Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- les conclusions de Mme Guilloteau, rapporteur public,
- les observations de Mme C..., de M. G..., de M. B... et de Mme H..., représentant le garde des sceaux, ministre de la justice.
Considérant ce qui suit :
1. Détenu à la maison d'arrêt de Fresnes entre le 10 février 2015 et le 3 février 2016, M. F... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision implicite de rejet née du silence du garde des sceaux, ministre de la justice, sur sa demande, reçue le 25 février 2015, tendant à ce que les cours de promenade de cet établissement pénitentiaire soient mises aux normes et d'enjoindre à l'administration d'engager les travaux d'adaptation et d'aménagement de ces cours de promenade afin de garantir leur conformité avec le principe de respect de la dignité humaine.
2. Par un premier jugement, du 6 avril 2018, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision implicite de rejet de la demande de mise aux normes des cours des promenades au sein de la maison d'arrêt de Fresnes, a rejeté les conclusions indemnitaires présentées par M. F... et, avant dire droit sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte, a décidé qu'il sera procédé à une visite des lieux par les magistrats de la formation de jugement du tribunal.
3. Après que la formation de jugement eut effectué la visite des lieux décidée par le jugement avant dire droit, le tribunal administratif a, par un second jugement, du 20 juillet 2018, enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de procéder, dans un délai de six mois à compter de la notification du jugement (point 9 du jugement), à la mise en oeuvre dans l'ensemble des cours de promenade du quartier hommes de la maison d'arrêt de Fresnes (point 8), des actions rappelées en tête de l'arrêt avant dire-droit de la Cour du 10 juillet 2020, relativement à la superficie de ces cours (point 3), à la rénovation de leur sol (point 4), leur équipement (point 5), à leur entretien (point 6) et à leur surveillance (point 7).
4. Le garde des sceaux, ministre de la justice, a relevé appel de ces deux jugements devant la Cour. En outre, à sa demande, la Cour a, par son arrêt n° 18PA03089 du 13 décembre 2018, ordonné qu'il soit sursis à l'exécution de l'article 1er du jugement du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun, en tant qu'il enjoint au ministre de la justice de mettre en oeuvre les actions définies aux points 3 à 5 et 7 à 9 des motifs de ce jugement, et a en revanche rejeté le surplus du recours du ministre en tant qu'il portait sur l'injonction de procéder à l'entretien des cours.
5. Par son arrêt avant dire-droit du 10 juillet 2020, la Cour a, d'une part, rejeté le recours du garde des sceaux, ministre de la justice, dans les limites prévues aux points 5 à 20 des motifs dudit arrêt, et, avant de statuer sur le surplus des conclusions du recours, d'autre part, décidé de procéder à un supplément d'instruction afin de communiquer à M. F..., en vue de la production d'éventuelles observations, la note en délibéré présentée le 3 juillet 2020 par le ministre et, enfin, réservé tous droits et moyens des parties jusqu'en fin d'instance. Compte-tenu de cet arrêt avant dire-droit, qui confirme l'annulation de la décision ministérielle litigieuse prononcée par les premiers juges, il n'appartient désormais plus à la Cour que de statuer sur le surplus des conclusions du recours tendant à l'annulation des injonctions prononcées par le tribunal administratif de Melun et au rejet du surplus des conclusions y relatives de M. F... devant cette juridiction, et sur les conclusions présentées par l'intimé sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les injonctions prononcées par les premiers juges :
6. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. " Il appartient au juge administratif, lorsqu'il est saisi, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d'exécution, de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision.
7. Contrairement à ce que soutient le garde des sceaux, ministre de la justice, le prononcé d'injonctions destinées à assurer, sur le fondement de l'article L. 911-1, l'exécution effective du jugement attaqué qui a annulé, comme illégale, la délibération litigieuse ne perd pas son objet du seul fait de la fin de l'incarcération de M. F....
8. Eu égard à ce qui a été jugé aux points 15 à 17 de l'arrêt avant dire-droit de la Cour du 10 juillet 2020, aucune considération d'intérêt général ne s'oppose, en l'espèce, au prononcé par le juge administratif, sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'injonctions destinées à assurer l'exécution de sa décision, laquelle implique nécessairement, du fait de l'annulation du refus de procéder à la réalisation de certains aménagements ou travaux, que l'administration prenne des mesures d'exécution dans un sens déterminé. Ces injonctions doivent toutefois, dans le cadre des conditions et difficultés spécifiques au fonctionnement du service public pénitentiaire, préserver la latitude d'appréciation et d'action normalement reconnue aux autorités administratives compétentes, auxquelles il n'appartient pas au juge de se substituer, et éviter à cette fin une précision excessive quant à la mise en oeuvre des mesures ainsi ordonnées, notamment lorsque, comme en l'espèce, il s'agit de procéder à des aménagements structurels dans un établissement, sans en outre compromettre, ni la continuité dudit service, ni la sécurité des personnels et des détenus.
9. En premier lieu, les injonctions prononcées par le tribunal administratif, aux points 5 et 6 du jugement du 11 juillet 2018 tendant, d'une part, de " procéder à l'installation en nombre suffisant au regard du nombre de détenus admissibles dans les cours, de bancs, d'abris recouvrant le tiers des cours afin que les détenus puissent bénéficier des cours de promenade en cas de fortes chaleurs ou d'intempéries, d'urinoirs, de poubelles, de points d'eau et de barres de traction " et, d'autre part, de "procéder au nettoyage à l'aide d'un matériel à haute pression des cours de promenade tous les deux jours ainsi qu'à un balayage, un nettoyage des urinoirs et un vidage des poubelles tous les jours ", et ce, dans les six mois de la notification du jugement attaqué, ne font que mettre en oeuvre l'obligation concrète qui pèse sur l'administration aux termes des dispositions de l'article D. 349 du code de procédure pénale et, en outre, n'excèdent pas les moyens ordinaires alloués au chef d'établissement dans le cadre du fonctionnement normal du service public et qui, à supposer qu'ils soient insuffisants, devront en tout état de cause être renforcés afin d'assurer le respect de la chose jugée. Il ne ressort pas de l'instruction que la situation actuelle des cours de promenade aurait évolué de telle manière que le maintien du prononcé de ces injonctions se révèlerait désormais inutile, ni que leur exécution se révèlerait impossible. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice n'est pas fondé à soutenir que les premiers juges ont commis, sur ce point une erreur d'appréciation.
10. En second lieu, les autres injonctions prononcées par les premiers juges, aux points 3, 4 et 7 de leur jugement, sont susceptibles, eu égard à leur degré de précision, d'emporter des effets sur la structure des bâtiments et sur l'allocation de ressources humaines ou techniques à des fins de surveillance et sur le fonctionnement de l'établissement pénitentiaire, qui réduisent excessivement la latitude d'appréciation et d'action dont doit normalement disposer l'administration pour assurer la continuité du service. En outre, le délai de six mois accordé à l'administration pour la mise en oeuvre des mesures ainsi ordonnées est manifestement insuffisant pour qu'il y puisse être raisonnablement satisfait. Dès lors, le garde des sceaux, ministre de la justice, est fondé à soutenir que, sur ce point, les premiers juges ont entaché leur décision d'une erreur d'appréciation.
11. Toutefois, afin d'assurer le respect effectif des principes rappelés aux points de l'arrêt avant dire-droit du 10 juillet 2020, et de faire ainsi cesser l'atteinte à la dignité des détenus concernés par la mise en conformité de l'établissement pénitentiaire avec les normes admissibles en la matière, il y a lieu pour la Cour d'ordonner au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre toutes mesures, dans le délai d'un an à compter de la notification du présent arrêt, en vue de procéder à l'aménagement de la maison d'arrêt pour hommes de l'établissement pénitentiaire de Fresnes, afin d'augmenter la superficie des cours de promenade, de les rénover, d'aménager leur sol de manière à éviter l'accumulation de détritus et la circulation des rongeurs et de rendre effective la surveillance des cours de promenade afin que tout incident puisse être détecté et traité en temps réel. Cette injonction ne s'applique pas, en raison des impératifs de sécurité liés aux caractéristiques des détenus concernés, aux cours de promenade spécialement dédiées, à la date du présent arrêt, aux détenus placés à l'isolement, au quartier disciplinaire, au quartier d'évaluation de la radicalisation ou soumis à un autre régime de détention particulier nécessitant qu'ils soient tenus à l'écart du reste de la population carcérale.
12. Il résulte de tout ce qui précède que les mesures enjointes au garde des sceaux, ministre de la justice, par l'article 1er du jugement attaqué du 11 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun doivent donc être réformées en ce qu'elles ont de contraire à ce qui vient d'être dit au point 11, et que le surplus des conclusions d'appel du recours du garde des sceaux, ministre de la justice, doit être rejeté.
Sur les frais du litige :
13. En égard à la réformation par le présent arrêt d'une partie seulement de l'un des jugements contestés par le garde des sceaux, ministre de la justice, M. F... n'est pas la partie perdante au principal dans le présent litige. Il y a donc lieu de faire droit à ses conclusions fondées sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de l'État, sur ce fondement, le versement à son bénéfice d'une somme de 1 500 euros.
DÉCIDE :
Article 1er : Il est ordonné au garde des sceaux, ministre de la justice, de prendre, dans le délai d'un an à compter de la notification du présent arrêt, et dans les limites mentionnées au point 11 des motifs ci-dessus, toutes mesures, destinées à faire cesser les atteintes à la dignité des détenus concernés, en vue de procéder à l'aménagement de la maison d'arrêt pour hommes de l'établissement pénitentiaire de Fresnes, afin d'augmenter la superficie des cours de promenade, de les rénover, d'aménager leur sol de manière à éviter l'accumulation de détritus et la circulation des rongeurs et de rendre effective la surveillance des cours de promenade afin que tout incident puisse être détecté et traité en temps réel.
Article 2 : L'article 1er du jugement n°1503550 du 20 juillet 2018 du tribunal administratif de Melun est réformé en ce qu'il a de contraire aux dispositions de l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du garde des sceaux, ministre de la justice, est rejeté.
Article 4 : L'État (ministère de la justice) versera à M. F... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au garde des sceaux, ministre de la justice, et à M. A... F....
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2020, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- M. D..., président-assesseur,
- M. Gobeill, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 19 novembre 2020.
Le rapporteur,
S. D...Le président,
J. LAPOUZADE Le greffier,
A. LOUNIS
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18PA03088