Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 72/74 rue Léon Frot a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 procédant à l'extension du droit de préemption urbain renforcé à 257 adresses, ensemble la décision du 19 avril 2015 du maire de Paris rejetant son recours gracieux à l'encontre de cette délibération.
Par un jugement n° 1510323 du 30 juin 2016, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 23 août 2016, 13 novembre 2017 et 7 décembre 2017, le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 72/74 rue Léon Frot, représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1510323 du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Paris ;
2°) à titre principal, d'annuler la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 procédant à l'extension du droit de préemption urbain renforcé à 257 adresses ;
3°) à titre subsidiaire, d'annuler la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 en tant qu'elle procède à l'extension du droit de préemption urbain renforcé à l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot ;
4°) de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il n'a pas eu un accès suffisant au sens des conclusions du rapporteur public avant l'audience ;
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors qu'il n'a pas pris en compte la note en délibéré qu'il a produite, alors qu'elle comportait une argumentation nouvelle ;
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé, dès lors qu'il s'est borné à considérer que le requérant n'a pas sérieusement remis en cause la validité de la notion de " logement social de fait " sur laquelle la délibération contestée est fondée ;
- le jugement attaqué n'a pas suffisamment répondu aux moyens tirés de ce que la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 ne porte pas sur une action ou une opération d'aménagement au sens des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et qu'elle ne répond pas à un objectif d'intérêt général compte tenu de son coût financier excessif au regard de l'intérêt et des inconvénients pour les copropriétaires qu'elle représente ;
- le jugement attaqué n'a pas suffisamment répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ;
- le jugement attaqué n'a pas répondu au moyen tiré de la contestation des critères du parc social de fait à l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot, en particulier celui du pourcentage de ménages inscrits au fichier des demandeurs de logements sociaux, dès lors qu'il a considéré à tort qu'il n'avait été soulevé qu'après la clôture de l'instruction ;
- le jugement attaqué a omis de répondre aux moyens relatifs à l'absence d'intérêt général et d'utilité publique de la délibération, en raison du risque de dépréciation des appartements et d'incapacité des copropriétés à assumer les dépenses de gros entretien de l'immeuble ;
- le jugement attaqué est entaché d'erreurs de droit et d'appréciation ;
- la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 est illégale, dès lors qu'elle ne porte pas sur une action ou une opération d'aménagement au sens des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et qu'elle ne répond pas à un objectif d'intérêt général compte tenu de son coût financier excessif au regard de l'intérêt et des inconvénients pour les copropriétaires qu'elle représente ;
- la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 est insuffisamment motivée, dès lors qu'elle ne précise pas les caractéristiques de l'opération d'aménagement projetée et qu'elle se réfère à la notion de logement social de fait utilisée par une étude de l'APUR qui ne figure pas dans le plan local de l'habitat ;
- la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 est illégale, dès lors qu'elle se fonde sur la notion de logement social de fait qui repose sur le critère de revenu médian monétaire et non réel, et sur des critères déterminés arbitrairement, non fiables et évolutifs ;
- la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 méconnaît le principe d'égalité ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation en tant qu'elle mentionne le 72 rue Léon Frot alors qu'elle aurait dû viser la copropriété unique correspondant aux 72 et 74 de la même rue ;
- ni le bâtiment du 72 rue Léon Frot ni la copropriété des 72 et 74 ne correspondent aux critères retenus par l'APUR et la ville de Paris pour déterminer les immeubles du " parc social de fait " justifiant l'inscription sur la liste des immeubles soumis au droit de préemption urbain renforcé.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 16 octobre et 7 décembre 2017, la ville de Paris, représentée par la SCP Foussard-Froger, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge du syndicat des copropriétaires du 72-74 rue Léon Frot de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, par application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions principales tendant à l'annulation de la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 dans son intégralité, pour défaut d'intérêt pour agir du syndicat des copropriétaires du 72-74 rue Léon Frot.
Un mémoire présenté pour le syndicat des copropriétaires du 72-74 rue Léon Frot a été enregistré le 20 février 2018, en réponse au moyen d'ordre public.
Un mémoire présenté pour la ville de Paris a été enregistré le 21 février 2018, par lequel elle déclare s'approprier la fin de non-recevoir soulevée d'office par la cour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965
- la loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Nguyên Duy,
- les conclusions de M. Romnicianu, rapporteur public,
- et les observations de Me Claude-Loonis, avocat de la ville de Paris.
1. Considérant que, par délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014, le conseil de Paris a étendu le droit de préemption urbain renforcé, prévu à l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme, à 257 adresses dans les 2ème, 10ème, 11ème, 12ème, 15ème, 17ème, 18ème et 20ème arrondissements de Paris, dont un immeuble situé " 72 rue Léon Frot " dans le 11ème arrondissement ; que le syndicat des copropriétaires de l'immeuble du 72/74 rue Léon Frot a demandé au tribunal administratif de Paris l'annulation de cette délibération ainsi que de la décision du 19 avril 2015 par laquelle le maire de Paris a rejeté son recours gracieux ; que les premiers juges ont rejeté cette demande par un jugement du 30 juin 2016, dont le syndicat des copropriétaires relève appel ;
Sur la régularité du jugement :
En ce qui concerne l'absence de communication du sens des conclusions du rapporteur public :
2. Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé de conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne. " ;
3. Considérant que la communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré ; qu'en conséquence, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; que cette exigence s'impose à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public ;
4. Considérant, par ailleurs, que, pour l'application de l'article R. 711-3 du code de justice administrative et eu égard aux objectifs de cet article, il appartient au rapporteur public de préciser, en fonction de l'appréciation qu'il porte sur les caractéristiques de chaque dossier, les raisons qui déterminent la solution qu'appelle, selon lui, le litige, et notamment d'indiquer, lorsqu'il propose le rejet de la requête, s'il se fonde sur un motif de recevabilité ou sur une raison de fond, et, de mentionner, lorsqu'il conclut à l'annulation d'une décision, les moyens qu'il propose d'accueillir ; que la communication de ces informations n'est toutefois pas prescrite à peine d'irrégularité du jugement ;
5. Considérant qu'il ressort du relevé de l'application " Sagace " que le rapporteur public devant le tribunal administratif a indiqué aux parties, le 14 juin 2016, soit plus de vingt-quatre heures avant l'audience qui s'est tenue le 16 juin suivant, le sens des conclusions qu'il envisageait de prononcer, s'agissant des conclusions présentées par le syndicat des copropriétaires, dans les termes suivants : " rejet au fond " ; qu'il doit ainsi être regardé comme ayant porté à la connaissance des parties l'ensemble des éléments du dispositif de la décision qu'il a proposé à la formation de jugement d'adopter ; que, par suite, le moyen tiré de ce que le sens des conclusions du rapporteur public n'aurait pas été communiqué doit être écarté ; qu'il s'ensuit que le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris serait irrégulier pour ce motif ;
En ce qui concerne l'absence de réouverture de l'instruction :
6. Considérant que devant les juridictions administratives et dans l'intérêt d'une bonne justice, le juge a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci ; qu'il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser ; que, s'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser ; que, dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision ;
7. Considérant que si, par une ordonnance du 21 janvier 2016, la clôture d'instruction a été fixée par le tribunal au 21 février 2016, il est constant que tant la ville de Paris que le syndicat des copropriétaires ont produit des mémoires qui ont été enregistrés au greffe du tribunal le 19 février 2016 puis communiqués aux parties le 7 mars suivant ; que cette communication a eu pour effet de rouvrir l'instruction, laquelle a de nouveau été close trois jours francs avant l'audience du 16 juin 2016, conformément à l'article R. 613-2 du code de justice administrative ; qu'après l'audience publique, le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot a adressé au tribunal administratif de Paris une note en délibéré, qui a été enregistrée au greffe du tribunal le 17 juin 2016 ; que cette note en délibéré ne contient pas l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont le requérant n'aurait pas été en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui aurait été susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire ; que les premiers juges, qui n'avaient donc pas d'obligation de rouvrir l'instruction, ont ainsi pu se borner à viser cette note en délibéré, sans l'analyser ;
En ce qui concerne l'insuffisance de motivation du jugement attaqué :
8. Considérant, en premier lieu, que si le requérant a fait valoir dans sa demande de première instance, à propos de la notion de parc social de fait, qu' " il n'existe aucune définition juridique de cette notion, celle-ci est un leurre. En effet, dans leur grande majorité, les propriétaires donnent congé à leurs locataires avant de mettre leur bien en vente, l'occupation du bien étant souvent une source de moins-value sur le marché immobilier. Dès lors, l'objectif fixé de maintenir les ménages qui ont des revenus similaires à ceux qui occupent un logement social ne pourra vraisemblablement être atteint par le droit de préemption urbain renforcé ", il n'est pas fondé à soutenir, compte tenu du caractère très général de la critique ainsi formulée, que le jugement attaqué, qui a considéré, à son point 8, que le syndicat des copropriétaires ne remettait pas sérieusement en cause la validité de la notion de parc social de fait figurant dans l'étude réalisée en 2013 par l'Atelier parisien d'urbanisme sur laquelle s'est fondée la ville de Paris pour prendre la délibération attaquée, serait insuffisamment motivé ;
9. Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des points 6 à 8 du jugement attaqué que les premiers juges ont suffisamment répondu aux moyens tirés de ce que la délibération des 15, 16 et 17 décembre 2014 ne porterait pas sur une action ou une opération d'aménagement au sens des dispositions de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, et qu'elle ne répondrait pas à un objectif d'intérêt général compte tenu de son coût financier excessif au regard de l'intérêt qu'elle représente ; que le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de se prononcer sur tous les arguments développés par les parties, a, en tout état de cause, relevé que les atteintes ainsi portées à la propriété privée des copropriétaires sont autorisées par la loi et justifiées par l'objectif d'intérêt général de développement du logement social, en réponse aux arguments tirés de l'absence d'intérêt général et d'utilité publique de la délibération résultant de la dépréciation de la valeur des appartements et du risque de non prise en charge des dépenses de gros entretien de l'immeuble ;
10. Considérant, en troisième lieu, qu'il résulte du point 9 du jugement attaqué que les premiers juges ont suffisamment répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité tel qu'il était développé par le requérant en première instance ;
11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté dans toutes ses branches ;
En ce qui concerne l'omission à statuer :
12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le moyen tiré de ce que l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot ne répond pas aux critères d'appartenance au " parc social de fait " sur la base desquels a été dressée la liste des immeubles soumis au droit de préemption urbain renforcé, n'a été invoqué pour la première fois par le requérant que dans sa note en délibéré du 17 juin 2016, soit postérieurement à la clôture d'instruction ; qu'il ressort en effet de la requête sommaire et du mémoire ampliatif produits devant les premiers juges, que, d'une part, le requérant n'a entendu soutenir que la copropriété du 72/74 rue Léon Frot ne répondait pas aux critères de sélection de la ville de Paris qu'à l'appui de son moyen tiré de ce que les critères de sélection auraient dû être vérifiés à l'échelle de la copropriété tout entière et non au regard du seul numéro 72 de cette rue, auquel le tribunal a répondu au point 10 de son jugement, et que, d'autre part, il s'est borné à soutenir que l'immeuble serait déjà caractérisé par une importante mixité sociale ; que, dans ces conditions, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le tribunal aurait omis de se prononcer sur ce moyen ;
En ce qui concerne les erreurs de droit et d'appréciation :
13. Considérant, enfin, que, dans l'hypothèse où les premiers juges auraient commis, comme le soutient le requérant, des erreurs de droit et d'appréciation dans des conditions susceptibles d'affecter la validité de la motivation du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, ces erreurs resteraient, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement ;
14. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot n'est pas fondé à soutenir que le jugement attaqué serait irrégulier ;
Sur la recevabilité de la requête :
15. Considérant qu'aux termes de l'article 15 de la loi du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis : " Le syndicat a qualité pour agir en justice, tant en demandant qu'en défendant, même contre certains des copropriétaires ; il peut notamment agir, conjointement ou non avec un ou plusieurs de ces derniers, en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble./ Tout copropriétaire peut néanmoins exercer seul les actions concernant la propriété ou la jouissance de son lot, à charge d'en informer le syndic. " ;
16. Considérant qu'il résulte de ces dispositions qu'un syndicat de copropriétaires ne peut agir qu'en vue de la sauvegarde des droits afférents à l'immeuble en copropriété ; que si le syndicat requérant justifie dès lors d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de la délibération litigieuse instituant un droit de préemption urbain renforcé en tant qu'elle étend ce droit de préemption à l'immeuble du 72/74 rue Léon Frot, ou à l'une de ces adresses, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en étendant ce droit de préemption à 256 autres adresses, la délibération affecte des droits auxquels il lui appartient de veiller ; que la délibération en cause n'entrainant pas en elle-même de dépenses supplémentaires pour le budget de la ville de Paris, la qualité de contribuable communal du syndicat de copropriétaires ne saurait lui donner intérêt pour agir ; qu'il s'ensuit que le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot n'a intérêt à demander l'annulation de la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 qu'en tant qu'elle concerne cet immeuble ;
Sur la légalité de la délibération attaquée :
17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : " Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 (...) Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé. " ; qu'aux termes de l'article L. 211-1 du même code : " Les communes dotées d'un plan d'occupation des sols rendu public ou d'un plan local d'urbanisme approuvé peuvent, par délibération, instituer un droit de préemption urbain sur tout ou partie des zones urbaines et des zones d'urbanisation future délimitées par ce plan (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 211-4 de ce code : " Ce droit de préemption n'est pas applicable : a) A l'aliénation d'un ou plusieurs lots constitués soit par un seul local à usage d'habitation, à usage professionnel ou à usage professionnel et d'habitation, soit par un tel local et ses locaux accessoires, soit par un ou plusieurs locaux accessoires d'un tel local, compris dans un bâtiment effectivement soumis, à la date du projet d'aliénation, au régime de la copropriété, soit à la suite du partage total ou partiel d'une société d'attribution, soit depuis dix années au moins dans les cas où la mise en copropriété ne résulte pas d'un tel partage, la date de publication du règlement de copropriété au fichier immobilier constituant le point de départ de ce délai ; (...) Toutefois, par délibération motivée, la commune peut décider d'appliquer ce droit de préemption aux aliénations et cessions mentionnées au présent article sur la totalité ou certaines parties du territoire soumis à ce droit " ; que l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable, dispose : " Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objets de mettre en oeuvre un projet urbain, une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur, de lutter contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux, de permettre le renouvellement urbain, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non bâti et les espaces naturels. L'aménagement, au sens du présent livre, désigne l'ensemble des actes des collectivités locales ou des établissements publics de coopération intercommunale qui visent, dans le cadre de leurs compétences, d'une part, à conduire ou à autoriser des actions ou des opérations définies dans l'alinéa précédent et, d'autre part, à assurer l'harmonisation de ces actions ou de ces opérations. " ;
En ce qui concerne la légalité externe :
18. Considérant que la délibération litigieuse vise les dispositions du code de l'urbanisme relatives au droit de préemption urbain renforcé, l'article L. 2254-1 du code général des collectivités territoriales, qui impose aux communes de réaliser des logements locatifs sociaux nécessaires à la mixité sociale des villes et des quartiers par leurs actions et opérations d'aménagement, ainsi que l'objectif fixé par la loi du 13 décembre 2000 d'atteindre un seuil de 25% de logements sociaux en 2025 ; que cette délibération précise également " qu'une extension du droit de préemption urbain renforcé permettra la production de logements sociaux au sein de copropriétés, tout en participant au rééquilibrage géographique de l'offre par une politique de mixité sociale fine à l'échelle de l'immeuble, s'inscrivant ainsi dans l'action 1.2.5 -Axe 1 - Objectif 2 du Programme Local de l'Habitat (PLH) de Paris " et relève " l'intérêt communal à étendre le périmètre du droit de préemption urbain renforcé à 257 adresses en copropriétés, situées dans la zone de déficit en logement social des 2ème, 10ème, 11ème, 12ème, 15ème, 17ème, 18ème et 20ème arrondissements, caractérisées par une occupation significative par des ménages modestes au sein d'immeubles particulièrement soumis à la pression foncière et aux tensions sur le marché de l'immobilier " ; que, dans ces conditions, la délibération attaquée doit être regardée comme comportant l'ensemble des considérations de droit et de fait sur lesquelles s'est fondée la ville de Paris pour décider d'étendre le droit de préemption urbain aux cessions mentionnées à l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme ; qu'en outre, au stade de l'instauration du droit de préemption urbain, et non de l'exercice de ce droit sur un lot d'immeuble déterminé, l'administration n'avait pas à motiver cet acte par l'existence d'une opération d'aménagement ; que le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot n'est donc pas fondé à soutenir que la délibération ne répondrait pas aux exigences de motivation de l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme ;
En ce qui concerne la légalité interne :
19. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des motifs de la délibération attaquée, que l'instauration par la ville de Paris d'un droit de préemption urbain renforcé dans les zones concernées vise à maintenir et développer l'offre de logement social parmi les résidences principales, en particulier en secteur diffus, afin d'atteindre l'objectif fixé par le législateur de 25% de logement social en 2030 ; qu'une telle politique locale de l'habitat, exposée par la ville de Paris notamment dans son programme local de l'habitat 2011-2016, figure parmi les objectifs pour la mise en oeuvre desquels peuvent être menées les actions et opérations d'aménagement mentionnées aux articles L. 210-1 et L. 300-1 du code de l'urbanisme ; que la délibération attaquée est donc conforme à ces dispositions du code de l'urbanisme ;
20. Considérant, en deuxième lieu, que, contrairement à ce que soutient le requérant, aucune disposition du code de l'urbanisme n'impose aux communes de justifier d'un projet d'aménagement au moment où elles instituent le droit de préemption urbain renforcé et déterminent les zones grevées par celui-ci, seule la décision par laquelle la collectivité exercera ultérieurement son droit de préemption devant être motivée par un projet d'aménagement suffisamment certain répondant aux objets définis à l'article L. 300-1 du même code ;
21. Considérant, en troisième lieu, que le requérant soutient que la délibération ne poursuit pas un but d'intérêt général et ne présente pas une utilité publique suffisante ; que toutefois la circonstance que les opérations de préemption représenteraient, potentiellement, un coût financier très élevé pour la ville de Paris n'est pas de nature à rendre illégale la délibération attaquée compte tenu de l'objectif d'intérêt général de développement du logement social et de la mixité sociale qu'elle poursuit ; que, d'autre part si le requérant se prévaut des conséquences négatives de l'instauration d'un droit de préemption urbain renforcé sur le marché immobilier, par la raréfaction de l'offre de logements privés qu'elle entraînerait, et sur les copropriétaires, qui vont subir une dépréciation de leur bien et qui risquent de rencontrer des difficultés dans la prise en charge des coûts d'entretien de leur immeuble, de telles atteintes à la propriété privée, qui sont autorisées par la loi, sont justifiées par l'objectif d'intérêt général qui vient d'être mentionné ;
22. Considérant, en quatrième lieu, qu'il ressort des pièces du dossier, notamment de l'exposé des motifs du projet de la délibération attaquée, que la ville de Paris a choisi, plutôt que d'instituer un droit de préemption renforcé dans toutes les zones déficitaires en logement social des arrondissements parisiens, d'instaurer celui-ci sur les immeubles pouvant être considérés comme faisant partie du " parc social de fait ", tel que défini par une étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR) ; qu'il en ressort que la liste des 257 immeubles en copropriété éligibles au droit de préemption urbain renforcé a ainsi été établie au vu de deux critères alternatifs tenant, d'une part, à la prédominance de petits logements locatifs (immeubles privés qui regroupent plus de 70 % de logements d'une ou deux pièces et plus de 70 % de logements occupés par un locataire), et d'autre part, à la forte présence de ménages demandeurs d'un logement social (plus de 15 % des ménages inscrits au fichier des demandeurs de logement social), après avoir repéré, à partir du revenu annuel médian, les quartiers populaires où résident les ménages modestes, puis en ne retenant au sein de ces quartiers que les copropriétés situées en zone de déficit de logement social ; que si le requérant soutient que ces critères sont peu fiables et évolutifs, l'étude de l'APUR a néanmoins pu légalement se fonder sur les données du fichier cadastral datant du 1er janvier 2010, qui étaient les dernières disponibles, pour identifier la taille des logements et le statut des occupants ; que, par ailleurs, si l'application faite par l'APUR des critères ainsi définis a pu conduire à inclure à tort certains immeubles dans le " parc social de fait " auquel la ville de Paris a entendu étendre le droit de préemption renforcé, il ne ressort pas des pièces du dossier, compte tenu de la marge d'appréciation que le législateur a entendu reconnaître aux communes pour fixer le périmètre d'application du droit de préemption renforcé, qu'en retenant cette méthodologie et ces critères pour définir les immeubles en copropriété auxquels ce droit serait étendu, la ville de Paris aurait commis une erreur manifeste d'appréciation ou une erreur de droit, dès lors que cette méthodologie et ces critères sont en rapport direct avec la politique locale de l'habitat qu'elle poursuit et qu'ils permettent de cibler les zones où le logement social doit être maintenu et développé ;
23. Considérant, en cinquième lieu, que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que l'administration règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'elle déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un comme l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des motifs susceptibles de la justifier ;
24. Considérant que les immeubles éligibles au droit de préemption urbain renforcé, qui ont été déterminés par application des critères objectifs mentionnés au point 22, ne sont pas placés dans la même situation que les autres immeubles situés dans la même rue qui ne remplissent pas ces critères ; qu'un copropriétaire qui entend vendre son bien ne se trouve pas non plus dans la même situation qu'un copropriétaire qui souhaite conserver le sien ; qu'en outre, les différences de traitement, ainsi instaurées par la délibération litigieuse, sont en rapport avec son objet, qui tend à encourager le maintien et le développement du logement social, et ne sont pas manifestement disproportionnées au regard d'un tel objectif ; qu'en particulier, le fait que les 6ème, 7ème, 8ème et 16ème arrondissements, qui comporteraient un taux de logements sociaux inférieur à 4 %, n'ont pas donné lieu à extension du droit de préemption urbain renforcé ne suffit pas à établir l'existence d'une rupture d'égalité dès lors qu'il n'est pas allégué que ces arrondissements sont dans la même situation que ceux qui ont fait l'objet de la délibération litigieuse au regard de la politique menée, telle qu'elle ressort des critères mentionnés au point 22 ; qu'en outre, à supposer que le principe d'égalité implique de construire plus de logements sociaux dans ces arrondissements, cette circonstance resterait en tout état de cause sans influence sur le bien-fondé de la décision litigieuse ; que le moyen tiré de la violation du principe d'égalité doit par suite être écarté ;
25. Considérant, en sixième lieu, que, comme dit au point 16, le requérant ne saurait utilement contester l'application à d'autres immeubles que le sien des critères retenus par la ville de Paris pour identifier les immeubles éligibles au droit de préemption urbain renforcé ;
26. Considérant, en septième lieu, que si la délibération attaquée mentionne seulement le numéro 72 rue Léon Frot comme adresse concernée par le droit de préemption urbain renforcé, il ressort des pièces du dossier que la ville de Paris a entendu désigner la copropriété des 72/74 rue Léon Frot, dès lors que les deux numéros correspondent à un immeuble et à une parcelle unique du cadastre ;
27. Considérant toutefois que le syndicat requérant soutient que l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot ne remplit pas les critères alternatifs utilisés par la ville de Paris pour identifier les immeubles auxquels le droit de préemption urbain renforcé peut être appliqué et que c'est à tort que la ville de Paris, qui ne soutient pas avoir souhaité déroger aux critères qu'elle s'est elle-même fixés, l'a retenu parmi les immeubles du " parc social de fait " auquel le droit de préemption urbain devait être étendu ; que si la ville de Paris fait valoir qu'à la date du 1er janvier 2010, qui correspond aux dernières données cadastrales disponibles, cette copropriété comportait 37 logements et 6 locaux d'activité, dont 11 occupés par des propriétaires et 30 petits logements de 1 ou 2 pièces, il ressort des feuilles d'émargement de l'assemblée générale des copropriétaires de 2012 et de 2013, produites par le requérant, que cet immeuble était composé, à la date de la délibération attaquée, de 43 lots dont 14 étaient occupés par leur propriétaire, de sorte que le critère tenant à la présence de plus 70% de locataires occupants n'était pas rempli ; que la ville de Paris n'apporte pas de document permettant de contester les données ainsi fournies par le requérant et se borne par ailleurs à indiquer, sans l'établir, que l'autre critère alternatif relatif à l'existence de 15% de demandeurs de logement social serait rempli ; que, dans ces conditions, le requérant est fondé à soutenir que la ville de Paris a commis une erreur de fait en incluant l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot dans la liste des immeubles soumis au droit de préemption urbain renforcé et à demander, pour ce motif, l'annulation de la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 en tant qu'elle porte sur cet immeuble ;
28. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté les conclusions subsidiaires de sa demande, tendant à l'annulation de la délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 en tant qu'elle procède à l'extension du droit de préemption urbain renforcé à l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot ;
Sur les frais de procédure :
29. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la ville de Paris demande au titre des frais qu'elle a exposés ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la ville de Paris la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par le syndicat des copropriétaires du 72/74 rue Léon Frot pour son recours au juge ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1510323 du 30 juin 2016 du tribunal administratif de Paris est annulé en tant qu'il rejette les conclusions subsidiaires du syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot.
Article 2 : La délibération du Conseil de Paris des 15, 16 et 17 décembre 2014 est annulée en tant qu'elle procède à l'extension du droit de préemption urbain renforcé à l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot.
Article 3 : La ville de Paris versera au syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée au syndicat des copropriétaires de l'immeuble situé 72/74 rue Léon Frot et à la ville de Paris.
Délibéré après l'audience du 22 février 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Pellissier, présidente de chambre,
- M. Diémert, président-assesseur,
- Mme Nguyên Duy, premier conseiller.
Lu en audience publique le 15 mars 2018.
Le rapporteur,
P. NGUYÊN DUY La présidente,
S. PELLISSIER Le greffier,
A. LOUNISLa République mande et ordonne au préfet de la région Ile-de-France, préfet de Paris en ce qui le concerne ou à tous les huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 16PA02778
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