Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Cap Retraite a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013.
Par un jugement n° 1814550 du 13 novembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 1er décembre 2020, la société Cap Retraite, représentée par la SELARL DTA, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1814550 du 13 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que :
- les sommes versées en contrepartie de l'achat de formulaires de contact " prospects " auprès de la société de droit hongkongais H2Zone et de la société Uperscore située aux Iles vierges britanniques n'entrent pas dans le champ d'application de l'article 182 B du code général des impôts dès lors que ces sociétés possèdent en France, pays où elles réalisent un cycle commercial complet, un établissement stable ;
- les sociétés H2Zone et Uperscore sont assujetties à l'impôt en Israël et peuvent donc se prévaloir de l'application de la convention fiscale franco-israélienne.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention fiscale signée le 31 juillet 1995 à Jérusalem entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- et le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aggiouri ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique.
Une noté en délibéré, présentée pour la société Cap Retraite, a été enregistrée le 27 septembre 2021.
Considérant ce qui suit :
1. La société Cap Retraite, qui exerce une activité d'accueil ou d'accompagnement d'adultes handicapés ou de personnes âgées, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration fiscale l'a assujettie notamment à des retenues à la source au titre de l'année 2013, sur le fondement du c. de l'article 182 B du code général des impôts, à raison de sommes qu'elle a versées à la société Uperscore et à la société H2Zone. La société Cap Retraite relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions.
Sur l'application de la loi fiscale nationale :
2. Aux termes de l'article 182 B du code général des impôts, dans sa rédaction applicable à l'espèce : " I. Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / [...] c. Les sommes payées en rémunération de prestations de toute nature fournies ou utilisées en France. / [...] II. Le taux de la retenue est fixé à 33 1/3 % [...] ".
3. Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à la source les sommes payées par une société qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente en rémunération de prestations qui sont soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.
4. Il résulte de l'instruction que la société Cap Retraite qui offre aux personnes âgées et à leurs famille un service gratuit de conseil et d'orientation vers les maisons de retraite les plus adaptées à leurs besoins, a versé, au titre de l'année 2013, des sommes s'élevant respectivement à 164 083 euros et à 97 053 euros à la société Uperscore, établie aux Iles Vierges britanniques et à la société H2Zone, établie à Hong-Kong, en rémunération de l'achat de formulaires de contact de clients potentiels. D'une part, les sociétés H2Zone et Uperscore, qui ne disposent pas en France d'un local aménagé en vue de l'exercice de leur activité, ne peuvent être regardées comme ayant en France une installation professionnelle permanente au sens et pour l'application de l'article 182 B du code général des impôts. Si la société Cap Retraite fait valoir que les sociétés H2Zone et Uperscore réalisent un cycle commercial complet en France, cette circonstance est en tout état de cause sans incidence, dès lors qu'elles ne peuvent être regardées comme ayant disposé d'une installation professionnelle permanente en France. D'autre part, il n'est pas contesté que les prestations en litige, qui devaient permettre à la société Cap Retraite d'entrer en contact avec de nouveaux clients, ont été utilisées par la société Cap Retraite dans le cadre du développement de son activité en France. Par conséquent, les sommes en cause doivent être regardées comme rémunérant des prestations fournies par des sociétés n'ayant pas d'installation professionnelle permanente en France, et utilisées en France au sens du c. du I de l'article 182 B du code général des impôts. C'est donc à bon droit que l'administration fiscale les a soumises à des retenues à la source sur le fondement de ces dispositions.
Sur l'application de la convention franco-israélienne :
5. Aux termes de l'article 1er de la convention fiscale signée le 31 juillet 1995 à Jérusalem entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'Etat d'Israël : " La présente Convention s'applique aux personnes qui sont des résidents d'un Etat contractant ou des deux Etats contractants ". Aux termes de l'article 2 de la même convention : " La présente Convention s'applique aux impôts sur le revenu perçus pour le compte d'un Etat contractant ou de ses collectivités locales, et aux impôts sur la fortune perçus pour le compte d'un Etat contractant, quel que soit le système de perception. / 3. Les impôts actuels auxquels s'applique la Convention sont notamment : / [...] / b) En ce qui concerne Israël : / i) les impôts perçus en application de l'ordonnance relative à l'impôt sur le revenu et de la législation y afférente ; / [...] iv) l'impôt perçu en application de la loi relative à l'impôt sur les employeurs [...]. ". L'article 4 de cette convention stipule que : " 1. Au sens de la présente Convention, l'expression "résident d'un Etat contractant" désigne toute personne qui, en vertu de la législation de cet Etat, est assujettie à l'impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction, ou de tout autre critère de nature analogue [...] ". Aux termes de l'article 7 de la convention : " 1. Les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'entreprise n'exerce son activité dans l'autre Etat contractant par l'intermédiaire d'un établissement stable qui y est situé. Si l'entreprise exerce son activité d'une telle façon, les bénéfices de l'entreprise sont imposables dans l'autre Etat mais uniquement dans la mesure où ils sont imputables à cet établissement stable. / [...] " Aux termes de l'article 21 de la convention : " 1. Les éléments du revenu d'un résident d'un Etat contractant, d'où qu'ils proviennent, qui ne sont pas traités dans les articles précédents de la présente Convention ne sont imposables que dans cet Etat [...] ".
6. Si les stipulations de la convention franco-israélienne font obstacle à ce que les bénéfices d'une entreprise d'un Etat contractant ne disposant pas d'établissement stable dans l'autre Etat, soient imposés par ce dernier, même par voie de retenue à la source, elles ne trouvent toutefois application que pour autant que les bénéfices en cause sont soumis, par le premier Etat, à une imposition de nature identique ou analogue aux impositions auxquelles la convention s'applique.
7. La société Cap Retraite soutient que les sociétés H2Zone et Uperscore sont résidentes fiscales en Israël. Pour en justifier, elle produit, pour la première fois en appel, deux attestations, datées du 19 juillet 2017, par lesquelles les autorités fiscales israéliennes ont certifié que ces sociétés étaient résidentes de l'Etat d'Israël au sens de la convention fiscale bilatérale et qu'elles y avaient respecté leurs obligations déclaratives. Le ministre de l'économie, des finances et de la relance, en se bornant à faire valoir, d'une part, que les factures produites mentionnent des adresses à Hong-Kong et aux Iles Vierges britanniques, d'autre part, que les attestations produites ont été établies postérieurement à l'année d'imposition en litige par un " assessing officer ", ne remet pas utilement en cause la véracité des informations contenues dans ces attestations, lesquelles, dûment signées par un agent dont le nom et la qualité sont expressément mentionnés, comportent un tampon des services fiscaux israéliens. Par ailleurs, le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne conteste pas l'allégation de la société requérante selon laquelle les sociétés H2Zone et Uperscore déposent des déclarations de résultats en Israël et y acquittent 1'impôt sur les sociétés, ni celle selon laquelle les encaissements correspondant aux prestations en cause, régulièrement inscrits dans leur comptabilité, ont été soumis à l'impôt en Israël, à l'appui desquelles la société requérante produit les extraits de la comptabilité de ces sociétés au titre de l'exercice clos en 2013, émanant d'un commissaire aux comptes, qui ne sont pas critiqués par le service et qui mentionnent les revenus de prestations de services et l'impôt sur les bénéfices pour des montants, respectivement, de 596 312 et 24 777 shekels pour la société H2Zone, et de 1 012 163 et 42 174 shekels pour la société Uperscore. Il ne soutient pas davantage que les sociétés H2Zone et Uperscore, qui n'exerçaient aucune activité en France par l'intermédiaire d'un établissement stable, auraient bénéficié en Israël d'un régime fiscal qui leur aurait permis d'échapper à l'impôt dans ce pays. Dès lors, il doit être tenu pour établi que les sommes en cause sont soumises, en Israël, à une imposition de nature identique ou analogue aux impositions auxquelles la convention s'applique. Par suite, les stipulations de la convention fiscale franco-israélienne font obstacle à l'application de retenues à la source sur les rémunérations versées par la société Cap Retraite aux sociétés H2Zone et Uperscore au titre de l'année 2013.
8. Il résulte de ce qui précède que la société Cap Retraite est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande de décharge des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à la société Cap Retraite sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1814550 du 13 novembre 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La société Cap Retraite est déchargée des retenues à la source auxquelles elle a été assujettie au titre de l'année 2013.
Article 3 : L'Etat versera à la société Cap Retraite une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Cap Retraite et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 23 septembre 2021, où siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 14 octobre 2021.
Le rapporteur,
K. AGGIOURILa présidente,
H. VINOT
La greffière,
F. DUBUY
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 20PA03678 3