Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Entoma a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché et ordonné le retrait des insectes entiers destinés à l'alimentation humaine commercialisés par la société.
Par un jugement n°1602662 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 19 février 2021 sous le n° 21PA00880, la société Entoma, représentée par Me C... A..., demande au juge des référés, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative :
1°) de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de police n° 2016-005 du
27 janvier 2016 ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le juge des référés de la Cour administrative d'appel de Paris est compétent pour connaitre de cette demande de suspension, la demande d'annulation de l'arrêté contestée faisant l'objet d'un appel pendant devant la Cour ;
- l'arrêté contesté, alors qu'il a été mis un terme à sa suspension par le jugement du
9 novembre 2017, empêche la société d'exercer son activité de commercialisation de produits à base d'insectes entiers et compromet sa survie ; par ailleurs, il n'existe pas de risques sanitaires avérés ;
- l'arrêté contesté est entaché d'une erreur de droit ; en effet, la Cour de justice de l'Union Européenne par son arrêt C -526 du 1er octobre 2020 et le Conseil d'Etat, par sa décision n° 420651 du 3 février 2021 ont jugé que l'article 1er paragraphe 2 sous e) du règlement (CE) n°258/97 du 27 janvier 1997 ne devait pas s'interpréter comme incluant les insectes entiers consommés pour eux-mêmes.
Par un mémoire, enregistré le 26 mars 2020, communiqué à la société Entoma au début de l'audience, le ministre de l'économie, des finances et de la relance, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la condition relative à l'urgence n'est pas satisfaite ; la société Entoma a continué à commercialiser illégalement les produits, et une part de son activité s'exerce hors de France ; le principe de précaution s'oppose à ce que soient commercialisées des denrées à base d'insectes susceptibles de présenter un risque sanitaire ;
- il n'existe pas de doute sérieux sur la légalité de la décision ; les denrées commercialisées par la société Entoma comprennent des parties d'insectes mélangées à des épices et d'autres ingrédients en sorte qu'elles entrent dans le champ du règlement (CE) n°258/97 du 27 janvier 1997 ; elles présentent un risque sanitaire et leur commercialisation aurait pu être suspendue sur le fondement de l'article L. 218-5-4 du code de la santé publique.
Vu la requête enregistrée le 29 novembre 2017 au greffe de la Cour sous le
n° 17PA03640, enregistrée à nouveau le 4 février 2021 sous le n° 21PA00632 après cassation de l'arrêt rendu par la Cour le 22 mars 2018, par laquelle la société Entoma demande l'annulation du jugement du tribunal administratif de Paris du 9 novembre 2017 rejetant sa requête tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de police du 27 janvier 2016.
Vu l'arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne du 1er octobre 2020, Entoma SAS contre ministre de l'économie et des finances, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (affaire C-526/19).
Vu la décision n°420651 du 3 février 2021, par laquelle le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 22 mars 2018 et lui a renvoyé l'affaire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu la décision en date du 1er septembre 2020, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Paris a désigné M. B..., pour statuer en qualité de juge des référés de la Cour administrative d'appel de Paris.
Vu :
- le code de la consommation ;
- le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du
27 janvier 1997 ;
- le règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Au cours de l'audience publique, tenue le 26 mars 2021 en présence de Mme Dahmani, greffier d'audience, ont été entendus :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me A..., représentant la société Entoma, qui souligne que :
- la société, qui a dû se séparer de la moitié de son personnel, est dans une situation financière critique ; l'urgence est caractérisée ;
- la question de droit a été tranchée par l'arrêt de la Cour de justice de l'Union Européenne du 1er octobre 2020 et par la décision du Conseil d'Etat du 3 février 2021 ; la société bénéficie du régime transitoire institué par le règlement de 2015 ; la décision contestée encourt donc une annulation certaine ;
- le mémoire en défense de l'administration n'apporte aucun élément nouveau ; les insectes commercialisés par la société proviennent des Pays Bas et sont actuellement distribués en Belgique et en Allemagne ; Il s'agit bien d'insectes entiers et non de parties d'insectes, et l'ajout de quelques épices ne modifie pas la nature du produit ; le principe de précaution posé par l'article L. 110-1 du code de l'environnement n'est pas utilement invocable en l'espèce ; la consommation des insectes, dont l'origine et connue et qui sont élevés dans le respect des règles sanitaires, ne présente pas de risque pour la santé publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 27 janvier 2016, le préfet de police de Paris a suspendu la mise sur le marché, par la société par actions simplifiée Entoma, de vers de farine, de criquets ou de grillons préparés pour l'alimentation humaine sous la forme d'insectes entiers et a ordonné leur retrait de la consommation jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, notamment par le dépôt auprès de l'administration d'une demande de mise sur le marché en vue d'une évaluation initiale démontrant, en particulier, que ces produits ne présentent pas de danger pour le consommateur. Par un jugement du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la demande de la société Entoma tendant à l'annulation de cet arrêté. Par un arrêt du 22 mars 2018, la cour administrative d'appel de Paris a rejeté l'appel formé par la société Entoma contre ce jugement. Par une décision n°420651 du 3 février 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 22 mars 2018 et lui a renvoyé l'affaire.
2. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
3. Par la présente requête, la société Entoma demande au juge des référés de la Cour administrative d'appel de Paris, saisie de l'affaire au fond, de suspendre l'exécution de l'arrêté du préfet de police du 27 janvier 2016.
Sur la condition relative à l'urgence :
4. Il ressort des pièces du dossier, et il n'est pas sérieusement contesté en défense, que la situation de la société Entoma, qui réalisait 83 % de son chiffre d'affaires en France avant la mise en oeuvre de la décision contestée, a été gravement affectée par la cessation de la mise en vente sur le marché français des produits qu'elle commercialise, que sa situation financière est particulièrement fragile, et qu'elle a dû se séparer d'une partie de son personnel. Si le ministre invoque les risques que la consommation d'insectes est, d'une manière générale, susceptible d'entraîner, il n'apporte pas d'éléments permettant de considérer que les risques directement liés à la consommation des produits de la société requérante seraient d'une gravité telle qu'ils puissent justifier l'absence d'urgence à suspendre l'exécution de l'arrêté litigieux jusqu'à ce qu'il soit statué sur la demande d'annulation dont il a fait l'objet. Dès lors la condition relative à l'urgence doit être regardée comme remplie.
Sur la condition relative au moyen de nature à créer un doute sérieux :
5. Aux termes de l'article L. 218-5-4 du code de la consommation, sur le fondement duquel a été pris l'arrêté préfectoral litigieux : " S'il est établi qu'un produit a été mis sur le marché sans avoir été l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration exigé par la réglementation applicable à ce produit, le préfet ou, à Paris, le préfet de police peut ordonner la suspension de sa mise sur le marché et son retrait jusqu'à la mise en conformité avec la réglementation en vigueur ".
6. Pour suspendre la mise sur le marché des produits commercialisés par la société Entoma et ordonner leur retrait sur le fondement des dispositions citées au point précédent, le préfet de police a considéré que la commercialisation d'insectes par la société Entoma aurait dû être précédée d'une déclaration, ou d'une autorisation, en application du règlement européen susvisé du 27 janvier 1997.
7. D'une part, aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, en vigueur jusqu'au 1er janvier 2018 : " 1. Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans la Communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires. / 2. Le présent règlement s'applique à la mise sur le marché dans la Communauté d'aliments et d'ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu'ici restée négligeable dans la Communauté et qui relèvent des catégories suivantes : (...) e) (...) les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux (...) ".
8. D'autre part, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015, applicable à partir du 1er janvier 2018 à la mise sur le marché dans l'Union de nouveaux aliments : " 2. En outre, on entend par : a) "nouvel aliment", toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l'Union avant le 15 mai 1997, indépendamment de la date d'adhésion à l'Union des États membres, et qui relève au moins d'une des catégories suivantes : / (...) v) les denrées alimentaires qui se composent d'animaux ou de leurs parties, ou qui sont isolées ou produites à partir d'animaux ou de leurs parties, à l'exception des animaux obtenus par des pratiques de reproduction traditionnelles qui ont été utilisées pour la production de denrées alimentaires dans l'Union avant le 15 mai 1997, et pour autant que les denrées alimentaires provenant de ces animaux aient un historique d'utilisation sûre en tant que denrées alimentaires au sein de l'Union ; (...) ". Aux termes de l'article 35 de ce même règlement : " (...) / 2. Les denrées alimentaires n'entrant pas dans le champ d'application du règlement (CE) n° 258/97, qui sont légalement mises sur le marché au plus tard le 1er janvier 2018 et qui entrent dans le champ d'application du présent règlement peuvent continuer d'être mises sur le marché jusqu'à ce qu'une décision soit prise en conformité avec les articles 10 à 12 ou avec les articles 14 à 19 du présent règlement à la suite d'une demande d'autorisation d'un nouvel aliment ou d'une notification d'un aliment traditionnel en provenance d'un pays tiers qui est introduite pour la date fixée dans les modalités d'exécution adoptées conformément à l'article 13 ou 20 du présent règlement, respectivement, mais au plus tard le 2 janvier 2020 ".
9. Saisi d'un moyen tiré de l'erreur de droit qui entacherait l'arrêté contesté, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux a, par décision en date du 28 juin 2019, n° 420651, sursis à statuer sur le recours en cassation de la société Entoma jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la difficulté sérieuse d'interprétation que pose l'article 1er, paragraphe 2, point e) de ce règlement quant à la question de savoir si son champ d'application s'étend aux aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou ne s'applique qu'à des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes. Par l'arrêt du 1er octobre 2020, Entoma SAS contre ministre de l'économie et des finances, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (affaire C-526/19), la Cour de justice de l'Union européenne a dit pour droit que : " L'article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil, du 27 janvier 1997, relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, tel que modifié par le règlement (CE) n° 596/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, doit être interprété en ce sens que des aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels, y compris des insectes entiers, ne relèvent pas du champ d'application de ce règlement ".
10. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré ce que l'arrêté du 27 janvier 2016 méconnaîtrait le champ d'application du règlement du 27 janvier 1997 est, en l'état de l'instruction, propres à faire naître un doute sérieux quant à sa légalité, en tant qu'il porte sur les produits mis sur le marché par la société requérante au plus tard jusqu'au 2 janvier 2020.
11. Si le ministre de l'économie, des finances et de la relance fait valoir que les produits commercialisés par la société Entoma sont susceptibles de présenter un risque pour la consommation humaine, ce motif, qui n'est pas au demeurant celui sur lequel se fonde l'arrêté contesté, n'est pas assorti d'élément suffisants pour permettre au juge des référés d'en apprécier le bien-fondé.
12. Ainsi donc, les conditions posées par l'article L. 521-1 du code de justice administrative étant satisfaites, la société Entoma est fondée à demander la suspension de l'exécution de l'arrêté attaqué en tant qu'il porte sur les produits qu'elle a mis sur le marché au plus tard jusqu'au 2 janvier 2020.
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros à verser à la société Entoma au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : L'exécution de l'arrêté du préfet de police du 27 janvier 2016 est suspendue en tant qu'il porte sur les produits que la société Entoma a mis sur le marché au plus tard jusqu'au
2 janvier 2020.
Article 2 : L'Etat versera à la société Entoma la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la société Entoma et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au ministre de l'agriculture et de l'alimentation et au préfet de police.
Fait à Paris, le 31 mars 2021.
Le juge des référés,
Ch. B...
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance et au ministre de l'agriculture et de l'alimentation en ce qui les concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA00880 2