Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B...a demandé au Tribunal administratif de Melun d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 décembre 2016 par lequel le préfet de Seine-et-Marne l'a obligé à quitter sans délai le territoire français, a fixé le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office de cette mesure d'éloignement et lui a interdit la circulation sur le territoire français pendant un délai de trois ans.
Par un jugement n° 1610015 du 16 décembre 2016, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé ledit arrêté préfectoral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement les 1er février et 19 juillet 2017, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1610015 du 16 décembre 2016 du Tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...devant le tribunal ;
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que l'obligation de quitter le territoire français faite à M. B... méconnaissait les dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- aucun des autres moyens invoqués par le requérant devant le tribunal n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juillet 2017, M. B..., représenté par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- aucun des moyens de la requête n'est fondé,
- et reprend les moyens invoqués devant le tribunal administratif.
Par ordonnance du 4 juillet 2017 la clôture d'instruction a été fixée au 4 août 2017.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau
d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Paris du 30 mai 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ensemble le décret du 3 mai 1974 portant publication de la convention ;
- la convention internationale signée à New York le 26 janvier 1990, relative aux droits de l'enfant, publiée par décret du 8 octobre 1990 ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Appèche,
- et les conclusions de M. Cheylan rapporteur public.
1.Considérant que le préfet de Seine-et-Marne relève appel du jugement n° 1610015
du 16 décembre 2016 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun, faisant droit à la demande de M. A... B..., a annulé pour excès de pouvoir son arrêté
du 6 décembre 2016 pris à l'encontre de ce dernier et lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, fixant le pays à destination duquel il sera renvoyé en cas d'exécution d'office de cette mesure d'éloignement et lui interdisant de circuler sur le territoire français pendant un délai de trois ans ;
Sur le moyen d'annulation retenu par le Tribunal administratif de Melun :
2.Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : / (...) 3° (...) que son comportement personnel constitue, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société. / L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine L'étranger dispose, pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, d'un délai qui, sauf urgence, ne peut être inférieur à trente jours à compter de sa notification. A titre exceptionnel, l'autorité administrative peut accorder un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. (...). " ;
3. Considérant, d'une part, qu'il ressort des pièces du dossier que M.B..., né le
29 décembre 1981 à Tunis (République tunisienne), et ayant la double nationalité tunisienne et italienne, a été condamné, par arrêt de la cour d'assises du Bas-Rhin en date du 28 septembre 2012, à une peine principale de huit ans d'emprisonnement, assortie d'une peine complémentaire d'interdiction du territoire français, pour une durée de cinq ans dont il a ultérieurement été relevé par arrêt de la cour d'appel de Colmar en date du 21 mai 2015 ; que M. B... a en effet été reconnu coupable de faits de viol commis avec usage ou sous la menace d'une arme ;
4. Considérant, d'autre part, que si M. B... est marié à une ressortissante tunisienne qui séjourne régulièrement en France et a deux enfants scolarisés en France, il ne justifie pas d'une intégration sociale, culturelle et économique en France particulièrement accomplie, ni de moyens propres de subsistance, et ne saurait utilement se prévaloir de faits postérieurs à la date de l'arrêté contesté, tels que la signature d'un contrat de travail le 2 janvier 2017 ;
5. Considérant que si la seule circonstance qu'un étranger a fait l'objet d'une condamnation pénale ne saurait justifier que soit prise à son encontre une mesure d'éloignement sur le fondement des dispositions susénoncées, en l'espèce, les agissements criminels de M. B..., eu égard à leur nature et leur gravité, et nonobstant la période écoulée depuis les faits en cause, étaient suffisants pour établir qu'à la date de l'arrêté attaqué, le comportement personnel du requérant constituait, du point de vue de l'ordre public ou de la sécurité publique, une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société, justifiant une obligation de quitter le territoire français ; que, dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun s'est fondé sur l'absence d'une telle menace pour annuler la mesure d'éloignement prise à l'encontre de l'intéressé et par voie de conséquence les autres décisions contenues dans l'arrêté préfectoral du 6 décembre 2016 contesté par M. B... ;
6 Considérant qu'il y a lieu pour la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués tant devant le tribunal administratif que devant elle par M. B... ;
Sur les autres moyens invoqués par M. B... :
7. Considérant, en premier lieu, que, par un arrêté n° 16/PCAD/112 du 2 novembre 2016, publié au recueil des actes de la préfecture du 8 novembre 2016, le préfet de Seine-et-Marne a donné délégation au directeur de la citoyenneté et de la réglementation, à fin de signer notamment la décision attaquée ; qu'en vertu de l'article 2 de cet arrêté, cette délégation a également été consentie, en cas d'absence ou d'empêchement de ce dernier, au signataire de l'arrêté attaqué ; que le moyen tiré de l'incompétence du signataire de cet arrêté portant obligation de quitter sans délai le territoire français sur le fondement des dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, fixation du pays de destination d'un éloignement d'office et interdiction de circulation sur le territoire français pendant un délai de trois ans doit être écarté ;
8. Considérant, en deuxième lieu, que l'arrêté attaqué comporte un exposé des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondé son auteur pour prendre à l'encontre de M. B... les décisions contenues dans cet arrêté et notamment la décision fixant les pays à destination duquel l'intéressé est susceptible d'être éloigné d'office et celle refusant de lui accorder un délai de départ volontaire ; qu'il vise le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en particulier ses articles L. 121-1, L. 121-4, L. 511-3-1-,L. 511-3-2, L. 512-1 et L. 513-2 ; que, notamment, il rappelle que M. B..., né à Tunisie, a la nationalité italienne, mentionne sa situation de famille, la nature des faits criminels pour lesquels il a été condamné, relève que l'intéressé ne justifie nullement subvenir aux besoins de sa famille et disposer de ressources suffisantes ; que cet arrêté est suffisamment motivé et il ressort de cette motivation que les décisions qui y sont prises dont celle fixant le pays de destination, sont intervenues après que son auteur eut procédé à un examen particulier de la situation personnelle de M. B... ;
9. Considérant que les dispositions rappelées ci-dessus permettent, dans les conditions qu'elles précisent, à l'autorité administrative de prononcer une mesure d'éloignement à l'encontre d'un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne ; que par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que la possession de la nationalité italienne faisait obstacle à ce qu'il pût faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
10. Considérant que le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait intervenue en méconnaissance des dispositions de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne, invoqué devant le tribunal administratif et non repris dans les écritures d'appel, n'est pas assorti de précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé ;
11. Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d' autrui. " ; que si M. B... se prévaut de la présence en France de son épouse et de ses deux enfants, il ressort du dossier que lui-même n'a vécu que de très peu de temps sur le territoire français avant son incarcération et qu'il ne justifie pas de liens anciens, intenses et stables dans la société française, ni d'une intégration particulière ; qu'il n'invoque aucune circonstance faisant obstacle à ce que sa vie familiale puisse reprendre hors de France et notamment en Italie ou en Tunisie, son épouse étant comme lui de nationalité tunisienne et ses enfants, âgés seulement de
9 et 6 ans à la date de l'arrêté contesté, possédant également comme lui la nationalité italienne ; que par suite, compte tenu de ces éléments et des considérations développées ci-dessus aux points 3 à 5, la mesure d'éloignement prise à l'encontre de M. B... n'a pas porté au droit de celui-ci au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée au regard des buts poursuivis par l'auteur de cette décision ;
12. Considérant qu'aux termes de l'article R. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) La notification de l'obligation de quitter le territoire français prononcée en application de l'article L. 511-3-1 mentionne le délai imparti pour quitter le territoire. " ; que M. B... n'est pas fondé à soutenir qu'en lui faisant obligation de quitter le territoire français sans délai, le préfet du Seine-et-Marne aurait méconnu les dispositions précitées, lesquelles ne fixent aucun délai minimum mais prévoient seulement qu'il soit fait mention du délai imparti dans la notification de l'obligation ; qu'en tout état de cause, et eu égard à ce qui a été dit aux points 3 à 5, l'urgence pouvait justifier que la mesure d'éloignement ne fût pas assortie d'un délai de départ volontaire ;
13. Considérant que si M. B..., qui a la nationalité italienne mais dont il est contant qu'il a également la nationalité tunisienne, fait valoir qu'il ne parle pas l'italien, cette circonstance n'est pas de nature à démontrer qu'en décidant son éloignement à destination du pays dont il a la nationalité, qui lui a délivré un titre de voyage en cours de validité ou encore à destination de tout pays dans lequel il établit être également admissible, le préfet aurait fait une appréciation manifestement erronée de sa situation ;
14. Considérant que M. B... fait valoir que l'interdiction de circulation sur le territoire français méconnaît les stipulations de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; que toutefois, compte tenu de ce qui a été dit ci-dessus au point 11.et au fait que cette interdiction ne fait en tout état de cause pas, en elle-même, obstacle à ce qu'une fois hors de France, M. B..., entretienne des relations avec ses enfants, même s'ils continuent à résider en France, et reçoive le cas échéant la visite de ceux-ci, le moyen susanalysé ne peut qu'être écarté ;
15.Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté pris le 6 décembre 2016 à l'encontre de M. B... et à obtenir l'annulation dudit jugement et le rejet de la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif ; que les conclusions présentées par ce dernier devant la Cour doivent également être rejetées, y compris celles présentées sur le fondement l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 ;
DECIDE :
Article 1er : Le jugement en date du 16 décembre 2016 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif et ses conclusions présentées devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et
à M. A... B....
Copie en sera adressée au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 6 décembre 2017, où siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 21 décembre 2017.
Le rapporteur,
S. APPECHELe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA00401