Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B...A...a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté en date du 7 mai 2018 par lequel le préfet de police a décidé son transfert aux autorités italiennes responsables de l'examen de sa demande d'asile.
Par un jugement n° 1807362/8 du 25 juin 2018, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 août 2018, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B...A...devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- en admettant que le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ait été invoqué oralement lors de l'audience du 13 juin 2018, c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'il avait commis une erreur manifeste d'appréciation en refusant de faire application de la " clause discrétionnaire " prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- à titre subsidiaire, le jugement serait irrégulier si le premier juge a statué ultra petita ;
- les autres moyens invoqués devant le tribunal administratif par M. B... A...à l'encontre de l'arrêté attaqué ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 26 décembre 2018, M. B... A..., représenté par MeC..., demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête du préfet de police ;
2°) d'enjoindre au préfet de police de se reconnaître responsable de sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'un mois minimum, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ainsi que de transmettre sa demande à l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la décision de la Cour était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office tiré d'un non-lieu à statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté de transfert du 7 mai 2018 dans la mesure où il n'est plus susceptible d'exécution.
Par un mémoire, enregistré le 4 mars 2019, le préfet de police a produit des observations en maintenant ses conclusions à fin d'annulation de l'article 2 du jugement du 25 juin 2018.
Par une décision en date du 26 octobre 2018, le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande Instance de Paris a accordé l'aide juridictionnelle totale à M. B... A....
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Mantz a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., de nationalité bangladaise, entré irrégulièrement en France, s'est présenté à la préfecture de police le 19 février 2018 afin de solliciter l'admission au séjour au titre de l'asile. Ses empreintes ont été relevées et une attestation de demande d'asile lui a été remise. Après consultation du fichier Eurodac, le préfet de police a demandé aux autorités italiennes, le 23 février 2018, de prendre en charge la demande d'asile de M. B...A.... Suite à l'acceptation implicite des autorités italiennes en date du 23 avril 2018, le préfet de police a décidé, par arrêté du 7 mai 2018, le transfert de M. B... A...vers l'Italie en vue du traitement de sa demande d'asile. Le préfet de police relève appel du jugement du 25 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Sur l'appel du préfet de police :
2. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'État membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Et aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
3. M. B...A...fait valoir que, en cas de transfert vers l'Italie, il risque d'être renvoyé vers le Bangladesh où il serait exposé au risque de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que, en l'état actuel de situation exceptionnelle d'afflux de réfugiés, les autorités italiennes ne peuvent prendre en charge le traitement de sa demande de manière sérieuse et équitable. Toutefois, l'arrêté en litige a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Italie et non dans son pays d'origine. En outre, l'Italie, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut de réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Or M. B...A...ne produit aucun élément de nature à établir qu'il existerait des raisons sérieuses de croire à l'existence de défaillances systémiques en Italie dans la procédure d'asile et que, en conséquence, les autorités de ce pays ne pourraient traiter sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. Enfin, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que les autorités italiennes n'évalueront pas, avant de procéder à un éventuel éloignement de M. B... A..., les risques auxquels il serait exposé en cas de retour au Bangladesh. Par suite, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement, c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a retenu le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 susvisé pour annuler l'arrêté du 7 mai 2018 portant remise de M. B...A...aux autorités italiennes.
Sur la demande de M. B...A...devant le tribunal administratif :
4. Le règlement n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 fixe, à ses articles 7 et suivants, les critères à mettre en oeuvre pour déterminer, de manière claire, opérationnelle et rapide ainsi que l'ont prévu les conclusions du Conseil européen de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande d'asile. La mise en oeuvre de ces critères peut conduire, le cas échéant, à une demande de prise ou reprise en charge du demandeur, formée par l'Etat membre dans lequel se trouve l'étranger, dénommé " Etat membre requérant ", auprès de l'Etat membre que ce dernier estime être responsable de l'examen de la demande d'asile, ou " Etat membre requis ". En cas d'acceptation de ce dernier, l'Etat membre requérant prend, en vertu de l'article 26 du règlement, une décision de transfert, notifiée au demandeur, à l'encontre de laquelle ce dernier dispose d'un droit de recours effectif, en vertu de l'article 27, paragraphe 1, du règlement. Aux termes du paragraphe 3 du même article : " Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national : / a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l'État membre concerné en attendant l'issue de son recours ou de sa demande de révision (...) ". Aux termes de l'article 29, paragraphe 1, du règlement, le transfert du demandeur vers l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile doit s'effectuer " dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de la prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3 ". Aux termes du paragraphe 2 du même article : " Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'État membre requérant ".
5. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 du même code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". En vertu du II du même article, lorsque la décision de transfert est accompagnée d'un placement en rétention administrative ou d'une mesure d'assignation à résidence notifiée simultanément, l'étranger dispose d'un délai de 48 heures pour saisir le président du tribunal administratif d'un recours et ce dernier dispose d'un délai de 72 heures pour statuer. Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. Ni un appel ni le sursis à exécution du jugement accordé par le juge d'appel sur une demande présentée en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative n'ont pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.
7. Or il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 7 mai 2018 par lequel le préfet de police a ordonné la remise de M. B...A...aux autorités italiennes est intervenu moins de six mois après la décision par laquelle l'Italie a donné son accord pour sa réadmission. Ce délai a été interrompu par la demande d'annulation introduite par l'intéressé contre cet arrêté devant le Tribunal administratif de Paris le 7 mai 2018. Un nouveau délai de six mois a recommencé à courir à compter de l'intervention du jugement du Tribunal administratif de Paris du
25 juin 2018 annulant l'arrêté contesté. Le préfet de police ne faisant état d'aucune prolongation de ce délai, ce dernier doit être regardé comme expiré à compter du 25 décembre 2018. En conséquence, la décision de transfert est devenue caduque dès lors qu'elle n'a fait l'objet d'aucune décision de prorogation et n'a pas été matériellement exécutée. La caducité de cette décision a pour effet de priver d'objet la demande de M. B...A...devant le tribunal administratif en toutes ses conclusions. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur les conclusions incidentes aux fins d'injonction :
8. La caducité de la décision de transfert constatée par la présente décision implique que la France devienne responsable du traitement de la demande d'asile de M. B...A.... Ce dernier est donc fondé à demander qu'il soit enjoint au préfet de police d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'un mois minimum, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.
Sur les frais de la présente instance :
9. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B...A...présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1807362/8 du 25 juin 2018 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : Il n'y a plus lieu de statuer sur la demande de M. B... A...devant le tribunal administratif.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de police d'enregistrer la demande d'asile de M. B...A...et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour d'un mois minimum, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la présente décision.
Article 4 : Les conclusions de M. B...A...présentées au titre des frais de la présente instance sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. D... B...A....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 1er avril 2019 à laquelle siégeaient :
- Mme Heers, président de chambre,
- Mme Julliard, présidente-assesseure,
- M. Mantz, premier conseiller,
Lu en audience publique le 24 avril 2019
Le rapporteur,
P. MANTZ Le président,
M. HEERS Le greffier,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA02728