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15/11/2021 | FRANCE | N°21PA00632

France | France, Cour administrative d'appel de Paris, 8ème chambre, 15 novembre 2021, 21PA00632


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entoma a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté n° DDPP-2016-0005 du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché des insectes destinés à l'alimentation humaine commercialisés par ladite société et a ordonné le retrait de ces produits du marché jusqu'à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché et après une évaluation visant à démontrer qu'ils ne présentent aucun danger pour le consommateur.

Par un jugement n

° 1602662/6-3 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Entoma a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté n° DDPP-2016-0005 du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché des insectes destinés à l'alimentation humaine commercialisés par ladite société et a ordonné le retrait de ces produits du marché jusqu'à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché et après une évaluation visant à démontrer qu'ils ne présentent aucun danger pour le consommateur.

Par un jugement n° 1602662/6-3 du 9 novembre 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Par un arrêt n° 17PA03640 du 22 mars 2018, la Cour a, sur appel de la société Entoma, rejeté la requête de cette société.

Par une décision avant dire droit du 28 juin 2019, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux et saisi sur le pourvoi de la société Entoma a sursis à statuer jusqu'à ce que la Cour de justice de l'Union européenne se soit prononcée sur la question de savoir si l'article 1er, paragraphe 2, point e) du règlement du 27 janvier 1997 doit être interprété comme incluant dans son champ d'application des aliments composés d'animaux entiers destinés à être consommés en tant que tels ou s'il ne s'applique qu'à des ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes.

Par un arrêt du 1er octobre 2020, Entoma SAS contre ministre de l'économie et des finances, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (affaire C-526/19), la Cour de justice de l'Union européenne s'est prononcée sur cette question.

Par une décision n° 420651 du 3 février 2021, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi formé par la société Entoma, a annulé l'arrêt n° 17PA03640 du 22 mars 2018 de la Cour et lui a renvoyé l'affaire.

Procédure devant la Cour :

Par une requête désormais enregistrée sous le n° 21PA00632et un mémoire enregistrés les 29 novembre 2017 et 2 mars 2018, la société Entoma, représentée par Me Steck, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du 9 novembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 27 janvier 2016 par lequel le préfet de police a suspendu la mise sur le marché de ses produits commercialisés à base d'insectes et a ordonné leur retrait du marché jusqu'à mise en conformité avec les dispositions du règlement (CE) n° 258/97 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ledit arrêté ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement :

- les premiers juges ont dénaturé ses écritures en considérant que la société requérante ne conteste pas que les insectes remplissent les deux conditions cumulatives requises pour entrer dans le champ d'application de l'autorisation préalable prévue par le règlement sur les nouveaux aliments et les nouveaux ingrédients alimentaires du 27 janvier 1997 ;

- ils ont omis de répondre à son argumentation tirée de ce que le fait que les insectes entiers entrent désormais explicitement dans le champ d'application du nouveau règlement du

25 novembre 2015 signifie qu'ils étaient auparavant exclus du champ d'application du précédent règlement ;

- ils ont omis de répondre à son argumentation sur le sens courant des termes litigieux et du contexte dans lequel ils ont été employés.

Sur le bien-fondé du jugement :

- les premiers juges ont commis une erreur de droit en considérant que les insectes entiers doivent être inclus dans les " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " du règlement du 27 janvier 1997 puisqu'une interprétation stricte doit présider aux mesures de police administrative, même au niveau européen, que la libre circulation des marchandises doit également être prise en compte dans l'interprétation du règlement européen, qu'il est impossible de transposer le raisonnement retenu par la Cour de justice de l'Union européenne saisie sur question préjudicielle d'une interprétation du règlement du 27 janvier 1997 concernant les structures moléculaires primaires nouvelles et enfin que les insectes entiers étaient exclus de la procédure d'autorisation préalable sous l'empire du règlement du 27 janvier 1997 ;

- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une erreur d'appréciation des faits en n'apportant pas de précisions sur le caractère nécessaire et adapté de l'arrêté préfectoral, alors que plusieurs rapports ne prônent pas l'interdiction de la commercialisation des insectes à des fins alimentaires et que l'arrêté n'est pas proportionné du fait de la longueur de la procédure préalable à l'obtention d'une autorisation de mise sur le marché.

Sur l'effet dévolutif de l'appel :

- elle sollicite l'entier bénéfice de ses écritures devant le tribunal administratif de Paris aux termes desquelles elle a soutenu que l'arrêté du préfet de police du 27 janvier 2016 émane d'une autorité incompétente et procède d'une erreur de droit et d'appréciation des faits.

Par des mémoires enregistrés le 2 mars 2018 et 21 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société Entoma ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 11 juin 2021, la société Entoma maintient ses conclusions par les moyens développés dans ses précédents mémoires.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires,

- le règlement (UE) n° 2015/2283 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 relatif aux nouveaux aliments abrogeant le règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil,

- le code de la consommation,

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Ho Si Fat,

- les conclusions de M. Segretain, rapporteur public,

- et les observations de Me Steck, avocat de la société Entoma.

Considérant ce qui suit :

1. Aux termes de l'article 1er du règlement (CE) n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 : " 1. Le présent règlement a pour objet la mise sur le marché dans la Communauté de nouveaux aliments et de nouveaux ingrédients alimentaires. / 2. Le présent règlement s'applique à la mise sur le marché dans la Communauté d'aliments et d'ingrédients alimentaires pour lesquels la consommation humaine est jusqu'ici restée négligeable dans la Communauté et qui relèvent des catégories suivantes : (...) / e) les aliments et ingrédients alimentaires composés de végétaux ou isolés à partir de ceux-ci et les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux (...) ". Aux termes de l'article 4 du même règlement : " 1. La personne responsable de la mise sur le marché dans la Communauté, ci-après dénommée " demandeur ", soumet une demande à l'État membre dans lequel le produit doit être mis sur le marché pour la première fois. Elle transmet, en même temps, une copie de la demande à la Commission. / 2. Il est procédé à l'évaluation initiale prévue à l'article 6. / À l'issue de la procédure visée à l'article 6 paragraphe 4, l'État membre visé au paragraphe 1 informe sans délai le demandeur: / - qu'il peut procéder à la mise sur le marché de l'aliment ou de l'ingrédient alimentaire, lorsque l'évaluation complémentaire visée à l'article 6 paragraphe 3 n'est pas requise (...) / ou / - que, conformément à l'article 7, une décision d'autorisation est nécessaire (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 218-5-4 du code de la consommation, sur le fondement duquel a été pris l'arrêté préfectoral litigieux : " S'il est établi qu'un produit a été mis sur le marché sans avoir été l'objet de l'autorisation, de l'enregistrement ou de la déclaration exigé par la réglementation applicable à ce produit, le préfet ou, à Paris, le préfet de police peut ordonner la suspension de sa mise sur le marché et son retrait jusqu'à la mise en conformité avec la réglementation en vigueur ".

2. Il résulte de ces dispositions que pour qu'un aliment ou un ingrédient alimentaire soit soumis à la procédure d'autorisation préalable avant sa mise sur le marché conformément à l'article 4 précité du règlement susvisé, il doit remplir deux conditions cumulatives : d'une part, la consommation humaine de ces substances doit être " restée négligeable " dans l'Union avant le 15 mai 1997 et, d'autre part, lesdites substances doivent relever de l'une des catégories expressément décrites à l'article 1er, paragraphe 2 du règlement. La catégorie visée à l'article 1er, paragraphe 2, sous e) dudit règlement inclut les " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux ". Dans son arrêt du 1er octobre 2020, Entoma SAS contre ministre de l'économie et des finances, ministre de l'agriculture et de l'alimentation (affaire C-526/19), rendu sur question préjudicielle, relatif à l'interprétation de l'article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement (CE)

n° 258/97 du Parlement européen et du Conseil du 27 janvier 1997 relatif aux nouveaux aliments et aux nouveaux ingrédients alimentaires, la Cour de justice de l'Union européenne a précisé que le règlement n° 258/97 poursuit une finalité double consistant à assurer le fonctionnement du marché intérieur des nouveaux aliments et à protéger la santé publique contre les risques que ceux-ci peuvent générer (arrêt du 9 novembre 2016, Davitas, C-448/14, point 31 et jurisprudence citée) et a mentionné qu'il pourrait certes paraître illogique, d'un point de vue sanitaire, de vouloir soumettre à la réglementation les ingrédients alimentaires isolés à partir d'insectes, tout en excluant les insectes entiers, dans la mesure où un insecte entier est composé de l'ensemble de ses parties et que l'insecte entier, tout comme ses parties, a vocation à être ingéré par le consommateur, ce qui pourrait présenter, dès lors, les mêmes risques du point de vue de la santé publique. Toutefois, ainsi que l'a relevé la Cour de justice de l'Union européenne, une telle argumentation, fondée sur l'une des deux finalités du règlement n° 258/97, ne saurait suffire à justifier une interprétation extensive des termes univoques " isolés à partir d'animaux ", qui aurait pour effet d'inclure les " animaux entiers " dans le champ d'application de ce règlement.

3. À cet égard, s'il est vrai que les termes " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " ne sont pas définis par le règlement n° 258/97, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l'Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêts du 9 novembre 2016, Davitas, C-448/14, point 26 et du 26 octobre 2017, The English Bridge Union, C-90/16, point 18).

4. S'agissant en premier lieu du sens habituel de l'expression " ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux " dans le langage courant, il y a lieu de relever que, s'il est constant que le terme " animaux " devrait être compris comme comprenant les insectes, l'utilisation des termes " ingrédients alimentaires ", associés à l'expression " isolés à partir d'animaux ", conduit à considérer que le sens habituel à attribuer à cette expression dans le langage courant est que seuls les ingrédients alimentaires composés de parties d'animaux, à l'exclusion des animaux, et partant des insectes entiers, étaient visés à l'article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement

n° 258/97.

5. D'une part, en effet, s'agissant des termes " ingrédients alimentaires ", il convient de constater, ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a affirmé, que le règlement

n° 258/97 ne définit pas le terme " ingrédient ", que toutefois ce terme fait référence, de manière générale, à un élément faisant partie d'un produit final composite plus large, en substance, une " denrée alimentaire " (ou un " aliment "), et que par conséquent, un ingrédient est, en principe, non pas un produit destiné à être consommé en lui-même, mais plutôt une substance ou un produit à ajouter à d'autres substances pour constituer un aliment.

6. Dès lors, il n'apparaît pas que les animaux entiers puissent être qualifiés

d'" ingrédient ", ceux-ci constituant une " denrée alimentaire " et non un " ingrédient alimentaire ". Cette interprétation est d'ailleurs corroborée, implicitement, mais nécessairement, par le libellé de l'article 1er, paragraphe 2, sous e), du règlement no 258/97, qui opère clairement une distinction entre les " denrées alimentaires " et les " ingrédients alimentaires ", tout en employant uniquement les termes " ingrédients alimentaires " lorsqu'il fait référence aux animaux.

7. D'autre part, s'agissant de l'expression " isolés à partir " d'animaux, il y a lieu de relever que celle-ci fait référence à un processus d'extraction à partir de l'animal et qu'aucune interprétation de celle-ci ne saurait conduire à désigner un animal entier, sauf à créer une tautologie selon laquelle les animaux entiers sont " isolés à partir " d'animaux entiers.

8. Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de constater qu'ainsi que le soutient la société Entoma, son activité n'entre pas dans le champ d'application de l'article 1er du règlement (CE) n° 258/97 du 27 janvier 1997 qui ne concerne que " les ingrédients alimentaires isolés à partir d'animaux ", et par conséquent, à partir d'insectes alors qu'elle commercialise des insectes entiers.

9. En outre, il convient de relever que c'est précisément au vu de l'" évolution scientifique et technologique depuis 1997 " que le législateur de l'Union a décidé en 2015, par l'adoption du règlement (UE) n° 2015/2283, " de revoir, de préciser et de mettre à jour les catégories d'aliments qui constituent de nouveaux aliments ", et d'inclure explicitement les " insectes entiers et leurs parties ". Il s'ensuit, ainsi que le soutient à juste titre la société Entoma, que l'inclusion expresse des insectes entiers dans le champ d'application du nouveau règlement (UE) n° 2015/2283 du 25 novembre 2015, applicable au 1er janvier 2018, établit que les insectes entiers ne relevaient pas de celui du règlement susvisé du 27 janvier 1997 et que, par suite, l'arrêté préfectoral du 27 janvier 2016 est entaché d'illégalité.

10. Enfin, à supposer que le ministre de l'économie, des finances et de la relance ait entendu demander à la Cour de procéder à une substitution de base légale de l'arrêté contesté, celle-ci ne saurait être accueillie dès lors que le préfet de police n'établit pas que les risques associés à la consommation d'insectes entiers pour la santé publique sont avérés, malgré les avis des agences sanitaires, et en particulier de l'ANSES, au demeurant assez nuancés, et que par conséquent il était fondé sur ce seul motif, en application de l'article L. 528-5-4 du code de la consommation et en vertu du principe de précaution, à prendre l'arrêté contesté.

11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la société Entoma est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.

Sur les frais liés à l'instance :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Entoma de la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 9 novembre 2017 du tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 27 janvier 2016 du préfet de police sont annulés.

Article 2 : L'Etat versera à la société Entoma la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Entoma et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.

Délibéré après l'audience du 14 octobre 2021, à laquelle siégeaient :

- M. Le Goff, président de chambre,

- M. Ho Si Fat, président-assesseur,

- Mme Collet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2021.

Le rapporteur,

F. HO SI FAT Le président,

R. LE GOFFLa greffière,

E. VERGNOLLa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

21PA00632 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Paris
Formation : 8ème chambre
Numéro d'arrêt : 21PA00632
Date de la décision : 15/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

.

Communautés européennes et Union européenne - Portée des règles du droit de l’Union européenne - Règlements.


Composition du Tribunal
Président : M. LE GOFF
Rapporteur ?: M. Frank HO SI FAT
Rapporteur public ?: M. SEGRETAIN
Avocat(s) : STECK

Origine de la décision
Date de l'import : 01/03/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.paris;arret;2021-11-15;21pa00632 ?
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