aggravation de son état ; que le CHIC a par suite été condamné à verser à la famille de Mme B... la somme de 73 413,46 euros ; que par l'arrêt avant dire droit susvisé rendu sur la requête d'appel du CHIC qui contestait le pourcentage ainsi retenu, la Cour de céans a ordonné une expertise complémentaire en vue de déterminer l'ampleur exacte de la chance perdue ; qu'au vu de ce deuxième rapport d'expertise, les consortsB..., outre les fautes résultant d'un défaut d'information de la patiente et d'une exécution défectueuse de la chimiothérapie entamée le 15 juin 2001, ont invoqué la faute consistant, pour le CHIC, à ne pas avoir pratiqué une mammectomie dite " de rattrapage " ; que le centre hospitalier de Créteil a, pour sa part, fait réaliser une analyse critique du rapport de l'expert désigné par la Cour, qu'il a versée au dossier ;
Sur la responsabilité du CHIC :
En ce qui concerne le défaut d'information :
2. Considérant qu'il est constant que Mme B...n'a pas été informée par l'équipe médicale du CHIC du risque de déplacement de l'aiguille de perfusion des produits de chimiothérapie ; qu'il résulte cependant de l'instruction que le traitement de la tumeur cancéreuse de la patiente, dont le pronostic vital était engagé, était impérieusement requis à très brève échéance, et qu'il n'y avait pas d'alternative thérapeutique moins risquée, même dans l'hypothèse où une mammectomie de rattrapage aurait été pratiquée préalablement ; que, par suite, la faute commise par l'AP-HP n'a pas entraîné, dans les circonstances de l'espèce, de perte de chance pour MmeB..., qui ne disposait d'aucune possibilité raisonnable de refus, de se soustraire au risque qui s'est réalisé ;
En ce qui concerne la faute résultant du choix thérapeutique de ne pas procéder à une mammectomie " de rattrapage " le 15 juin 2001 :
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des deux rapports d'expertise ainsi que de l'analyse critique susmentionnée versés au dossier, d'une part, que le cancer dont était atteinte Mme B...lors de son arrivée en France était, selon l'expert diligenté par le Tribunal administratif de Melun, " à un stade déjà avancé au vu de la dissémination métastatique ganglionnaire massive sans effraction capsulaire détruisant la totalité du seul ganglion atteint. (...) Il s'agissait d'une tumeur de plusieurs centimètres cubes, métastatique, avec un des ganglions du curage déjà envahi, c'est-à-dire une maladie grave et déjà étendue au ganglion de drainage de proximité. Cette tumeur était initialement de relatif mauvais diagnostic tant par le grade de dédifférenciation cellulaire, le polymorphisme histologique et son caractère plurifocal que par l'extension locale et régionale, dans un sein globalement dystrophique scléro-kystique ", et, d'autre part, que, malgré la tumorectomie du 18 mai 2001, les comptes rendus anatomopathologiques des 21 mai et 1er juin 2001 mettaient en évidence la persistance d'un carcinome in situ d'un centimètre de diamètre et s'approchant à un centimètre de la berge inférieure dans un contexte d'extension ganglionnaire massive et de polymorphisme histologique associant plusieurs types de cancers mammaires ; qu'il ressort également des trois rapports que ce tableau clinique nécessitait immédiatement une mammectomie " de rattrapage ", avant la bithérapie envisagée ; que, dans ces conditions, la décision prise le 14 juin 2001 de ne pas pratiquer une telle intervention, qui aurait permis d'évacuer le carcinome in situ identifié les
21 mai et 1er juin précédents, est constitutive, eu égard aux données acquises de la science en 2001, d'une faute de nature à engager la responsabilité du CHIC à l'égard de MmeB... ; que, par suite, les consorts B...sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont écarté cette faute ;
En ce qui concerne les fautes commises lors de la chimiothérapie entreprise le 15 juin 2001 :
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que lors de la première séance de chimiothérapie qui s'est déroulée le 15 juin 2001, l'aiguille introduite dans la pastille d'occlusion de la chambre implantée est sortie de celle-ci, entraînant une extravasation des produits chimiothérapiques extrêmement toxiques dans les tissus corporels de MmeB... ; que, malgré la réalisation d'une radiographie faisant clairement apparaître ce déplacement accidentel, les troubles dont s'est immédiatement plainte Mme B...et l'arrêt à deux reprises du traitement par l'infirmière, les oncologues du CHIC ont, à deux reprises, ordonné à celle-ci la poursuite de la perfusion chimiothérapique ; que le diagnostic d'extravasation n'a été posé que le lendemain, lors d'un retour de Mme B...au service des urgences du CHIC, motivé par l'accroissement des difficultés respiratoires et motrices ressenties la veille et par le gonflement important de son sein gauche ; que ce retard, alors que, tant la radiographie mentionnée ci-dessus, que les symptômes dont se plaignait Mme B...permettaient facilement aux médecins d'identifier le déplacement de l'aiguille et, devaient les conduire, eu égard à l'extrême toxicité des produits injectés, à y remédier rapidement, présente un caractère fautif de nature à engager la responsabilité du CHIC à l'égard des ayants droit de MmeB... ;
Sur les préjudices subis :
En ce qui concerne les préjudices résultant directement de la négligence fautive des médecins dans le diagnostic de l'extravasation des produits chimiothérapiques :
5. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
6. Considérant que la faute constituée par la tardiveté du diagnostic de l'extravasation a entraîné, selon l'expert diligenté par le Tribunal administratif de Melun, " une nappe de nécrose chimique autoentretenue par la présence de suffusion de chimiothérapie sous-cutanée à l'origine d'un placard inflammatoire et très douloureux, source de complications locales et probablement de troubles immunitaires et circulatoires " ; que ce même expert a estimé qu'une intervention, dès les premiers symptômes ressentis par MmeB..., aurait permis de limiter considérablement les conséquences du déplacement de l'aiguille chimiothérapique ; que ce retard fautif a fait perdre à Mme B...une chance d'échapper à l'aggravation des conséquences de cette extravasation ; que le préjudice indemnisable doit être évalué, dans les circonstances de l'espèce, à 90% du dommage ;
7. Considérant que le même expert a, s'agissant de ce préjudice, estimé à 12% l'incapacité permanente partielle en résultant et fixé le pretium doloris et le préjudice esthétique subis aux niveaux 3,5 et 2,5 sur une échelle en comportant 7 ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner le CHIC au versement à Mme B...des sommes respectives de 12 000, 3 500 et
2 500 euros ; que Mme B...justifie des frais de santé supplémentaires exposés liés aux conséquences de l'extravasation à hauteur de 885,56 euros ; qu'en revanche, les frais de déplacement liés aux conséquences de l'extravasation ne sont pas établis ; que, par ailleurs, les frais exposés pour les séances de chimiothérapie et de radiothérapie, qui auraient en tout état de cause dû être subies, sont sans lien avec le retard fautif en cause et ne peuvent donner lieu à un remboursement ; qu'au total, le CHIC doit être condamné à verser au consorts B...venant aux droits de MmeB..., compte-tenu du coefficient de 90% ci-dessus retenu, la somme de
16 997 euros en réparation du préjudice lié à l'extravasation des produits chimiothérapiques le 15 juin 2001 ;
En ce qui concerne les préjudices liés tant à l'absence fautive de mammectomie de rattrapage qu'aux conséquences secondaires de l'extravasation :
8. Considérant que dans le cas où la faute commise lors de la prise en charge ou le traitement d'un patient dans un établissement public hospitalier a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage soit advenu ; que la réparation qui incombe à l'hôpital doit alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue ;
9. Considérant que la faute résultant de la décision du 14 juin 2001 de ne pas procéder à une mastectomie de rattrapage et la faute dans le diagnostic de l'extravasation des produits chimiothérapiques, laquelle a imposé le recours à un autre protocole thérapeutique moins efficace, ont fait perdre à Mme B...une chance d'échapper à l'aggravation du cancer du sein droit dont elle était atteinte ; que, eu égard au stade avancé de ce cancer, le préjudice indemnisable en lien avec cette double faute doit être évalué, dans les circonstances de l'espèce, à 50% du dommage ;
10. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation des troubles de toute nature subis par Mme B...dans ses conditions d'existence durant la période allant du 14 juin 2001 au
2 août 2006, date de son décès, en fixant à 24 000 euros le préjudice correspondant ; qu'il sera par ailleurs fait une juste appréciation du pretium doloris, évalué par l'expert diligenté par la Cour à 6/7, en accordant à ce titre aux consorts B...venant aux droits de Mme B...la somme de 15 000 euros qu'ils demandent ; que, par ailleurs, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral de MmeB..., qui a subi, éloignée de sa famille, de très nombreuses séances de chimiothérapie et de radiothérapie nécessitant un traitement antalgique à base de morphine et n'ayant pu enrayer la progression de la maladie entraînant son décès le 2 août 2006, en le fixant à 30 000 euros ; qu'en revanche, d'une part, le préjudice lié aux pertes de revenus invoqués n'est pas établi par la seule production de bilans et de comptes de résultats de la pharmacie au sein de laquelle Mme B...a exercé son activité professionnelle jusqu'en 2001, d'autre part, les frais de déplacement occasionnés par les séances de chimio et radiothérapie auraient en tout état de cause été exposés, le traitement du cancer dont souffrait Mme B...imposant le recours à de telles séances, et, enfin, l'ablation du sein gauche de Mme B...était en tout état de cause encourue, le préjudice esthétique résultant de cette ablation ne pouvant par suite faire l'objet d'une indemnisation ; que, par suite, les conclusions tendant à la réparation de ces préjudices ne peuvent qu'être rejetées ; qu'au total, le CHIC doit être condamné à verser aux consorts B...venant aux droits de MmeB..., en réparation du préjudice de la perte de chance subie, compte-tenu du coefficient de 50% ci-dessus retenu, une somme de 34 500 euros ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le CHIC doit être condamné à verser aux consorts B...venant aux droits de Mme B...une somme de 51 497 (16 997 + 34 500) euros en réparation des préjudices subis par celle-ci entre le 14 juin 2001 et le 2 août 2006 ; qu'il y a par suite lieu de réformer le jugement du Tribunal administratif de Melun en ce qu'il a de contraire au présent arrêt ;
Sur les intérêts :
12. Considérant que les consorts B...ont droit aux intérêts de la somme de
51 497 euros à compter du jour de la réception par le CHIC de leur demande préalable, soit le
25 juillet 2005 ;
Sur les frais d'expertise :
13. Considérant que les frais de l'expertise ordonnée en appel, qui ont été liquidés et taxés à la somme de 2 440,55 euros TTC par ordonnance en date du 2 mai 2012 du président de la Cour, doivent être mis à la charge du CHIC ;
Sur les conclusions tendant à l'exécution du présent arrêt :
14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 11 du code de justice administrative : " Les jugements sont exécutoires " ; que, dès lors, les conclusions tendant à ce que soit ordonnée l'exécution du présent arrêt sont irrecevables et doivent être rejetées ;
Sur les conclusions des parties tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-l du code de justice administrative :
15. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHIC une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les consorts B...et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : Le CHIC versera aux consorts B...venant aux droits de Mme B...une somme de 51 497 euros portant intérêts au taux légal à compter du 25 juillet 2005.
Article 2 : Le jugement du Tribunal administratif de Melun du 18 juin 2010 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Les frais de l'expertise ordonnée en appel, qui ont été liquidés et taxés à la somme de 2 440,55 euros TTC par ordonnance en date du 2 mai 2012 du président de la Cour, sont mis à la charge du CHIC.
Article 4 : Le CHIC versera aux consortsB..., venant aux droits de MmeB..., une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête des consorts B...est rejeté.
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N° 10PA04380