Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Fêtes Loisirs, la société Loisirs Associés et M. A... B... ont demandé au tribunal administratif de Paris, lequel a transmis leur demande au tribunal administratif de Melun :
- d'une part, d'annuler la décision de mise en ligne sur le site internet de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France des observations définitives " animations emblématiques conduites sur le domaine public - Ville de Paris - exercices 2010 et suivants " et de leur synthèse, et d'ordonner en conséquence leur retrait de ce site sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter du prononcé du jugement à intervenir, et, d'autre part, d'annuler les délibérations des 30 mai 2017 et 7 novembre 2017 de la même chambre régionale ayant arrêté les observations provisoires, puis définitives, mises en ligne le 22 décembre 2017 et, partant, les rapports d'observations provisoires et définitives ;
- de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité portant sur divers articles du code des juridictions financières.
Par une ordonnance n° 1800789 du 17 mai 2018, le président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Melun a rejeté comme irrecevables les demandes et refusé de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité dont il était saisi.
Procédure devant la Cour :
I°/ Par une requête, enregistrée le 17 juillet 2018 sous le n° 18PA02393, régularisée le 23 juillet 2018, la société Fêtes Loisirs, la société Loisirs associés et M. B..., représentés par Me Hay, avocat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Melun du 17 mai 2018 ;
2°) d'annuler la décision de mise en ligne des observations définitives " animations emblématiques conduites sur le domaine public - Ville de Paris - exercices 2010 et suivants " et de leur synthèse ;
3°) d'ordonner leur retrait du site internet de la chambre régionale des comptes, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, et la publication d'un communiqué sur le site de la Cour des comptes ;
4°) d'annuler les délibérations des 30 mai 2017 et 7 novembre 2017 de la chambre régionale des comptes ayant arrêté les observations provisoires, puis définitives, mises en ligne le 22 décembre 2017, et, partant, annuler les rapports d'observations provisoires et définitives ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les conclusions de leur demande sont recevables et, en conséquence, l'ordonnance attaquée doit être annulée ;
- le juge administratif est compétent pour statuer sur les violations de la présomption d'innocence ;
- la décision de " mise en ligne " des observations définitives a été adoptée à l'issue d'une procédure irrégulière, en méconnaissance des articles R. 243-16 du code des juridictions financières et L. 220-4 et L. 241-4 de ce code, et procède d'un détournement de pouvoir ;
- les délibérations des 30 mai 2017 et 7 novembre 2017 sont entachées d'un détournement de pouvoir pour avoir été adoptées en dehors du champ de compétence de la chambre régionale des comptes en matière de contrôle des comptes et de la gestion ;
- la décision de publication du rapport sur le site internet de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France viole la présomption d'innocence ;
- la décision de publication viole les dispositions de l'article 436-16 du code pénal ;
- la délibération du 7 novembre 2017 et le rapport qu'elle valide sont illégaux en ce qu'ils ont été rendus en méconnaissance des principes d'indépendance, d'impartialité et de neutralité ;
- le caractère contradictoire de la procédure tel qu'il résulte de l'article L. 241-1 du code des juridictions financières a été méconnu ;
- le procureur financier a pris part au délibéré en méconnaissance de l'article R. 243-3 du code des juridictions financières.
Par un mémoire en défense enregistré le 19 octobre 2018, la chambre régionale des comptes d'Île-de-France conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
II°/ Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018 sous le n° 18PA02447, la société Fêtes Loisirs, la société Loisirs associés et M. B..., représentés par Me Hay, avocat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Melun du 17 mai 2018 ;
2°) d'annuler la décision de mise en ligne des observations définitives " animations emblématiques conduites sur le domaine public - Ville de Paris - exercices 2010 et suivants " et de leur synthèse ;
3°) d'ordonner leur retrait du site internet de la chambre régionale des comptes, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, et la publication d'un communiqué sur le site de la Cour des comptes ;
4°) d'annuler les délibérations des 30 mai 2017 et 7 novembre 2017 de la chambre régionale des comptes ayant arrêté les observations provisoires, puis définitives, mises en ligne le 22 décembre 2017, et, partant, annuler les rapports d'observations provisoires et définitives ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
6°) de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité suivantes :
- Les articles L. 243-4 et L. 243-5 du code des juridictions financières sont-ils entachés d'incompétence, au regard de l'article 34 de la Constitution, faute de prévoir que toute personne expressément mise en cause dans un rapport d'observations définitives d'une chambre régionale des comptes reçoive copie de celui-ci, ait la faculté d'y répondre, de voir ses réponses jointes au rapport et publiées concomitamment à celui-ci ' En conséquence, et en tout état de cause, ces textes, qui n'ouvrent cette faculté qu'aux seules personnes visées à l'article L. 243-4 du même code, ne portent-ils pas atteinte, d'une part, au principe d'égalité devant la loi consacré aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, d'autre part, aux principes des droits de la défense et du procès équitable, ainsi qu'à la présomption d'innocence consacrés aux articles 16 et 9 de la même Déclaration '
- L'article L. 243-5, ensemble les articles L. 241-3, L. 243-2 et L. 243-3 du code des juridictions financières, sont-ils entachés d'incompétence, au regard de l'article 34 de la Constitution et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pour ne prévoir ni la publicité des délibérations arrêtant le rapport d'observations mis en ligne, ni l'établissement systématique de procès-verbaux lors des auditions et délibérations, ni une voie de recours contre les observations définitives ; l'article L. 241-3, par lequel le législateur s'est défait de sa compétence pour " les règles relatives à la procédure devant les chambre régionales des comptes et à la communication de leurs observations ", est-il entaché d'incompétence, au regard de l'article 34 de la Constitution et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ' En conséquence et en tout état de cause, ces quatre textes, ensemble et/ou séparément, portent-ils atteinte aux principes du droit au recours, des droits de la défense, du contradictoire et de l'égalité des armes, consacrés à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 '
- L'article L. 212-5 du code des juridictions financières, qui prévoit la présence auprès de chaque chambre régionale des comptes de " un ou plusieurs représentants du Ministère public ", ensemble l'article L. 241-1 de ce code, concernant le respect du contradictoire, sont-ils entachés d'incompétence, au regard de l'article 34 de la Constitution et de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, faute de prévoir la communication aux personnes contrôlées ou expressément mises en cause des conclusions écrites du représentant du Ministère public ' En conséquence et en tout état de cause, ces deux textes, considérés ensemble, portent-ils atteinte aux garanties prévues par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, en particulier aux droits de la défense et au respect du contradictoire '
- L'article L. 241-1 du code des juridictions financières, ensemble les articles L. 243-2 et L. 243-3 de ce même code, qui prévoient que le représentant du ministère public près la chambre régionale des comptes assiste aux délibérés et peut transmettre ses conclusions sur les observations (provisoires et/ou définitives) du rapporteur telles qu'arrêtées par la chambre au Parquet judiciaire à n'importe quel moment, méconnaissent-ils les principes d'indépendance et d'impartialité résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 '
7°) de surseoir à statuer sur les conclusions au fond jusqu'à ce que le Conseil d'Etat, puis, le cas échéant, le Conseil constitutionnel, se soient prononcés sur les questions prioritaires de constitutionnalité transmises.
Par des mémoires en défense enregistrés le 4 octobre 2018 et le 19 octobre 2018, la chambre régionale des comptes d'Île-de-France conclut, à titre principal, à la confirmation de l'ordonnance du président de la 10ème chambre du tribunal administratif de Melun et, à titre subsidiaire, à ce que la Cour juge qu'il n'y a pas lieu de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées, et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens de la requête ne sont pas fondés et que les questions prioritaires de constitutionnalité soulevées sont dépourvues de caractère sérieux.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la Constitution, notamment son article 62 ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, modifiée par la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;
- le code des juridictions financières ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes susvisées n° 18PA02393 et n° 18PA02447, qui sont présentées par les mêmes requérants, sont dirigées contre les mêmes actes et ont fait l'objet d'une instruction commune. En conséquence, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un même arrêt.
Sur les conclusions des requêtes tendant à l'annulation des délibérations des 30 mai 2017 et 7 novembre 2017 de la chambre régionale des comptes ayant arrêté les observations provisoires, puis définitives, mises en ligne le 22 décembre 2017, et à l'annulation des rapports d'observations provisoires et définitives :
2. Il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel que la cour administrative d'appel, saisie d'un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un mémoire distinct et motivé, statue par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu'elle n'ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux.
3. Les requérants soutiennent que les articles L. 243-5, ensemble les articles L. 241-3, L. 243-2 et L. 243-3 du code des juridictions financières, sont entachés d'incompétence, au regard de l'article 34 de la Constitution, et méconnaissent l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, pour ne pas prévoir une voie de recours contre les observations des chambres régionales des comptes. Ces dispositions doivent être regardées comme applicables à la procédure, en ce qu'elles ne prévoient pas la possibilité d'un recours pour excès de pouvoir contre les observations de la chambre régionale des comptes, et n'ont pas été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel. Toutefois, si, comme il a été jugé par le Conseil d'Etat, les rapports d'observations, même définitives, des chambres régionales des comptes sur la gestion d'une collectivité territoriale ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, dès lors que ces observations ne présentent pas de caractère prescriptif et qu'ainsi elles ne constituent pas des actes susceptibles de faire grief, ces observations peuvent faire l'objet d'une demande de rectification présentée par les personnes mises en cause, ainsi que le prévoient les articles L. 243-3 et R. 241-31 du code des juridictions financières, et la décision par laquelle la chambre, soit refuse d'apporter la rectification demandée par les personnes mises en cause en application de l'article R. 243-4 du code des juridictions financières, soit ne fait que partiellement droit à cette demande, est susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir. Ainsi, eu égard à la nature du rapport d'observations, à la faculté d'en demander la rectification à son auteur et à la faculté de saisir le juge de l'excès de pouvoir des décisions opposant un refus à cette demande, la question prioritaire de constitutionnalité ci-dessus analysée est dépourvue de caractère sérieux. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Melun a refusé de transmettre au Conseil d'Etat la question prioritaire de constitutionnalité tirée de la violation des articles 34 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
4. Les observations de la chambre régionale des comptes, du fait de leur absence de caractère décisoire, ne présentant pas le caractère d'un acte faisant grief, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté les conclusions sus-analysées comme irrecevables et, par voie de conséquence, a refusé de transmettre au Conseil d'Etat les questions prioritaires de constitutionnalité autres que celle tirée de la violation des articles 34 de la Constitution et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de mise en ligne des observations définitives " animations emblématiques conduites sur le domaine public - Ville de Paris - exercices 2010 et suivants " et de leur synthèse sur le site internet de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France :
5. Dès lors que, conformément à l'article III-85 du Recueil des normes professionnelles de la Cour des comptes et des chambres régionales des comptes, lesquelles s'imposent aux magistrats et aux personnels des chambres régionales des comptes en vertu de l'article L. 220-5 du code des juridictions financières, il est constant que l'ensemble des observations des chambres des comptes font l'objet d'une publication, la mise en ligne des observations définitives " animations emblématiques conduites sur le domaine public - Ville de Paris - exercices 2010 et suivants " et de leur synthèse sur le site internet de la chambre régionale des comptes d'Île-de-France et la publicité ainsi apportée à ces observations ne sont pas, en l'absence de circonstances particulières, de nature à révéler l'existence d'une décision susceptible de faire l'objet d'un recours pour excès de pouvoir, distincte des observations elles-mêmes qui, ainsi qu'il a été dit, ne constituent pas un acte faisant grief. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Melun a rejeté les conclusions sus-analysées. En conséquence, doivent également être rejetées les conclusions de la requête tendant à ce que la Cour ordonne le retrait des observations du site internet de la chambre régionale des comptes, sous astreinte de 5 000 euros par jour de retard à compter de la décision à intervenir, et la publication d'un communiqué sur le site de la Cour des comptes.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la somme demandée par les requérants soit mise à la charge de l'Etat, qui n'a pas la qualité de partie perdante à l'instance. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande présentée sur le fondement des mêmes dispositions par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France.
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de la société Fêtes Loisirs, la société Loisirs Associés et M. B... sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions présentées par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Fêtes Loisirs, Loisirs Associés, à M. A... B..., à la chambre régionale des comptes d'Île-de-France et au ministre de l'économie et des finances.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019 à laquelle siégeaient :
- M. C..., président de chambre,
- Mme Collet, premier conseiller,
- Mme Larsonnier, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 30 janvier 2020.
Le président rapporteur,
J. C...Le premier conseiller le plus ancien,
A. COLLET
Le greffier,
C. POVSELa République mande et ordonne au ministre de l'économie et des finances en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N°s 18PA02393, 18PA02447