Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B...G...E..., épouseF..., a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande du 7 octobre 2013 tendant à ce qu'elle soit autorisée à changer son nom de " E... " en " A... ", et d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre un décret autorisant son changement de nom.
Par un jugement n° 142515/7-2 du 2 octobre 2015, le tribunal administratif de Paris a jugé qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 2 décembre 2015, MmeE..., représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 142515/7-2 du tribunal administratif de Paris du
2 octobre 2015 ;
2°) d'annuler la décision implicite du garde des sceaux, ministre de la justice rejetant sa demande de changement de nom de " E... " en " A... " ;
3°) d'enjoindre au garde des sceaux, ministre de la justice de prendre un décret autorisant ce changement de nom ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le tribunal a méconnu le principe du contradictoire en tenant compte d'une pièce, en l'espèce la décision du 11 mars 2014, qui a été communiquée par l'administration après la clôture de l'instruction ;
- le tribunal ne pouvait légalement tenir compte de la décision expresse de rejet de sa demande de changement de nom en date du 11 mars 2014, dès lors qu'elle lui a été envoyée à une adresse erronée et aurait également dû être envoyée à son conseil ;
- la décision implicite de rejet de sa demande de changement de nom n'est pas motivée ;
- elle justifie d'un intérêt légitime à solliciter son changement de nom, dès lors qu'elle n'a jamais entretenu aucune relation avec son père, qui a divorcé de sa mère peu après sa naissance et s'est totalement désintéressé d'elle, et qu'elle a fait usage du nom de sa mère " A... " depuis de nombreuses années.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 décembre 2016, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le jugement est régulier ;
- la requête dirigée contre la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice, sur la demande de Mme E...en date du 7 octobre 2013 est dépourvue d'objet, dès lors que sa demande a été rejetée par une décision du 11 mars 2014, qui a eu pour effet de retirer la décision implicite qu'elle conteste ;
- les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le décret n° 94-52 du 20 janvier 1994 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nguyên Duy,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant que, par requête publiée au Journal officiel de la République française le 16 décembre 2011, Mme B...E...a sollicité le changement de son patronyme en " A... " ; qu'en l'absence de réponse du garde des sceaux, ministre de la justice, l'intéressée a présenté une nouvelle demande par courrier du 7 octobre 2013 ; que le silence gardé par l'administration sur cette demande a fait naître une décision implicite de rejet dont Mme E...a demandé l'annulation au tribunal administratif de Paris ; que, par un jugement du 2 octobre 2015 contre lequel la requérante interjette régulièrement appel, le tribunal a jugé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur sa demande, dès lors que la décision implicite avait été retirée par une décision expresse de rejet en date du 11 mars 2014 produite par le garde des sceaux, ministre de la justice dans le cadre de l'instance ;
Sur la régularité du jugement :
2. Considérant que si le silence gardé par l'administration fait naître une décision implicite de rejet qui peut être déférée au juge de l'excès de pouvoir, une décision explicite de rejet intervenue postérieurement se substitue à cette première décision ; qu'il en résulte que les conclusions à fin d'annulation de la première décision, implicite, de rejet doivent être regardées par le juge de l'annulation comme dirigées contre la seconde décision, explicite, qui confirme ce rejet ;
3. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une lettre du 7 octobre 2013, Mme E...a demandé au garde des sceaux, ministre de la justice de substituer à son patronyme le nom de " A... " qui est celui de sa mère ; que le silence gardé par le ministre sur cette demande a fait naître une décision implicite de refus, à laquelle s'est toutefois substituée la décision expresse de rejet en date du 11 mars 2014 ; qu'en prononçant un non-lieu à statuer au motif que la demande de Mme E...tendant à l'annulation du refus tacite qui lui a été opposé était devenue sans objet pour ce motif, le tribunal administratif de Paris a méconnu son office en ne regardant pas cette demande comme dirigée contre la décision du garde des sceaux, ministre de la justice en date du 11 mars 2014, quand bien même l'intéressée ne l'aurait pas expressément contestée ; que la requérante est par suite fondée, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens d'irrégularité, à demander l'annulation du jugement qu'elle attaque ;
4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme E...devant le tribunal administratif de Paris ;
Sur la légalité de la décision du 11 mars 2014 :
5. Considérant, en premier lieu, que la décision du 11 mars 2014, qui est dûment motivée, s'étant substituée à la décision implicite née du silence gardé par le garde des sceaux, ministre de la justice sur la demande du 7 octobre 2013, le moyen tiré du défaut de motivation de cette dernière décision, en méconnaissance des dispositions de l'article 6 du décret du
20 janvier 1994 et de la loi du 11 juillet 1979, ne peut qu'être écarté ;
6. Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 61 du code civil : " Toute personne qui justifie d'un intérêt légitime peut demander à changer de nom. / (...) Le changement de nom est autorisé par décret " ; que des motifs d'ordre affectif peuvent, dans des circonstances exceptionnelles, caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour déroger aux principes de dévolution et de fixité du nom établis par la loi ;
7. Considérant que si MmeE..., née en 1981, soutient n'avoir entretenu aucune relation avec son père, M.E..., à la suite de la séparation de ses parents alors qu'elle n'était âgée que de quelques mois, elle ne produit à l'appui de ses allégations sur ses relations avec M. E... et sur les difficultés qu'elle rencontre à porter son patronyme actuel, qu'une ordonnance de non-conciliation en date du 9 juin 1982, prévoyant d'ailleurs un droit de visite de son père, un récépissé de renonciation à la succession de celui-ci à la suite de son décès en 2008 et des attestations peu détaillées établies par ses grands-parents et sa mère ; que s'il ressort des pièces du dossier qu'une action en désaveu de paternité a été introduite par M.E..., la requérante n'apporte aucune précision sur les suites qui lui ont été données par le juge judiciaire ; que, dans ces conditions, Mme E...ne peut être regardée comme justifiant de circonstances exceptionnelles de nature à caractériser l'intérêt légitime requis par l'article 61 du code civil pour porter le nom de " A... " ;
8. Considérant, en troisième lieu, que les quelques documents produits par l'intéressée, qui ne portent que sur les années 1998 à 2008, ne sont pas non plus suffisants pour établir que Mme E...aurait fait un usage suffisamment long et constant du nom de " A... " dans sa vie personnelle et professionnelle ;
9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice n'a pas entaché sa décision d'une erreur dans l'appréciation de l'intérêt légitime de la requérante à changer de nom ;
10. Considérant que Mme E...n'est donc pas fondée à demander l'annulation de la décision contestée ; que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 142515/7-2 du tribunal administratif de Paris du 2 octobre 2015 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme E...devant le tribunal administratif de Paris et le surplus de ses conclusions devant la Cour sont rejetés.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à Mme B...G...E...et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 26 janvier 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente,
- Mme Amat, premier conseiller,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 9 février 2017.
Le rapporteur,
P. NGUYEN DUY La présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. C...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 15PA04360