Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A...F...D...C..., détenu au centre pénitentiaire Sud Francilien à Réau, a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 24 septembre 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de prononcer son transfert vers un autre établissement pénitentiaire.
Par un jugement n° 1520939 du 29 septembre 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 7 décembre 2016, M. D... C..., représenté par Me E..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1520939 du 29 septembre 2016 du tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du 24 septembre 2015 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice a refusé de prononcer son transfert vers un autre établissement pénitentiaire ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement d'une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- les premiers juges ont entaché leur décision de dénaturation des faits et d'erreur de droit, dès lors que la décision litigieuse lui fait grief, en portant atteinte à ses droits fondamentaux et notamment à celui de mener une vie familiale normale ;
- la décision litigieuse méconnait les stipulations des articles 6, paragraphe 3, et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 8 septembre 2017, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la demande de première instance est irrecevable, dès lors que la décision litigieuse constitue une mesure d'ordre intérieur insusceptible de faire grief à l'intéressé ;
- aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Diémert,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public.
1. Considérant, d'une part, que M. D...C..., ressortissant espagnol né en mai 1972, a été condamné le 13 mars 2013 par la Cour d'assises de Paris à vingt ans de réclusion criminelle assortis d'une période de sûreté de treize ans et quatre mois pour, notamment, des faits d'enlèvement et séquestration de trois otages afin de faciliter la commission d'un crime en relation avec une entreprise terroriste ; qu'il a été également condamné, le 25 avril 2013, par la Cour d'assises de Paris à la réclusion criminelle à perpétuité assortie d'une période de sûreté de vingt-deux ans pour, notamment, des faits d'assassinat de deux militaires de la garde civile espagnole en relation avec une entreprise terroriste ; qu'il a aussi été condamné, le 12 décembre 2014, par la Cour d'assises de Paris, à vingt ans de réclusion criminelle assortie d'une période de sûreté de treize ans et d'une interdiction définitive du territoire français pour, notamment, des faits de vol en bande organisée avec arme, arrestation, enlèvement, séquestration ou détention arbitraire en bande organisée et participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un acte terroriste ; qu'il a enfin été condamné par la Cour d'assises de Paris, le 2 décembre 2015, à la réclusion criminelle à perpétuité ; qu'il a formé en février 2016 un pourvoi en cassation contre cette dernière décision ;
2. Considérant, d'autre part, qu'à la suite de son interpellation le 20 mai 2010 à Bayonne, M. D... C...a été placé en détention provisoire qu'il a effectuée dans différents établissements pénitentiaires, jusqu'à sa première affectation au quartier maison centrale du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau du 14 octobre 2013 au 3 novembre 2014 ; qu'il a été à nouveau incarcéré à... ; que, le 4 mai 2014, le requérant a sollicité son transfert vers un établissement situé au pays basque ou au plus proche de cette région ; que le 22 mai 2015, le requérant a précisé vouloir être transféré au centre pénitentiaire de Mont-de-Marsan ; que, par une décision du 24 septembre 2015, le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé ce transfert et décidé du maintien de l'intéressé au quartier maison centrale du centre pénitentiaire sud-francilien de Réau ; que, M. D... C...ayant demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler cette dernière décision, ce tribunal a rejeté cette demande comme irrecevable, car dirigée contre une mesure insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, par un jugement du 26 septembre 2016 dont l'intéressé relève appel devant la Cour ;
3. Considérant qu'en tant qu'il soulève le moyen, présenté comme devant le juge de cassation, tiré de ce que les premiers juges ont entaché leur décision de dénaturation des faits et d'erreur de droit, le requérant doit en réalité être regardé comme critiquant la régularité du jugement attaqué en tant qu'il rejeté sa demande comme irrecevable ; qu'il y a donc lieu de se prononcer sur cette régularité ;
4. Considérant qu'aux termes de l'article 717 du code de procédure pénale : " Les condamnés purgent leur peine dans un établissement pour peines. / Les condamnés à l'emprisonnement d'une durée inférieure ou égale à un an peuvent, cependant, à titre exceptionnel, être maintenus en maison d'arrêt et incarcérés, dans ce cas, dans un quartier distinct, lorsque des conditions tenant à la préparation de leur libération, leur situation familiale ou leur personnalité le justifient. Peuvent également, dans les mêmes conditions, être affectés, à titre exceptionnel, en maison d'arrêt, les condamnés auxquels il reste à subir une peine d'une durée inférieure à un an " ; qu'aux termes de l'article D. 70 du même code : " Les établissements pour peines, dans lesquels sont reçus les condamnés définitifs, sont les maisons centrales, les centres de détention, les centres de semi-liberté et les centres pour peines aménagées (...) " ; qu'aux termes de l'article D. 72 du même code : " Les centres de détention comportent un régime principalement orienté vers la réinsertion sociale et, le cas échéant, la préparation à la sortie des condamnés (...) " et qu'aux termes de l'article D. 53 du même code : " Sous réserve des dispositions du deuxième alinéa de l'article D. 52, les prévenus placés en détention provisoire sont incarcérés, pendant la durée de l'instruction, selon les prescriptions du mandat ou de la décision de justice dont ils font l'objet, à la maison d'arrêt de la ville où siège la juridiction d'instruction ou du jugement devant laquelle ils ont à comparaître. Lorsque la personne est mise en examen, pour des faits relevant initialement de la compétence d'un tribunal de grande instance dans lequel il n'y a pas de pôle de l'instruction, par le juge d'instruction d'une juridiction dans laquelle se trouve un pôle, elle peut également être détenue dans la maison d'arrêt de la ville où siège le tribunal dans lequel il n'y a pas de pôle " ;
5. Considérant que, pour déterminer si une décision relative à l'affectation d'un détenu dans un établissement pénitentiaire constitue un acte administratif susceptible de recours pour excès de pouvoir, il y a lieu d'apprécier sa nature et l'importance de ses effets sur la situation de détenu ; que la décision par laquelle est rejetée la demande de changement d'affectation émanant d'un détenu incarcéré dans un établissement pénitentiaire correspondant à sa situation pénale, qui ne produit, en elle-même, aucun effet juridique ou matériel, n'est pas susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sous réserve que ne soient pas en cause des libertés et des droits fondamentaux du détenu ;
6. Considérant que, pour faire valoir que la décision litigieuse met en cause ses droits fondamentaux et que sa demande de première instance est ainsi recevable, M. D... C...invoque la méconnaissance des stipulations des articles 8 et 6, paragraphe 3, c), de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
7. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ; que ces stipulations n'accordent pas aux détenus le droit de choisir leur lieu de détention et la séparation et l'éloignement du détenu de sa famille constituent des conséquences inévitables de ladite détention ; que, cependant, le fait de détenir une personne dans une prison éloignée de sa famille au point que toute visite se révèle en réalité très difficile, voire impossible, peut, dans certaines circonstances spécifiques, constituer une ingérence dans la vie familiale du détenu, dès lors que la possibilité pour les membres de sa famille de lui rendre visite est un facteur essentiel pour le maintien de la vie familiale ;
8. Considérant que si M. D... C...soutient que l'éloignement de l'établissement pénitentiaire où il est incarcéré du lieu de résidence, en Espagne, de sa famille et de ses amis proches, rend très difficile le maintien d'une vie privée et familiale, il ne ressort pas des pièces du dossier que la décision litigieuse méconnait par elle-même les libertés et droits fondamentaux de l'intéressé, dès lors que son affectation en région parisienne ne rend pas impossibles, notamment dans le cadre d'une unité de vie familiale, les visites de sa mère, de sa compagne et de leur fille née en janvier 2014 en Espagne, plus de trois ans après l'incarcération de son père, ainsi que de sa première fille née à Annecy en août 2009, dont la mère est également détenue en région parisienne ;
9. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " (...) 3. Tout accusé a droit notamment à : (...) c) défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix et, s'il n'a pas les moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l'exigent (...) " ;
10. Considérant que la seule circonstance que le requérant se trouve affecté dans un établissement situé à plusieurs centaines de kilomètres du lieu où est établi le cabinet de son conseil, avec qui, au demeurant, il peut toujours communiquer et correspondre, ne suffit pas à établir que la décision attaquée affecterait ses relations avec son avocat dans une mesure affectant ses droits fondamentaux ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. D...C...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevable, car dirigée contre une mesure insusceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, sa demande tendant à l'annulation de la décision litigieuse ;
12. Considérant les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que le requérant, qui est la partie perdante dans la présente instance, en puisse invoquer le bénéfice ; que ses conclusions en ce sens doivent donc être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... C...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...F...D...C...et à au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 14 septembre 2017, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- M. Legeai, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 28 septembre 2017.
Le rapporteur,
S. DIÉMERTLa présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
M. B...La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
5
N° 16PA03671