Vu la requête, enregistrée le 1er juillet 2014, présentée par le préfet de police qui demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1402087 du 27 mai 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé son arrêté du 26 septembre 2013 refusant de délivrer un titre de séjour à M. A... D...et lui faisant obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours, en fixant son pays de destination, et lui a enjoint de délivrer à l'intéressé un titre de séjour dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement, en mettant à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris ;
Il soutient que :
- les dispositions du 7 de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne pouvaient s'appliquer dès lors que M. D..., marié à une compatriote titulaire d'un titre de séjour, relève de la procédure du regroupement familial ;
- l'arrêté ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il renvoie à ses écritures de première instance en ce qui concerne les autres moyens soulevés par M.D... ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 31 décembre 2014, présenté pour M. D... par Me Ranjineh, avocat à la Cour, qui conclut au rejet de la requête du préfet de police et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Ranjineh, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
Il soutient que :
- son droit au séjour en France ne peut être subordonné au respect des conditions du regroupement familial ;
- le préfet de police a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il maintient l'ensemble des conclusions et moyens soulevés en première instance ;
Vu la décision du 21 novembre 2014, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Paris a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants des pays tiers résidents de longue durée ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 mars 2015 :
- le rapport de Mme Versol, premier conseiller,
1. Considérant que M. D..., ressortissant marocain titulaire d'une carte de résident de longue durée-CE délivrée par les autorités espagnoles, a sollicité le 27 mai 2013 la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ; que, par un arrêté du 26 septembre 2013, le préfet de police a opposé un refus à cette demande et a assorti sa décision d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, en fixant le pays de destination ; que le préfet de police relève appel du jugement du 27 mai 2014 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté ;
Sur les conclusions du préfet de police dirigées contre le jugement attaqué :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; qu'aux termes des dispositions de l'article L. 313-11 code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...)7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que M. D... a épousé le 1er juillet 2002 une compatriote, titulaire d'une carte de résident valable jusqu'au 28 septembre 2015 ; qu'en sa qualité de conjoint d'un ressortissant étranger séjournant régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois sous couvert d'un titre de séjour, M. D... entrait dans les catégories qui ouvrent droit au regroupement familial et ne pouvait ainsi se voir délivrer un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, par suite, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris s'est fondé sur le motif de la méconnaissance de ces dispositions pour annuler l'arrêté litigieux ;
4. Considérant, d'autre part, que, pour annuler l'arrêté du préfet de police au motif qu'il portait une atteinte disproportionnée au droit de M. D... de mener une vie privée et familiale normale, le Tribunal administratif de Paris a estimé que les attaches privées et familiales de l'intéressé se situaient en France où résident son épouse, avec laquelle il est marié depuis juillet 2002, et les deux enfants, ressortissants français nés en 1996 et 2000 d'une précédente union de son épouse ; que les premiers juges ont également retenu que M. D... attestait d'une présence habituelle et continue en France à compter de l'année 2002 ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé n'a apporté, ni en première instance ni en appel, aucune justification de sa présence en France entre 2002 et 2004 ; que, par ailleurs, les justificatifs produits au titre des années suivantes ne permettent pas, compte tenu de la nature des pièces versées au dossier, de regarder comme établie la résidence habituelle de M. D... en France, alors que l'intéressé, entré en Espagne en 1999 selon ses déclarations, est titulaire depuis 2003 d'une carte de résident de longue durée, l'autorisant à travailler, délivrée par les autorités espagnoles et régulièrement renouvelée, la dernière ayant été délivrée le 16 février 2012 à Valence (Espagne) et étant valable jusqu'au 15 février 2017 ; que si M. D... se prévaut d'une communauté de vie avec son épouse, en faisant valoir leur résidence commune à Paris, ne sont produits à l'appui de cette allégation qu'un document relatif à la transformation, le 26 mai 2008, du compte courant postal individuel de son épouse en compte joint à leurs deux noms, une réservation de billet d'avion, à son nom, entre Valence (Espagne) et Paris, en décembre 2009, et, au nom de son épouse, entre Paris et Valence en novembre 2010, ainsi que quelques pièces médicales, factures commerciales et preuves de virement mentionnant l'adresse parisienne ; qu'en l'espèce, cette communauté de vie ne peut être regardée comme établie, en dépit de l'ancienneté du mariage ; que la preuve de la contribution de M. D... à l'éducation et à l'entretien des deux enfants de son épouse n'est pas davantage apportée par la seule production d'attestations manuscrites de ces derniers ; que, dans ces conditions, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé son arrêté au motif qu'il aurait été pris en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
5. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. D... devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision portant refus de titre de séjour :
6. Considérant, en premier lieu, que par arrêté n° 2013-00937 du 28 août 2013, publié au bulletin municipal officiel de la ville de Paris du 3 septembre 2013, le préfet de police a donné délégation à M. B... C..., attaché principal d'administration de l'intérieur et de l'outre-mer au 9ème bureau de la préfecture de police pour signer tous actes, arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions en cas d'absence ou d'empêchement de l'autorité administrative supérieure ; que, par suite, M.C..., signataire de l'arrêté contesté, était autorisé à signer les décisions portant refus de titre de séjour ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision contestée doit donc être écarté comme manquant en fait ;
7. Considérant, en deuxième lieu, que, pour le motif mentionné au point 2 ci-dessus, M. D... ne peut utilement se prévaloir des dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
8. Considérant en dernier lieu, que pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 4, M. D... n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
Sur les conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français :
9. Considérant, en premier lieu, que les moyens dirigés contre la décision de refus de titre de séjour ayant été écartés, l'exception d'illégalité de cette décision invoquée par M. D...à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écartée par voie de conséquence ;
10. Considérant en second lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I - L'autorité administrative qui refuse la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour à un étranger (...) peut assortir sa décision d'une obligation de quitter le territoire français (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 531-1 dudit code : " Par dérogation aux articles (...) L. 511-1 à L. 511-3, (...) l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 211-1, L. 211-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne. (...) " ; qu'en vertu du troisième alinéa de l'article L. 531-2 de ce code, les dispositions de l'article L. 531-1 sont applicables à l'étranger détenteur d'un titre de résident de longue durée-CE en cours de validité accordé par un autre Etat membre qui a fait l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire français ;
11. Considérant, d'autre part, qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 12 de la directive n° 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003: " 1. Les Etats membres ne peuvent prendre une décision d'éloignement à l'encontre d'un résident de longue durée que lorsqu'il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l'ordre public ou la sécurité publique " ;
12. Considérant que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ou du deuxième alinéa de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'État membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1 ; qu'ainsi, le préfet de police pouvait prendre à l'encontre de M. D... une décision portant obligation de quitter le territoire français en application de ces dernières dispositions ; que M.D..., dont la carte de résident de longue durée-CE a été délivrée par les autorités espagnoles, ne peut utilement soutenir qu'en lui faisant obligation de quitter le territoire français, le préfet de police méconnaît les dispositions précitées du paragraphe 1 de l'article 12 de la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003, en tout état de cause transposées en droit national par la loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration ;
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Considérant que le présent arrêt, qui rejette les conclusions en annulation de M. D... n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour doivent être rejetées ;
Sur les conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
14. Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. D...présentées sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1402087 du Tribunal administratif de Paris du 27 mai 2014 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. D...devant le Tribunal administratif de Paris ainsi que ses conclusions présentées en appel sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. A... D....
Copie en sera adressée au préfet de police
Délibéré après l'audience du 5 mars 2015, à laquelle siégeaient :
- M. Dalle, président,
- Mme Notarianni, premier conseiller,
- Mme Versol, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 mars 2015.
Le rapporteur,
F. VERSOL Le président,
D. DALLELe greffier,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
''
''
''
''
2
N° 14PA02888