Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...a demandé au Tribunal administratif de Paris, à titre principal, de prononcer la restitution de la somme de 302 188 euros au titre du plafonnement des impôts directs acquittés au titre des revenus de l'année 2006 et, à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à verser en réparation de son préjudice financier une indemnité de même montant.
Par un jugement n° 1218694 du 4 novembre 2013, le Tribunal administratif de Paris a accordé à Mme B...une restitution au titre du plafonnement des impôts directs à 50 % des revenus de l'année 2006 procédant de la prise en compte, pour la détermination de ces revenus, d'un montant diminué des sommes correspondant aux produits de ses contrats d'assurance-vie multi-supports, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 15 janvier 2014 et des mémoires enregistrés les 23 juillet,
17 septembre et 31 octobre 2014, le ministre des finances et des comptes publics demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1 à 3 du jugement n° 1218694 du 4 novembre 2013 par lesquels le Tribunal administratif de Paris a accordé à Mme B...une restitution au titre du plafonnement des impôts directs à 50 % des revenus de l'année 2006 et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) d'ordonner le reversement par Mme B...de la somme de 302 188 euros dont elle a obtenu la restitution.
Il soutient que :
- les dispositions de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ne s'appliquent pas à l'exercice du droit à restitution, lequel est régi par les règles procédurales spécifiques définies au 8 de l'article 1649-O-A du code général des impôts ; ces règles exigent que la demande de restitution soit déposée avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus ;
- les paragraphes de l'instruction du 26 août 2008 censurés par le Conseil d'Etat en 2010 ne peuvent pas être regardés comme ayant fondé le droit à restitution ; l'annulation d'une instruction administrative ne saurait être analysée comme une décision révélant la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ; dès lors, ladite annulation ne constitue pas un évènement motivant la réclamation au sens de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
- la contribuable ne pouvait faire valoir une espérance légitime de voir sa créance restituée, sa demande étant frappée de forclusion ; en l'absence d'atteinte à son droit de propriété, elle ne peut prétendre au bénéfice de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne des droits de l'homme.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 avril 2014 et des mémoires enregistrés le
28 août 2014 et le 10 octobre 2014, MmeB..., représentée par Me Turot, conclut au rejet du recours du ministre des finances et des comptes publics et demande à la Cour de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'annulation par le Conseil d'Etat des alinéas 2 à 8 du paragraphe 34 ainsi que du paragraphe 38 de l'instruction du 26 août 2008 a révélé l'illégalité de la règle de droit appliquée par l'administration ; dès lors que le contribuable a été soumis à une imposition qui n'était prévue que par la doctrine administrative, cette doctrine doit être considérée comme une règle de droit ayant fondé l'imposition au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales ;
- le montant de la restitution demandée n'est pas contesté par l'administration ;
- à la date de la saisine du tribunal administratif, la jurisprudence du Conseil d'Etat considérait qu'une décision juridictionnelle pouvait révéler la non-conformité d'une instruction fiscale avec une règle de droit supérieure au sens de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales et constituer un évènement nouveau au sens du c) de l'article R. 196-1 du même livre ; si la Cour devait considérer que le Conseil d'Etat a opéré sur ce point un revirement de jurisprudence, il en résulterait une atteinte disproportionnée à l'espérance légitime qu'avait Mme B...d'obtenir la restitution des impositions en cause ; il en résulte que ce revirement de jurisprudence ne pourrait produire des effets que pour les contentieux futurs.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Cheylan, premier conseiller,
- les conclusions de M. Rousset, rapporteur public,
- et les observations de Me Turot, avocat de MmeB....
1. Considérant que le ministre de l'économie et des finances relève appel du jugement du
4 novembre 2013 par lequel le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, accordé à
Mme B...une restitution au titre du plafonnement des impôts directs à 50 % des revenus de l'année 2006 et, d'autre part, mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article 1er du code général des impôts, alors applicable : " Les impôts directs payés par un contribuable ne peuvent être supérieurs à 50 % de ses revenus. / Les conditions d'application de ce droit sont définies à l'article 1649-0 A " ; qu'aux termes de l'article 1649-0 A du code général des impôts, alors applicable : " 1. Le droit à restitution de la fraction des impositions qui excède le seuil mentionné à l'article 1er est acquis par le contribuable au 1er janvier de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4. / (...) 4. Le revenu à prendre en compte pour la détermination du droit à restitution s'entend de celui réalisé par le contribuable, à l'exception des revenus en nature non soumis à l'impôt sur le revenu en application du II de l'article 15. (...) / 8. Les demandes de restitution doivent être déposées avant le 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la réalisation des revenus mentionnés au 4 (...) " ;
3. Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article L. 190 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction applicable au présent litige : " Les réclamations relatives aux impôts, contributions, droits, taxes, redevances, soultes et pénalités de toute nature, établis ou recouvrés par les agents de l'administration, relèvent de la juridiction contentieuse lorsqu'elles tendent à obtenir (...) le bénéfice d'un droit résultant d'une disposition législative ou réglementaire. / (...)
Sont instruites et jugées selon les règles du présent chapitre toutes actions tendant à (...) la réduction d'une imposition (...) fondées sur la non-conformité de la règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure. / Lorsque cette non-conformité a été révélée par une décision juridictionnelle (...), l'action en restitution des sommes versées (...) ne peut porter que sur la période postérieure au 1er janvier de la troisième année précédant celle où la décision (...) révélant la non-conformité est intervenu[e]. / Pour l'application du quatrième alinéa, sont considérés comme des décisions juridictionnelles (...) les décisions du Conseil d'Etat (...) " ; que l'article R. 196-1 du même livre dispose : " Pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas : (...) / c) De la réalisation de l'événement qui motive la réclamation / (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales : " L'action doit être introduite devant le tribunal compétent dans le délai de deux mois à partir du jour de la réception de l'avis par lequel l'administration notifie au contribuable la décision prise sur la réclamation (...) " ;
4. Considérant qu'une demande de restitution de la fraction des impositions qui excède 50 % des revenus constitue une réclamation tendant à obtenir le bénéfice d'un droit au sens de l'article
L. 190 du livre des procédures fiscales ; que le délai particulier prévu par le 8 de l'article 1649-0 A du code général des impôts pour formuler une demande de restitution ne fait pas obstacle à ce que soit invoquée, après l'expiration de ce délai, la réalisation d'un événement qui motive la réclamation, au sens de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales ;
5. Considérant toutefois qu'une décision du Conseil d'Etat statuant au contentieux qui révèle l'illégalité d'une instruction fiscale ne révèle pas la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure dès lors que l'imposition ne saurait être fondée sur l'interprétation de la loi fiscale que l'administration exprime dans ses instructions ; que la décision n° 321416 du 13 janvier 2010 par laquelle le Conseil d'Etat statuant au contentieux a annulé les alinéas 2 à 5 du paragraphe 34 ainsi que le paragraphe 38 de l'instruction 13 A-I-08 ne peut pas être regardée comme un événement ouvrant, au sens et pour l'application du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, un délai dans lequel pouvait être présentée une demande tendant au bénéfice d'un droit à restitution tel que celui résultant de l'application des articles 1er et 1649-0 A du code général des impôts ;
6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que Mme B...a présenté le
12 décembre 2008 une demande en vue d'obtenir le plafonnement des impôts directs à 50 % de ses revenus de l'année 2006 ; que cette demande a fait l'objet d'une décision de rejet en date du
30 mars 2009 ; qu'il est constant que cette décision de rejet n'a pas fait l'objet d'un recours contentieux dans le délai prévu par les dispositions précitées de l'article R. 199-1 du livre des procédures fiscales ; que Mme B...a présenté une nouvelle demande de plafonnement en vue d'obtenir la restitution d'un montant de 302 188 euros le 28 décembre 2011, après l'expiration du délai prévu par le 8 de l'article 1649-0 A du code général des impôts ; que, par son jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a admis la recevabilité de la demande de Mme A...au motif que la décision rendue le 13 janvier 2010 par le Conseil d'Etat constituait, au sens des dispositions précitées du c) de l'article R. 196-1 du livre des procédures fiscales, un événement ayant ouvert à Mme B...un nouveau délai de réclamation ; qu'ainsi qu'il a été dit au point 5, cette décision du Conseil d'Etat, qui a annulé les commentaires d'une instruction fiscale, n'a pas révélé la non-conformité d'une règle de droit dont il a été fait application à une règle de droit supérieure ; que, contrairement à ce que soutient MmeB..., la circonstance qu'un " revirement de jurisprudence " soit intervenu sur ce point ne saurait en soi être regardée comme portant atteinte aux exigences qui s'attachent à la protection d'un droit patrimonial telles qu'elles découlent des stipulations susvisées du premier protocole additionnel ; que la contribuable a disposé d'un délai de réclamation d'au moins deux ans pour faire valoir ses droits sur le fondement des dispositions de la loi fiscale alors applicables et contester, le cas échéant, la position de l'administration exprimée dans sa décision de rejet et fondée sur sa propre doctrine ; que le ministre est dès lors fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a, pour ce motif, regardé comme recevable la réclamation présentée par Mme B...sur le fondement des dispositions précitées du c) de l'article R. 196-1 ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie et des finances est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a ordonné la restitution d'impôts directs au titre du plafonnement des impôts directs à 50 % des revenus de l'année 2006 ;
8. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les articles 1 à 3 du jugement n° 1218694 du 4 novembre 2013 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 2 : Les conclusions de Mme B...présentées devant le Tribunal administratif de Paris et tendant à la restitution complémentaire de la somme de 302 188 euros au titre du plafonnement des impôts directs à 50 % des revenus de l'année 2006, sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de Mme B...présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...et au ministre des finances et des comptes publics.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 8 janvier 2016, à laquelle siégeaient :
- Mme Driencourt, président de chambre,
- Mme Mosser, président assesseur,
- M. Cheylan, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 janvier 2016.
Le rapporteur,
F. CHEYLAN Le président,
L. DRIENCOURT
Le greffier,
A-L. PINTEAU
La République mande et ordonne au ministre des finances et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 14PA00185