Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 13 octobre 2016 par laquelle la ministre chargée du travail a rejeté son recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail autorisant son licenciement pour motif disciplinaire et d'enjoindre à la ministre du travail d'annuler la décision de l'inspecteur du travail, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de dix euros par jour de retard.
Par un jugement n° 1621232/3-2 du 22 décembre 2017, le Tribunal administratif de Paris a, d'une part, annulé les décisions de l'inspecteur du travail et de la ministre chargée du travail, en date respectivement du 25 mars 2016 et du 13 octobre 2016 et, d'autre part, rejeté le surplus des conclusions de la demande de M.A....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 22 février 2018, et un mémoire en réplique, enregistré le 23 mai 2018, la société Quilvest Banque privée, représentée par Me de Gabory, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1621232/3-2 du 22 décembre 2017 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le Tribunal administratif de Paris ;
3°) de mettre à la charge de M. A...le versement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il n'existe aucune obligation, pour l'inspecteur du travail, de remettre au salarié protégé une copie de l'ensemble des pièces produites à l'appui de la demande d'autorisation de licenciement, mais seulement que ce dernier soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande ; au demeurant, ces pièces ont bien été transmises à l'avocat de M.A... ; de plus, M. A...a bien eu communication de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement lors de l'entretien qu'il a eu avec l'inspecteur du travail le 17 mars 2016 ; enfin, la demande d'autorisation de licenciement et les pièces 1 à 38, soit l'ensemble des factures et les dix autres pièces, ont été transmises, à la demande de M.A..., par la société par un courrier du 21 mars 2016 ;
- les moyens articulés en première instance par M. A...à l'encontre des décisions de l'inspecteur du travail et de la ministre chargée du travail doivent être écartés ; en effet, l'inspecteur du travail était compétent pour prendre la décision du 25 mars 2016 ; la décision du 13 octobre 2016 de la ministre chargée du travail était suffisamment motivée ; les faits fautifs n'étaient pas prescrits ; la matérialité des faits fautifs est avérée et ces faits étaient imputables à M.A... ; l'inspecteur du travail et la ministre chargée du travail ont considéré à juste titre que les faits fautifs étaient d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M.A... ; enfin, la demande d'autorisation de licenciement de la société était sans lien avec le mandat détenu par le salarié.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2018, et un nouveau mémoire, enregistré le 17 juillet 2018, M. D...A...représenté par Me Gérinier, conclut à titre principal au rejet de la requête, et à titre subsidiaire à l'annulation de la décision du 13 octobre 2016 par laquelle le ministre du travail a rejeté son recours hiérarchique à l'encontre de la décision de l'inspecteur du travail en date du 25 mars 2016 autorisant son licenciement pour motif disciplinaire, et à ce qu'il soit enjoint à la ministre du travail d'annuler la décision de l'inspecteur du travail en date du 25 mars 2016 dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sous astreinte de dix euros par jour de retard ou à défaut de réexaminer sa situation, dans le même délai et sous la même astreinte, et à ce que le versement de la somme de 2 750 euros soit mis à la charge de la société Quilvest Banque privée et de l'Etat, chacun, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par la société Quilvest Banque privée ne sont pas fondés.
Par un mémoire, enregistré le 25 avril 2018, la ministre du travail s'en remet à la sagesse de la Cour quant à l'appréciation des suites à donner à la présente requête.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Luben,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public,
- et les observations de Me de Gabory, avocat de la société Quilvest Banque privée, et de Me Gérinier, avocat de M.A....
Considérant ce qui suit :
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
1. Il ressort des pièces du dossier que M. A...a été recruté en octobre 2007 par la société Quilvest Banque privée en tant que responsable des services généraux ; il était membre suppléant de la délégation unique du personnel. Par un courrier du 26 février 2016, reçu le 29 février, la société Quilvest Banque privée a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de le licencier pour faute, au motif qu'il s'était livré à des détournements de matériels à son profit et à des surfacturations pour des produits commandés auprès d'une société dont il était le gérant, pour un préjudice évalué à cette date à 71 488 euros. Par une décision du 25 mars 2016, la directrice adjointe du travail a autorisé son licenciement. Saisie d'un recours hiérarchique formé par M. A...contre cette décision, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, par la décision attaquée du
13 octobre 2016, a confirmé explicitement la décision implicite de rejet du recours hiérarchique née le 26 septembre 2016. Le jugement du 22 décembre 2017, dont la société Quilvest Banque privée relève appel, après avoir considéré que M. A... devait être regardé comme sollicitant l'annulation de la décision de la directrice adjointe du travail et de celle de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, a annulé ces deux décisions.
2. Aux termes de l'article R. 2421-11 du code du travail : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. / L'inspecteur du travail prend sa décision dans un délai de quinze jours, réduit à huit jours en cas de mise à pied. Ce délai court à compter de la réception de la demande d'autorisation de licenciement. Il n'est prolongé que si les nécessités de l'enquête le justifient. L'inspecteur avise de la prolongation du délai les destinataires mentionnés à l'article R. 2421-12. ".
3. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, d'informer le salarié concerné des agissements qui lui sont reprochés et de l'identité des personnes qui en ont témoigné. Il implique, en outre, que le salarié protégé soit mis à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande, dans des conditions et des délais lui permettant de présenter utilement sa défense, sans que la circonstance que le salarié est susceptible de connaître le contenu de certaines de ces pièces puisse exonérer l'inspecteur du travail de cette obligation. C'est seulement lorsque l'accès à certains de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice à leurs auteurs que l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
4. D'une part, il ne ressort pas des pièces du dossier que la directrice adjointe du travail, chargée en l'espèce de mener l'enquête contradictoire en application des dispositions précitées de l'article R. 2421-11 du code du travail ait spontanément mis à même M.A..., comme il le lui incombait, de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par son employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement. D'autre part, il ressort des pièces du dossier que M. A..., convoqué par la directrice adjointe du travail le 5 mars 2016 à une audition prévue le 17 mars 2016, a sollicité, par télécopie, une heure avant le début de son audition, " la copie de l'ensemble des pièces produites par l'employeur (avec la possibilité de les consulter lors de cet entretien) ainsi que l'ensemble des éléments déterminants éventuellement recueillis au cours de [son] enquête ". La directrice adjointe du travail, qui a indiqué n'avoir reçu cette télécopie que le lendemain, y a répondu le 21 mars 2016 en adressant " les éléments de la demande d'autorisation de licenciement de M. A...par M. B...directeur général de la Banque Quilvest, conformément au respect du contradictoire. / - Courier de demande, / - Factures. ". Toutefois, si vingt-huit des trente-huit pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement étaient effectivement des factures, figuraient également au nombre de ces pièces une copie d'écran d'un site internet, une attestation d'un collègue du salarié intéressé, un devis, un courriel de signalement des faits reprochés à M.A..., des convocations à l'entretien préalable et à la réunion extraordinaire du comité d'entreprise ainsi que le procès-verbal de la réunion de celui-ci, l'extrait K-bis de la société Tech 2i et le contrat de travail de l'intéressé. Par suite, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, eu égard aux mentions portées sur le courrier de transmission du 21 mars 2016 et en l'absence de précisions apportées sur ce point de la part de la ministre chargé du travail, il n'est pas établi que l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ait été communiqué à M. A..., ainsi qu'il l'avait pourtant sollicité. En outre, si la société Quilvest Banque privée fait valoir que la demande d'autorisation de licenciement et les pièces annexées n° 1 à 38 ont été transmises à M.A..., à sa demande, par un courrier du 21 mars 2016, cette circonstance est sans incidence sur la régularité de la procédure administrative suivie dès lors qu'il incombe au seul inspecteur du travail de mettre le salarié à même de prendre connaissance de l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande. Enfin, la circonstance que l'ensemble des pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement ait été présenté à M. A...lors de l'entretien qu'il a eu avec la directrice adjointe du travail le 17 mars 2016 n'était pas de nature à lui permettre de préparer utilement sa défense, c'est-à-dire préalablement à cet entretien. Au surplus, la communication, partielle ou complète, des pièces jointes à la demande d'autorisation de licenciement le 21 mars 2016, alors que, comme il a été dit, l'entretien avec la directrice adjointe du travail a eu lieu le 17 mars 2016 et que sa décision d'autorisation de licenciement a été prise le 25 mars 2016, n'a pas été effectuée dans des délais lui permettant de présenter utilement sa défense.
5. L'accès, dans le cadre de l'enquête contradictoire prévue par les articles R. 2421-4 et R. 2421-11 du code du travail, à l'ensemble des pièces produites par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement, dans des conditions et des délais permettant de présenter utilement sa défense, constituant une garantie pour le salarié protégé, dont M. A... a été effectivement privée, la société Quilvest Banque privée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'enquête contradictoire était entachée d'irrégularité, et, par suite, ont annulé la décision de l'inspecteur du travail en date du 25 mars 2016 autorisant le licenciement de M.A..., ainsi que la décision de la ministre chargée du travail en date du 13 octobre 2016 rejetant son recours hiérarchique.
6. Il résulte de tout ce qui précède que la requête de la société Quilvest Banque privée doit être rejetée et, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Quilvest Banque privée le paiement à M. A...de la somme de 1 500 euros au titre des frais liés à l'instance en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de l'Etat en application de ces dispositions légales.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Quilvest Banque privée est rejetée.
Article 2 : La société Quilvest Banque privée versera à M. A...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de M. A...est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Quilvest Banque privée, à M. D...A...et à la ministre du travail.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président,
- M. Luben, président assesseur,
- MmeC..., première conseillère.
Lu en audience publique, le 20 septembre 2018.
Le rapporteur,
I. LUBENLe président,
J. LAPOUZADELa greffière,
Y. HERBERLa République mande et ordonne à la ministre du travail en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA00637