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31/07/2015 | FRANCE | N°14PA00729

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 31 juillet 2015, 14PA00729


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 20 juillet 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 février 2012 et autorisé son licenciement et, d'autre part, d'annuler la décision du 5 novembre 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision du 20 juillet 20

12, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 février 2012 et...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Paris, d'une part, d'annuler la décision du 20 juillet 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 février 2012 et autorisé son licenciement et, d'autre part, d'annuler la décision du 5 novembre 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré sa décision du 20 juillet 2012, annulé la décision de l'inspecteur du travail du 29 février 2012 et autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 1214989, 1300175 du 18 décembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a annulé la décision du 20 juillet 2012 et rejeté les conclusions de la demande tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 2012.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires, enregistrés le 17 février, le 23 juillet et le 23 décembre 2014, M. B..., représenté par Me Tulle, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1214989, 1300175 du 18 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision du 5 novembre 2012 du ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social ;

2°) d'annuler la décision du 5 novembre 2012 précitée ;

3°) d'ordonner la désignation d'un expert avec pour mission de se prononcer sur ses prérogatives et ses responsabilités sur la période de 2002-2004 à 2011-2012 aux frais de la société EADS France ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé ;

- la décision ministérielle est insuffisamment motivée ;

- le ministre a dénaturé les griefs retenus par la Société European Aeronautic Defense and Space Company France (EADS France) figurant dans son courrier du 13 février 2012 ;

- les faits fautifs qui lui sont reprochés sont prescrits ;

- la décision repose sur des faits inexacts dès lors que les retards qui lui sont reprochés n'étaient pas fautifs ;

- le ministre a commis une erreur d'appréciation dès lors que les faits qui lui sont reprochés ne sont pas constitutifs d'une faute d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

Par un mémoire en défense et un mémoire en réplique, enregistrés le 5 juin 2014 et le 15 janvier 2015, la société EADS France conclut :

1°) au rejet de la requête de M.B... ;

2°) à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. B...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 mai 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Marino ;

- les conclusions de M. Sorin, rapporteur public ;

- les observations de Me Tulle, avocat de M. B... ;

- et les observations de Me Lubet, avocat de la société EADS France.

Considérant ce qui suit :

1. M. B...a été recruté par la société European Aeronautic Defence and Space Company (EADS) France le 3 septembre 1990. Il a été nommé responsable du contrôle de gestion à compter de l'année 2002. Il a exercé les mandats de délégué syndical et de représentant syndical au comité d'entreprise à compter du 1er juillet 2002, de représentant syndical au comité central d'entreprise à compter du mois de janvier 2006 et a été mandaté en tant que délégué syndical central d'EADS France à compter du mois de février 2009. Par courrier du 1er février 2012, complété le 13 février suivant, la société EADS France a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour motif disciplinaire. L'inspecteur du travail a refusé l'autorisation sollicitée par une décision du 29 février 2012. Saisi d'un recours hiérarchique par la société EADS France, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a annulé la décision de l'inspecteur du travail et autorisé le licenciement de M. B...par une décision du 20 juillet 2012. Par une nouvelle décision du 5 novembre 2012, le ministre du travail, saisi du recours gracieux formé par M.B..., a retiré la décision du 20 juillet 2012 pour vice de procédure et confirmé l'annulation de la décision de l'inspecteur du travail précitée ainsi que l'autorisation de licenciement. M. B...fait appel du jugement du 18 décembre 2013 du Tribunal administratif de Paris en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 novembre 2012 précitée.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des motifs mêmes du jugement attaqué, que le Tribunal administratif de Paris, qui n'est pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu aux moyens contenus dans les écritures de M.B.... Dès lors, le requérant qui n'a soulevé devant les premiers juges aucun moyen pour contester la réalité des griefs reprochés et le caractère justifié de son licenciement, n'est pas fondé à soutenir que le jugement serait insuffisamment motivé et entaché d'une irrégularité.

Sur la légalité de la décision du 5 novembre 2012 :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis du mandat de délégué du personnel, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte-tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exercice normal du mandat dont il est investi. Il leur appartient également de vérifier la régularité des phases de la procédure de licenciement antérieures à la saisine de l'administration.

4. En premier lieu, pour autoriser le licenciement de M.B..., le ministre du travail, après avoir écarté le premier grief relatif au comportement inacceptable et insultant du salarié vis-à-vis de sa hiérarchie comme n'étant pas établi, a estimé, à partir des messages et courriers de M. B... et de ses échanges avec sa supérieure hiérarchique, que le comportement peu coopératif du salarié en refusant les travaux qui lui sont confiés et son opposition systématique à sa supérieure étaient de nature à désorganiser gravement le service dans lequel il était affecté. Il a considéré que ce comportement fautif s'avérait suffisamment grave pour justifier son licenciement. Le ministre a également estimé que la demande d'autorisation de licenciement n'était pas liée au mandat détenu par M. B...et que l'intérêt général consistant à maintenir le contrat de travail de l'intéressé pour lui permettre d'exercer son mandat n'était pas établi. Ce faisant, le ministre a, en tout état de cause, suffisamment motivé sa décision et le moyen tiré du défaut de motivation et de ce que le ministre n'aurait pas statué sur l'existence éventuelle d'un lien entre la décision de licenciement et le mandat exercé par M. B...doit être écarté.

5. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier et notamment du courrier du 13 février 2012 adressé par la société à l'inspecteur du travail, que pour demander l'autorisation de licencier M. B... elle indiquait " la Société n'a pas eu d'autres choix que d'envisager de procéder au licenciement pour motif personnel de Monsieur A...B..., son comportement inacceptable et insultant à l'égard de sa hiérarchie, sa critique systématique de sa hiérarchie et de ses instructions et son absence de fiabilité dans les missions confiées notamment en terme de délai, désorganisant profondément le fonctionnement du service de Contrôle de Gestion, qui ne peut plus être exercé dans des conditions sereines et normales ". Par suite, contrairement à ce que soutient le requérant, le ministre, qui a repris intégralement l'intitulé des trois griefs précités, ne s'est pas fondé sur un grief nouveau en autorisant le licenciement de l'intéressé aux motifs que M. B...conteste en permanence les missions qui lui sont confiées et les méthodes de management de sa responsable hiérarchique et qu'il fait montre d'un comportement peu coopératif en refusant les travaux qui lui sont confiés sous divers prétextes.

6. En troisième lieu, aux termes du premier alinéa de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ". Ces dispositions ne font pas légalement obstacle à ce que l'employeur engage des poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où il a eu connaissance du comportement fautif du salarié dans la mesure où ce comportement se poursuit.

7. Si, pour justifier le licenciement de M.B..., la société EADS France a fait référence aux multiples incidents survenus depuis au moins le mois de février 2011, au cours desquels le requérant a reproché à sa supérieure hiérarchique en des termes qu'elle a qualifiés de belliqueux et agressifs, de ne pas reconnaître son niveau d'expérience, a remis en cause ses choix de gestion et l'a accusée de le harceler et de faire preuve d'autoritarisme à son encontre, il ressort des pièces du dossier et notamment des nombreux courriers que M. B...a adressé à sa supérieure, qu'il a constamment persisté dans son attitude. Le requérant ne saurait se prévaloir, pour contester le caractère permanent de son comportement, de ce qu'aucun échange n'a eu lieu entre le mois d'avril et d'août 2011, dès lors, ainsi qu'il l'indique, qu'il était pendant cette période en congé maladie. Au demeurant, M. B... a réitéré les critiques formulées contre sa supérieure dans un courrier réceptionné le 20 octobre 2011, soit deux mois avant l'engagement des poursuites par la lettre du 20 décembre 2011 le convoquant à un entretien préalable au licenciement, en l'accusant de " surfer sur l'à peu près " et de souffrir de " troubles de l'audition ". Dans ces conditions, le ministre du travail a pu, à bon droit, estimer que les nombreux échanges de M. B...avec sa supérieure hiérarchique traduisaient un comportement peu coopératif de l'intéressé et une contestation permanente des missions confiées et des méthodes de management de sa responsable, nonobstant la circonstance que certains courriers ou messages électroniques étaient antérieurs à la date de prescription des faits.

8. En quatrième lieu, si M. B...conteste les retards et absences injustifiés que lui reprocheraient la société EADS France, le ministre ne s'est pas fondé sur un tel grief pour autoriser son licenciement.

9. En cinquième lieu, il ressort des abondants courriers et messages électroniques adressés par M. B...à sa responsable hiérarchique entre le 21 février 2011 et le 20 octobre suivant, que ce dernier a, ainsi qu'il est indiqué au point 6, contesté de façon constante, et dans des termes discourtois et déplacés, les missions qu'elle lui confiait au motif qu'elles ne relevaient pas de son niveau de responsabilité, ainsi que les méthodes d'encadrement et de travail qu'elle proposait et l'a accusée de le harceler moralement et de faire preuve d'autoritarisme. De par leur caractère réitéré, ces faits ont été de nature à désorganiser le fonctionnement normal du service. Dès lors, le ministre ne s'est pas fondé sur des faits matériellement inexacts pour autoriser le licenciement de M. B....

10. En dernier lieu, les critiques systématiques de l'autorité de sa supérieure et ce dès que l'intéressé a repris ses fonctions à temps plein après la perte de la quasi-totalité de ses mandats, et la désorganisation du service générée par ces critiques et le comportement peu coopératif de M. B... constituent des faits fautifs. En outre, il ressort des pièces du dossier que le requérant qui avait affirmé à plusieurs reprises ne plus vouloir travailler sous l'autorité de sa supérieure, a refusé la proposition que la société lui avait faite, à titre de conciliation, de travailler sur un emploi de même niveau dans un autre site de la région parisienne. Dès lors, en estimant que ces fautes étaient suffisamment graves pour justifier à elles seules son licenciement, le ministre n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.

11. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de faire droit à la mesure d'expertise demandée par M. B...aux fins de déterminer ses prérogatives et ses responsabilités sur la période de 2002 à 2012, que ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y pas a lieu de faire droit aux conclusions présentées par la société EADS France sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la société EADS France présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société EADS France et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2015, à laquelle siégeaient :

- M. Lapouzade, président de chambre,

- M. Marino, président assesseur,

- Mme Dhiver, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 31 juillet 2015.

Le rapporteur,

Y. MARINOLe président,

J. LAPOUZADE

Le greffier,

A. CLEMENT

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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N° 14PA00729


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 14PA00729
Date de la décision : 31/07/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés.


Composition du Tribunal
Président : M. LAPOUZADE
Rapporteur ?: M. Yves MARINO
Rapporteur public ?: M. SORIN
Avocat(s) : TULLE

Origine de la décision
Date de l'import : 13/08/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2015-07-31;14pa00729 ?
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