Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... a demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner le Sénat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du harcèlement moral dont elle estime avoir été victime.
Par un jugement n° 1821109 du 4 décembre 2019, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 4 février 2020 et 26 mars 2021, Mme D..., représentée par Me F..., demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1821109 du 4 décembre 2019 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner le Sénat à lui verser la somme de 80 000 euros en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi ;
3°) de mettre à la charge du Sénat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier pour ne pas avoir été signé par les premiers juges ;
- le jugement est irrégulier car les premiers juges ont commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation quant à l'existence du harcèlement moral dénoncé ;
- le harcèlement moral dont elle a été victime de la part du Sénat est établi par les entraves injustifiées dans le déroulement de sa carrière, les mesures discriminatoires en raison de son état de santé et les mesures vexatoires de la part de sa hiérarchie qu'elle a subis tout au long de sa carrière.
Par des mémoires enregistrés, les 16 juin 2020 et 28 avril 2021, le Sénat, représenté par la SCP Baraduc, Duhamel et Rameix, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme D... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que la requête d'appel présentée par Mme D... est irrecevable et que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement intérieur du Sénat ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 ;
- l'ordonnance n° 2020-1402 du 18 novembre 2020 ;
- les décrets n° 2020-1404 et n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteur public,
- les observations de Me B..., substituant Me F..., représentant Mme D... et celles de Me A..., représentant le Sénat.
Deux notes en délibéré, enregistrées les 7 et 10 mai 2021, ont été présentées par Me F... pour Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... a été employée par le Sénat en qualité de sténographe des débats à compter du 1er octobre 1987, puis titularisée à compter du 1er octobre 1988. Promue le 1er janvier 2011 au grade de conseiller de compte rendu intégral, elle exerce les fonctions d'analyste rédacteur au sein de la direction des comptes rendus. Estimant avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral dans le cadre de ses fonctions, elle a, par un courrier du 17 septembre 2018, demandé au président du Sénat de l'indemniser de son préjudice moral à hauteur de la somme de 80 000 euros. En l'absence de réponse expresse du président du Sénat, une décision implicite de rejet de sa demande s'est formée. Mme D... a alors a saisi le Tribunal administratif de Paris d'une demande indemnitaire. Par un jugement du 4 décembre 2019 dont Mme D... fait appel, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ".
3. Il ressort des pièces du dossier que le jugement attaqué a été signé, conformément aux prescriptions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative, par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. La circonstance que l'ampliation du jugement qui a été notifiée à Mme D... ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité de ce jugement.
4. En second lieu, si Mme D... soutient que le jugement attaqué est entaché d'irrégularité en ce que les premiers juges auraient commis des erreurs de droit dans la qualification des agissements de l'administration sénatoriale ainsi qu'une erreur d'appréciation de la réalité du harcèlement moral dont elle soutient avoir été victime, ces moyens ne se rapportent pas à la régularité du jugement mais à son bien-fondé. Il doit dès lors être écarté comme sans influence sur sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. L'article 8 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 dispose que : " Les agents titulaires des services des assemblées parlementaires sont des fonctionnaires de l'État dont le statut et le régime de retraite sont déterminés par le bureau de l'assemblée intéressée, après avis des organisations syndicales représentatives du personnel. ". Aux termes de l'article 2 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " La présente loi s'applique aux fonctionnaires civils des administrations de l'État (...) à l'exclusion des fonctionnaires des assemblées parlementaires (...) ". Aux termes de l'article 6 quinquies de la même loi : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.... ".
6. Il résulte des dispositions de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ne s'appliquent pas aux fonctionnaires du Sénat. Néanmoins, indépendamment des dispositions de cet article 6 quinquies, le fait pour un agent du Sénat de subir des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel caractérise un comportement de harcèlement moral, constitutif d'une faute de nature à engager la responsabilité du Sénat.
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour être qualifiés de harcèlement moral, les agissements en cause doivent excéder les limites de l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. Dès lors qu'elle n'excède pas ces limites, les observations qu'un supérieur hiérarchique peut adresser à un fonctionnaire en raison d'une manière de servir inadéquate ou d'un comportement désinvolte, n'est pas constitutive de harcèlement moral. En outre, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. Mme D... reprend en appel ses affirmations selon lesquelles elle aurait été victime d'une situation de harcèlement moral qui se serait manifestée depuis 2002 par des entraves injustifiées dans le déroulement de sa carrière, une dévalorisation constante de ses compétences professionnelles, diverses mesures discriminatoires en raison notamment de son état de santé, ainsi que par des mesures vexatoires et un contrôle excessif de son travail de la part de sa hiérarchie.
9. Il résulte néanmoins de l'instruction que l'absence de promotion au grade de réviseur en 2002, le report d'examen de son élévation de classe en 2006 et son absence de promotion au grade de conseiller des comptes rendus en 2018 s'expliquent par les appréciations annuelles portées sur sa manière de servir qui font régulièrement état d'un manque de concentration et d'application dans son travail en dépit de manifestations de bonne volonté de sa part. Si la requérante dénonce des mesures vexatoires et un contrôle excessif de la part de sa hiérarchie, il ne ressort pas des échanges écrits entre l'intéressée et ses supérieurs hiérarchiques que des propos discourtois aient été tenus à son encontre et que le contrôle de son travail ne soit pas justifié par les insuffisances et erreurs constatées à de nombreuses reprises par ses supérieurs. Par ailleurs, Mme D... reproche à sa hiérarchie de faire état de son état de santé tout en reprochant à l'administration sénatoriale de ne pas lui permettre de bénéficier de conditions de travail adapté. Il ressort néanmoins des pièces du dossier et il n'est pas contesté par la requérante que cette dernière s'est absentée à plusieurs reprises pendant son temps de travail pour se rendre à des rendez-vous médicaux sans avertir sa hiérarchie, générant ainsi une demande d'explication de ses supérieurs hiérarchiques. En outre, l'administration sénatoriale s'est efforcée d'aménager son poste de travail à son handicap visuel conformément aux recommandations du médecin de prévention et a mandaté un cabinet spécialisé afin de déterminer les mesures d'accompagnement adéquates. Ainsi, une assistance humaine continue lui a été accordée à compter du 1er janvier 2015. Dans ces conditions, Mme D... n'est pas fondée à soutenir qu'elle aurait été victime d'agissements excédant l'exercice normal du pouvoir hiérarchique.
10. Il résulte de tout ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée par le Sénat intimé que Mme D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande d'indemnisation du préjudice moral qu'elle aurait subi à raison d'un harcèlement moral.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
11. En vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge. Les conclusions présentées à ce titre par Mme D..., partie perdante, doivent dès lors être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de faire droit à hauteur de la somme de 1 500 euros aux conclusions présentées par le Sénat sur le fondement du même article.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête présentée par Mme D... est rejetée.
Article 2 : Mme D... versera la somme de 1 500 euros au Sénat au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... D... et au président du Sénat.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Formery, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme C..., premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 mai 2021.
Le rapporteur,
I. C...Le président,
S.L. FORMERY
La greffière,
F. DUBUY-THIAM
La République mande et ordonne au Premier ministre en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA00402