Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... A... a demandé au Tribunal administratif de la Guyane de condamner la collectivité territoriale de Guyane à lui verser les sommes de 40 000 euros et 20 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 6 août 2015, en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis du fait, d'une part, des agissements de harcèlement moral dont elle soutenait avoir été victime, et, d'autre part, de l'illégalité de l'arrêté du 9 juillet 2013 par lequel elle a été radiée des cadres pour abandon de poste.
Par un jugement n° 1600182 du 15 décembre 2016, le Tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 15 mars 2017 au greffe de la Cour administrative d'appel de Bordeaux, dont le jugement a été attribué à la Cour administrative d'appel de Paris par ordonnance n° 428220 du 1er mars 2019 du président de la section du contentieux de Conseil d'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, Mme A..., initialement représentée par Me D..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1600182 du 15 décembre 2016 du Tribunal administratif de la Guyane ;
2°) de condamner la collectivité territoriale de Guyane à lui verser les sommes de 40 000 euros et 20 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 6 août 2015, en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait, d'une part, des agissements de harcèlement moral dont elle prétend avoir été victime, et, d'autre part, de l'illégalité de l'arrêté du 9 juillet 2013 par lequel elle a été radiée des cadres pour abandon de poste ;
3°) de mettre à la charge de la collectivité territoriale de Guyane la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a subi un harcèlement moral de la part de son employeur, lequel est constitutif d'une faute ouvrant droit à la réparation des préjudices subis en conséquence, à concurrence de 40 000 euros ;
- elle a perdu une chance sérieuse d'être titularisée ;
- son employeur ayant commis une faute dans la procédure de licenciement pour abandon de poste diligentée à son encontre, les préjudices subséquemment subis doivent être indemnisés à hauteur de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 septembre 2017, la collectivité territoriale de Guyane, représentée par Me C..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- et les conclusions de Mme Stoltz-Valette, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Recrutée par le département de la Guyane le 25 février 2003, en qualité d'attachée affectée à la direction des transports, Mme A... a fait fonction de directrice à compter du 1er avril 2004. Après que son contrat eut été renouvelé à plusieurs reprises, elle a bénéficié d'un contrat à durée indéterminée, le 29 mars 2010. Par arrêté du 29 juin 2011, le président du conseil général a mis fin à ses fonctions et l'a placée à disposition du directeur général des services, avant de décider, par arrêté du 7 mai 2013, de la radier des cadres pour abandon de poste. Après que le juge des référés du Tribunal administratif de la Guyane, par ordonnance du 12 juin 2013, eut suspendu l'exécution de cet arrêté et enjoint au président du conseil général de réintégrer Mme A... dans le délai de huit jours, ce dernier a rapporté l'arrêté en cause et en a pris un nouveau, en date du 9 juillet 2013, par lequel il a licencié Mme A... à compter du 10 mai 2013 et l'a subséquemment radiée des cadres. Par ordonnance du juge des référés du 4 septembre 2013, l'exécution de cet arrêté a été suspendue et il a à nouveau été enjoint au président du conseil général de réintégrer Mme A.... Le président s'est exécuté par arrêté du 7 novembre 2013, informant le même jour l'intéressée de sa réintégration dans les services, sous l'autorité hiérarchique de la directrice des achats, des marchés et des assurances. Par un jugement définitif du 27 février 2014, le Tribunal administratif de la Guyane, après avoir pris acte de ce que les conclusions de Mme A... tendant à l'annulation de l'arrêté du 7 mai 2013 étaient devenues sans objet, a en revanche annulé l'arrêté en date du 9 juillet 2013, au motif qu'il était entaché d'un vice de procédure et d'un détournement de pouvoir.
2. Peu de temps après sa réintégration, Mme A..., se plaignant d'une absence de tâches à accomplir et de conditions matérielles dégradées, a fait dresser des constats d'huissier, les 25 novembre 2013, 4 et 23 décembre 2013 et 19 juin 2015. Elle a ensuite demandé au Tribunal administratif de la Guyane de condamner la collectivité territoriale de Guyane, venue aux droits du département de la Guyane à compter du 1er janvier 2016, à lui verser les sommes de 40 000 et 20 000 euros, à assortir des intérêts au taux légal à compter du 6 août 2015, date de réception de sa demande préalable, en réparation des préjudices qu'elle estimait avoir subis à raison des agissements de harcèlement moral dont elle prétendait avoir été victime, d'une part, et de l'illégalité de l'arrêté du 9 juillet 2013, d'autre part. Mme A... fait appel du jugement du 15 décembre 2016 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur le harcèlement moral :
3. Aux termes de l'article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligation ses fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. / (...) ".
4. Il appartient à un agent public, qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration à laquelle il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral. Pour être qualifiés de harcèlement moral, ces agissements doivent être répétés et excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, une simple diminution des attributions justifiée par l'intérêt du service, en raison d'une manière de servir inadéquate ou de difficultés relationnelles, n'est pas constitutive de harcèlement moral.
5. En relevant sans être contestée qu'à la date de sa réintégration, elle a été affectée sur un emploi pour lequel il n'existait pas de fiche de poste, sous l'autorité hiérarchique d'un cadre de catégorie B, sans matériel et dans un bureau placé à l'entrée du secrétariat de la direction, jouxtant sa porte d'entrée, Mme A..., qui n'a en outre jamais été évaluée par sa hiérarchie, fait présumer à son endroit l'existence d'agissements constitutifs d'un harcèlement moral. La collectivité territoriale de Guyane fait toutefois remarquer qu'un poste de chargée de mission en marchés publics d'assurances, au sein de la même direction, avait été proposé en avril 2013 à Mme A..., qui ne s'était pas présentée pour l'occuper, provoquant la procédure de radiation des cadres diligentée à son encontre. Bien qu'il n'ait fait l'objet d'aucune fiche, il ne résulte donc pas de l'instruction que le poste sur lequel l'appelante a été réintégrée, consistant à vérifier les contrats d'assurance en cours du conseil général, n'aurait correspondu à aucun besoin ou aurait été vide de contenu. Il n'apparaît pas davantage qu'il n'aurait pas correspondu à un emploi d'attachée. Dans ces conditions, la réintégration de Mme A..., qui a disposé d'équipements informatiques dans le mois consécutif à son installation, n'est pas intervenue dans des conditions étrangères à l'intérêt du service. La collectivité territoriale de Guyane se prévaut également de ce qu'à peine réintégrée dans les services du conseil général, dont le président a exécuté l'ordonnance du juge des référés du 4 septembre 2013 dans des délais raisonnables, Mme A... s'est absentée de son poste à plusieurs reprises. Elle souligne à cet égard, sans être contestée, que l'appelante n'était jamais présente les après-midis et exploitait par ailleurs deux agences immobilières à Cayenne, l'une créée en mars 2013, l'autre en mars 2014. Mme A..., qui ne s'explique pas sur les raisons ayant motivé de telles absences, n'est donc pas fondée à soutenir que son employeur l'aurait délibérément privée de toute tâche à accomplir. Enfin, il ne résulte pas de l'instruction, ni n'est même allégué, que la hiérarchie de Mme A... ou ses collègues auraient eu à son endroit des comportements ciblés et répétés de nature à altérer sa santé physique ou mentale. Si Mme A... soutient à cet égard qu'elle a souffert d'un état dépressif lié à ses conditions de travail, elle ne l'établit pas.
6. Dans les circonstances particulières de l'espèce, quand bien même il est regrettable que Mme A... n'ait jamais été évaluée par sa hiérarchie, les griefs dont elle fait état ne peuvent donc être regardés comme constitutifs d'un harcèlement moral et comme l'ayant subséquemment privée d'une perte de chance d'être titularisée dans les services du département. Par suite, Mme A... n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de la collectivité territoriale de Guyane pour ces motifs. Ses conclusions à fin d'indemnisation présentées en conséquence doivent donc être rejetées.
Sur l'illégalité de la radiation des cadres de Mme A... :
7. Ainsi qu'il a été dit au point 1, le Tribunal administratif de Cayenne, par un jugement définitif du 27 février 2014, a annulé l'arrêté du 9 juillet 2013 par lequel le président du conseil général de la Guyane a radié Mme A... des cadres, au motif qu'il était entaché d'un vice de procédure et d'un détournement de pouvoir. Cette illégalité est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la collectivité territoriale de la Guyane.
8. Toutefois, si Mme A..., par un chiffrage forfaitaire non détaillé, évalue à 20 000 euros les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de l'illégalité de l'acte ainsi annulé, elle n'apporte aucun élément de nature à établir leur existence et leur consistance, d'autant plus qu'elle ne conteste pas avoir été rémunérée par son employeur pendant sa période d'éviction. Ses conclusions à fin d'indemnisation présentées de ce chef ne peuvent donc qu'être rejetées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, il y a lieu de rejeter ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la collectivité territoriale de Guyane n'étant pas la partie perdante à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, les conclusions de celle-ci présentées sur le même fondement doivent être également rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de la collectivité territoriale de Guyane présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... A... et à la collectivité territoriale de Guyane.
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
- M. Jardin, président de chambre,
- Mme Hamon, président assesseur,
- Mme B..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 20 décembre 2019.
Le rapporteur,
C. B...Le président,
C. JARDIN
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne à la ministre des outre-mer en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17PA20791