Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Financière Jean Richard a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1605114/2-2 du 19 avril 2017, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 19 juin et 22 décembre 2017, la société Financière Jean Richard, représentée par Me A...et Me B...(société d'avocats Fidal), demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 19 avril 2017 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions et pénalités litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat les dépens ainsi que la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les provisions pour dépréciation sont justifiées dans leur principe, compte tenu du contentieux pendant sur la valeur locative des locaux, de la diminution du chiffre d'affaires entre 2011 et 2014, et de la surévaluation du fonds de commerce en 1999 ;
- la valorisation du fonds à hauteur de 75 % du chiffre d'affaires est justifiée compte tenu des usages de la profession, et de la comparaison avec le taux retenu lors de l'acquisition d'un autre restaurant du groupe;
- les pénalités pour manquement délibéré seront contestées par un mémoire distinct.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 novembre 2017, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la société Financière Jean Richard ne sont pas fondés.
Par deux mémoires distincts enregistrés les 16 janvier et 17 avril 2018, la société Financière Jean Richard demande à la Cour de transmettre au Conseil d'Etat, en application de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, la question relative à la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des dispositions de l'article 223 A du code général des impôts aux termes desquelles : " la société mère supporte, au regard des droits et des pénalités (...) les conséquences des infractions commises par les sociétés du groupe ".
Elle soutient que :
- ces dispositions méconnaissent le principe de personnalité des peines protégé par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ;
- en ne précisant pas la méthode de détermination du montant des sanctions fiscales réprimant le comportement d'une filiale et devant être supporté par la société tête de groupe, le législateur a manifestement édicté une disposition non conforme au principe constitutionnel de personnalité des peines.
Par un mémoire enregistré le 10 avril 2018, le ministre de l'action et des comptes public conclut à la non-transmission au Conseil d'Etat de la question soumise.
Il soutient que cette question ne présente pas un caractère sérieux.
Par ordonnance du 6 avril 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 20 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Magnard,
- et les conclusions de M. Cheylan, rapporteur public.
1. Considérant que la SARL Le Berkeley, qui exploite un bar-restaurant, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2011 au
31 décembre 2012 ; qu'à l'issue de ce contrôle, l'administration a réintégré dans ses résultats imposables la provision pour dépréciation de son fonds de commerce d'un montant de
1 100 806 euros comptabilisée au titre de l'exercice 2011 ; que par un courrier du 30 juin 2015, elle a porté à la connaissance de la société Financière Jean Richard, société mère du groupe intégré auquel appartient la société Le Berkeley, le montant des droits et pénalités dont elle était redevable en raison des rectifications ainsi effectuées chez sa société fille ; que la société Financière Jean Richard, redevable de l'impôt sur les sociétés en application des articles 223 A et suivants du code général des impôts, relève appel du jugement du 19 avril 2017 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés mises à sa charge au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2011, ainsi que des pénalités correspondantes ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Considérant qu'aux termes de l'article 38 sexies de l'annexe III au code général des impôts : " La dépréciation des immobilisations qui ne se déprécient pas de manière irréversible, notamment les terrains, les fonds de commerce, les titres de participation, donne lieu à la constitution de provisions dans les conditions prévues au 5° du I de l'article 39 du code général des impôts " ; qu'aux termes du I de l'article 39 dudit code : " Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : (...) 5° Les provisions constituées en vue de faire face à des pertes ou charges nettement précisées et que des événements en cours rendent probables (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions qu'une entreprise peut valablement porter en provision et déduire des bénéfices imposables des sommes correspondant à des pertes ou charges qui ne seront supportées qu'ultérieurement par l'entreprise, à la condition que ces pertes ou charges soient nettement précisées quant à leur nature et susceptibles d'être évaluées avec une approximation suffisante, qu'elles apparaissent en outre comme probables eu égard aux circonstances de fait constatées à la date de clôture de l'exercice, et qu'enfin, elles se rattachent aux opérations de toute nature déjà effectuées à cette date par l'entreprise ; qu'il appartient au contribuable d'établir le bien fondé et de justifier du montant d'une telle provision au regard des caractéristiques de l'exploitation au cours des années en litige ;
3. Considérant qu'au titre de l'exercice clos en 2011, la société Le Berkeley a comptabilisé une provision pour dépréciation de son fonds de commerce, situé 8 avenue Matignon à Paris (75008), calculée en comparant la valeur inscrite à l'actif du bilan en 1999, année d'acquisition, avec l'évaluation du fonds faite au taux de 75 % du chiffre d'affaires réalisé par le bar-restaurant à la clôture de l'exercice alors que la valeur du fonds, lors de son acquisition le 13 décembre 1999, a été effectuée sur une base comprise entre 117% et 131% du chiffre d'affaires moyen des années précédentes ; que contrairement à ce qui est soutenu, l'assignation du 28 mars 2011 devant le tribunal de grande instance, par laquelle le propriétaire demandait le déplafonnement et le quadruplement du loyer ne saurait conduire, à elle seule, à regarder comme probable une telle augmentation et la dépréciation qui en découlerait du fonds de commerce ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que la diminution du chiffre d'affaires au cours de l'exercice clos en 2011 ait eu un caractère significatif ; que la diminution du chiffre d'affaires au cours de l'année 2012 par rapport à l'année 2011 et au cours des années suivantes ne révèle non plus aucune probabilité de dépréciation du fonds de commerce à la clôture de l'exercice 2011 ; que si la société requérante serait en droit de se prévaloir d'une détérioration des modalités d'exploitation depuis les années 1996, 1997, 1998 et 1999 ayant servi de base à l'évaluation du fonds en 1999 ou d'une surestimation de cette évaluation, elle n'établit ni même n'allègue aucune détérioration de cette nature, le ministre pour sa part avançant des chiffres établissant que le chiffre d'affaires de l'exercice clos en 2011 est supérieur au chiffre d'affaires moyen des exercices clos entre 1996 et 1999 et que l'évolution des résultats, corrigés des provisions et reprises de provisions relatives au fonds de commerce n'est pas, en 2011, significativement défavorable par rapport à la période courant de 1996 à 1999 ; qu'aucun élément du dossier ne permet de considérer que la localisation de l'établissement, même si elle ne correspond pas à la zone la plus achalandée du quartier, serait de nature à expliquer une dégradation des conditions d'exploitation ; que si la société requérante fait valoir que le fonds de commerce a été évalué en 1999 sur la base d'un pourcentage de chiffre d'affaires excessif, allant de 117 % à 131 %, très supérieur au pourcentage de 75 % généralement retenu dans la profession, elle n'établit pas ce caractère excessif en se bornant à se prévaloir d'une étude de Century 21 parue en 2006 dans le journal de l'hôtellerie-restauration et d'une étude de Michel Marx, expert judiciaire, se référant à un coefficient de 75% pour calculer la valeur d'un fonds de commerce de restaurant, études présentant un caractère général et ne faisant aucune référence à la situation particulière du fonds de commerce en cause ; que l'acquisition par la société requérante du restaurant " Le Cou de la girafe ", dont le fonds a été évalué à 60% du chiffre d'affaires et qui est situé à environ 600 mètres du restaurant " Le Berkeley ", ne saurait constituer un terme de comparaison suffisant compte tenu des différences entre ces deux établissements au regard de leur date d'acquisition, de leur situation géographique, de leur taille respective, de leur chiffre d'affaires et de la circonstance que les éléments incorporels constitutifs du fonds de commerce ne sont pas similaires, l'un des établissements étant titulaire d'une licence III et l'autre d'une licence IV ; que, par suite, l'administration était fondée à réintégrer les provisions comptabilisées à tort dans les résultats de l'entreprise ;
Sur la question prioritaire de constitutionnalité :
4. Considérant qu'il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ;
5. Considérant que la société requérante conteste l'application qui lui a été faite des pénalités de 40 % prévues, en cas de manquement délibéré, par l'article 1729 du code général des impôts, au motif que les dispositions de l'article 223 A du code général des impôts, aux termes desquelles " la société mère supporte, au regard des droits et pénalités (...) les conséquences des infractions commises par les sociétés du groupe ", méconnaissent le principe de personnalité des peines protégé par les articles 8 et 9 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, dès lors qu'elles permettent l'application des pénalités au niveau du résultat d'ensemble du groupe intégré et non au niveau du résultat rectifié de la seule filiale, et, par suite, ont pour effet de faire supporter par la société tête de groupe les conséquences des infractions commises par sa filiale ;
6. Considérant toutefois que, dans le cadre du mécanisme de l'intégration fiscale, il n'est à aucun moment procédé à la détermination de l'impôt dû sur le résultat de chacune des filiales ; que ce mécanisme conduit à la détermination d'un impôt unique, dû par la société tête de groupe, sur le résultat d'ensemble du groupe, qui prend en compte l'excédent ou le déficit réalisé par la filiale ; que, dès lors, les dispositions contestées, qui ont pour seul effet de permettre l'application des pénalités dues par le redevable légal sur le supplément d'impôt résultant du rehaussement de son résultat d'ensemble, en conséquence du seul rehaussement opéré dans les résultats de la filiale, ne peuvent être regardées comme méconnaissant le principe de personnalité des peines ; que dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu, et ainsi qu'il résulte de ce qui précède, les modalités de calcul des sanctions fiscales réprimant le comportement d'une filiale et supportées par la société tête de groupe sont précisément déterminées, la société requérante ne saurait utilement soutenir qu'en ne précisant pas ces modalités, le législateur aurait " manifestement édicté une disposition non conforme au principe constitutionnel de personnalité des peines " ; qu'il s'ensuit que la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Financière Jean Richard ne présente pas un caractère sérieux ; que, dès lors, il n'y a pas lieu de renvoyer cette question au Conseil d'Etat ;
7. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Financière Jean Richard n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ; que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par la société Financière Jean Richard.
Article 2 : La requête de la société Financière Jean Richard est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société financière Jean Richard et au ministre de l'action et des comptes publics.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2018, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Appèche, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Lu en audience publique le 24 mai 2018.
Le rapporteur,
F. MAGNARDLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVA
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA02063