Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. et Mme A... B... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2017.
Par un jugement n° 1905964 du 9 juillet 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 24 juillet 2020 et le 3 décembre 2020, M. et Mme B..., représentés par Me Gamain, avocat, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1905964 du 9 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2017 ;
3°) d'ordonner le versement des intérêts moratoires, en application de l'article L. 208 du livre des procédures fiscales ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. et Mme B... soutiennent que :
- la plus-value de cessions de valeurs mobilières d'un montant de 299 948 euros réalisée en 2017 doit être imposée selon le système du quotient prévu à l'article 163-0 A du code général des impôts, dès lors qu'avant abattement, elle est supérieure à la moyenne des revenus nets qui ont fait l'objet d'une imposition des trois dernières années ;
- l'administration a méconnu son interprétation de la loi fiscale exprimée au paragraphe 140 de la documentation administrative référencée NOI-IR-LIQ-20-30-20160720 du 20 juillet 2016 ;
- ils ont fait application de cette interprétation sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, en sollicitant le bénéfice du système du quotient lors de la déclaration de leurs revenus et d'ailleurs rappelé le sens de la doctrine de l'administration lors de leur réclamation préalable ;
- le refus d'appliquer l'article 163-0 A du code général des impôts dans ce litige constitue une rupture du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt ;
- cette interprétation est bien applicable, quelle que soit la catégorie de revenu imposable et ne vise pas seulement les traitements et salaires.
Par un mémoire en défense enregistré le 2 novembre 2020, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Le ministre fait valoir que :
- les moyens invoqués par M. et Mme B... ne sont pas fondés ;
- la demande de versement des intérêts moratoires est sans objet dès lors qu'il n'existe aucun litige né ou actuel entre les requérants et le comptable public.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Fullana ;
- et les conclusions de M. Sibilli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme B... ont cédé au cours de l'année 2017 des valeurs mobilières qu'ils détenaient dans la société Sofid. A cette occasion, ils ont réalisé une plus-value d'un montant de 299 948 euros, qu'ils ont déclarée en sollicitant dans leur déclaration le bénéfice du système du quotient prévu à l'article 163-0 du code général des impôts. L'administration ayant refusé d'appliquer cette disposition, ils ont demandé au Tribunal administratif de Paris la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu résultant de ce refus. Ils font appel du jugement du 9 juillet 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :
2. En premier lieu, aux termes de l'article 163-0 A du code général des impôts : " I. - Lorsqu'au cours d'une année un contribuable a réalisé un revenu qui par sa nature n'est pas susceptible d'être recueilli annuellement et que le montant de ce revenu exceptionnel dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels ce contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, l'intéressé peut demander que l'impôt correspondant soit calculé en ajoutant le quart du revenu exceptionnel net à son revenu net global imposable et en multipliant par quatre la cotisation supplémentaire ainsi obtenue. (...) / III. - Les dispositions prévues aux I et II ne s'appliquent qu'aux seuls revenus exceptionnels ou différés imposés d'après le barème progressif prévu à l'article 197. ". Et aux termes du 1 ter de l'article 150-0 D du même code : " Les gains nets mentionnés au I de l'article 150-0 A sont constitués par la différence entre le prix effectif de cession des titres ou droits, net des frais et taxes acquittés par le cédant, et leur prix effectif d'acquisition par celui-ci diminué, le cas échéant, des réductions d'impôt effectivement obtenues dans les conditions prévues à l'article 199 terdecies-0 A, ou, en cas d'acquisition à titre gratuit, leur valeur retenue pour la détermination des droits de mutation./ Les gains nets résultant de la cession à titre onéreux ou retirés du rachat d'actions, de parts de sociétés, de droits démembrés portant sur ces actions ou parts, ou de titres représentatifs de ces mêmes actions, parts ou droits, mentionnés à l'article 150-0 A, ainsi que les distributions mentionnées aux 7,7 bis et aux deux derniers alinéas du 8 du II du même article, à l'article 150-0 F et au 1 du II de l'article 163 quinquies C sont réduits d'un abattement déterminé dans les conditions prévues, selon le cas, au 1 ter ou au 1 quater du présent article. (...) ".
3. Les dispositions de l'article 163-0 A de ce code ont pour objet d'atténuer, en cas de perception d'un revenu exceptionnel, les effets du barème progressif de l'impôt sur le revenu. Pour être pertinente, la comparaison permettant d'apprécier si le montant du revenu en cause présente un caractère exceptionnel doit porter sur des éléments comparables. Par suite, dès lors que le deuxième terme de comparaison désigné par le texte réside dans la moyenne des revenus nets d'après lesquels le contribuable a été soumis à l'impôt sur le revenu au titre des trois dernières années, le premier terme de comparaison consiste nécessairement en un revenu net d'après lequel le contribuable devrait être soumis à l'impôt sur le revenu. En présence d'un revenu correspondant à une plus-value sur cession de titres éligible à l'abattement pour durée de détention des titres prévu par les dispositions du 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts, ce premier terme de comparaison correspond à cette plus-value diminuée de l'abattement en cause.
4. S'il n'est pas contesté que la plus-value litigieuse n'est pas susceptible d'être recueillie annuellement par les requérants, l'application de l'abattement pour durée de détention prévu par le 1 ter de l'article 150-0 D du code général des impôts détermine une plus-value d'un montant net imposable de 104 982 euros. Un revenu de ce montant n'étant pas en l'espèce un revenu exceptionnel au sens des dispositions de l'article 163-0 précité de ce même code, le moyen tiré de la méconnaissance de cet article doit être écarté.
5. En second lieu, aux termes de l'article R. 771-3 du code de justice administrative : " Le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est soulevé, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance
n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, à peine d'irrecevabilité, dans un mémoire distinct et motivé. Ce mémoire, ainsi que, le cas échéant, l'enveloppe qui le contient, portent la mention : " question prioritaire de constitutionnalité " ". Et aux termes de l'article R. 771-4 du même code : " L'irrecevabilité tirée du défaut de présentation, dans un mémoire distinct et motivé, du moyen visé à l'article précédent peut être opposée sans qu'il soit fait application des articles R. 611-7 et R. 612-1 ".
6. Si M. et Mme B... soutiennent que la prise en compte de la plus-value après abattement pour la mise en œuvre des dispositions de l'article 163-0 A du code général des impôts méconnaîtrait le principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt, il résulte de ce qui a été dit au point 3 que leur imposition a été établie conformément à la loi fiscale et que les requérants n'ont pas saisi la Cour d'une question prioritaire de constitutionnalité dans les formes et conditions prévues par les dispositions précitées de l'article R. 771-3 du code de justice. Le moyen tiré de la rupture du principe constitutionnel d'égalité devant l'impôt doit dès lors être écarté.
En ce qui concerne l'interprétation administrative de la loi fiscale :
7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, dans sa version applicable au litige : " (...) / Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. Sont également opposables à l'administration, dans les mêmes conditions, les instructions ou circulaires publiées relatives au recouvrement de l'impôt et aux pénalités fiscales. ".
8. M. et Mme B... se prévalent, sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, de la documentation administrative de base BOI-IR-LIQ-20-30-20 du 20 juillet 2016 qui précise notamment au paragraphe n° 140 : " Pour bénéficier des dispositions de l'article 163-0 A du CGI, le revenu doit également être exceptionnel par son montant. Tel est le cas lorsque ce revenu dépasse la moyenne des revenus nets d'après lesquels le contribuable a été soumis à l'impôt au titre des trois années précédant celles de la perception dudit revenu. Le revenu exceptionnel à retenir dans le premier terme de la comparaison s'entend du revenu mis à la disposition du contribuable, soit, par exemple, dans le cas des traitements et salaires, avant application de la déduction de 10 % au titre des frais professionnels. Lorsque les revenus des années antérieures comprennent des sommes imposées selon un système de quotient, c'est le montant total des revenus nets qui est à prendre en considération. ". Il ressort des termes de ce paragraphe que, pour apprécier le caractère exceptionnel du revenu en cause, le montant à comparer à la moyenne des revenus nets des trois dernières années s'entend du revenu dont a effectivement disposé le contribuable, et non de la seule partie imposable de ce revenu. Cette interprétation de la loi fiscale vaut quelle que soit la catégorie de revenu imposable et ne vise pas, contrairement à ce que soutient l'administration, uniquement le cas des traitements, mentionnés dans la doctrine à titre d'illustration de la règle de comparaison exposée.
9. Il résulte de l'instruction que, lors de la déclaration de leurs revenus, M. et Mme B... ont déclaré une plus-value réalisée d'un montant de 299 948 euros dans la rubrique consacrée aux revenus exceptionnels et sollicité l'application du quotient mentionné ci-dessus pour l'étalement de l'imposition de cette plus-value. Ils ont donc nécessairement entendu faire application des dispositions du paragraphe n° 140 de la documentation administrative de base BOI-IR-LIQ-20-30-20 du 20 juillet 2016. Le refus de l'administration d'appliquer, lors de la liquidation de l'impôt, ce quotient au motif que le montant de la plus-value réalisée après abattement de 194 966 euros ne caractérisait pas un revenu exceptionnel, constitue dans ces conditions un rehaussement contraire à l'interprétation donnée par ce paragraphe de la notion de revenu à prendre en compte. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance par l'administration de sa propre interprétation de la loi fiscale doit être accueilli.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande tendant à la réduction de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2017, à concurrence d'une somme de 6 923 euros.
Sur les conclusions tendant au remboursement des sommes versées et au versement d'intérêts moratoires :
11. Aux termes de l'article L. 208 du livre de procédures fiscales : " Quand l'Etat est condamné à un dégrèvement d'impôt par un tribunal ou quand un dégrèvement est prononcé par l'administration à la suite d'une réclamation tendant à la réparation d'une erreur commise dans l'assiette ou le calcul des impositions, les sommes déjà perçues sont remboursées au contribuable (...) ". Il résulte de ces dispositions que le présent arrêt accordant la réduction des impositions en litige, le remboursement des sommes correspondantes est de droit. Mais en l'absence de litige né et actuel opposant la société requérante au comptable concernant le versement des intérêts moratoires, les conclusions tendant au versement par l'administration de ces intérêts sont prématurées et doivent être rejetées comme irrecevables.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais exposés par M. et Mme B... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1905964 du 9 juillet 2020 du Tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : M. et Mme B... sont déchargés de la cotisation d'impôt sur le revenu à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2017, à concurrence d'une somme de 6 923 euros.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme B... la somme de 2 000 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme A... B... et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée à la direction régionale des finances publiques d'Ile-de-France et de Paris (Pôle contrôle fiscal et affaires juridiques - SCAD).
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Soyez, président,
- M. Simon, premier conseiller,
- Mme Fullana, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 octobre 2021.
La rapporteure,
M. FULLANALe président,
J.-E. SOYEZ
La greffière,
C. DABERT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01873