Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Le Jardin a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2014 et du rappel de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, en droits et majorations, ainsi que de l'amende qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts.
Par un jugement n° 1716685/1-3 du 5 février 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 14 avril 2020, 7 août 2020,
14 décembre 2020, 19 mars 2021 et 24 mai 2021, la société Le Jardin, représentée par Me Hubert Thierry, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1716685/1-3 du 5 février 2020 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge demandée au tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 7 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La société Le Jardin soutient que :
- la proposition de rectification est insuffisamment motivée ;
- sa comptabilité était régulière et probante ;
- la méthode de reconstitution est excessivement sommaire ;
- pour les mêmes motifs, la majoration pour manquement délibéré et l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts ne sont pas fondées.
Par des mémoires en défense enregistrés les 15 mai 2020, 18 septembre 2020,
5 janvier 2021, 24 mars 2021 et 11 juin 2021, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que les moyens invoqués par la société Le Jardin ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 10 juin 2021, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juin 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- et les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La société Le Jardin, qui exerce une activité de restauration asiatique, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, à l'issue de laquelle une proposition de rectification du 11 juillet 2016 lui a été notifiée. Au terme de la procédure, elle a été assujettie à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2014 et à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2014, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré, l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts lui ayant par ailleurs été infligée. La société Le Jardin relève appel du jugement du 5 février 2020 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge de ces impositions, en droits et majorations, et de cette amende.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base d'imposition, et énoncer les motifs sur lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les rehaussements envisagés, de façon à permettre au contribuable de formuler de façon utile ses observations. En revanche, sa régularité ne dépend pas du bien-fondé de ces motifs. Par ailleurs, lorsque l'administration entend fonder au moins en partie un redressement, non sur des pratiques habituelles à la profession ou au secteur d'activité, mais sur des éléments de comparaison issus de données chiffrées provenant d'autres entreprises, elle doit, pour assurer le caractère contradictoire de la procédure sans méconnaître le secret professionnel protégé par l'article L. 103 du livre des procédures fiscales, désigner nommément ces entreprises mais ne fournir au contribuable que des moyennes ne lui permettant pas de connaître, fût-ce indirectement, les données propres à chacune d'elles. Cette obligation, dont le respect constitue une garantie pour le contribuable, s'impose à l'administration même si ce dernier disposait d'éléments relatifs à sa propre situation pour contester les évaluations du vérificateur et si la recherche par l'administration d'informations relatives à d'autres entreprises était la conséquence du refus du contribuable de communiquer des informations dont il disposait.
4. La société Le Jardin soutient que la proposition de rectification du 11 juillet 2016 est insuffisamment motivée, s'agissant de la reconstitution de son chiffre d'affaires, notamment des caractéristiques des sociétés retenues par le vérificateur pour déterminer un coefficient de marge médian et le comparer au coefficient de marge résultant de ses déclarations. Toutefois, la proposition de rectification précise les motifs du rejet de la comptabilité de la société Le Jardin et détaille la méthode de reconstitution des recettes. En outre, le vérificateur a précisé les critères retenus pour la composition de l'échantillon de sociétés dont les coefficients de marge ont été comparés à celui de la société Le Jardin pour procéder à la reconstitution, sociétés qui sont identifiées dans la proposition de rectification. Ces éléments étaient ainsi suffisants pour permettre à la société requérante de présenter utilement ses observations, notamment en ce qui concerne la pertinence des éléments de comparaison utilisés. Le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la proposition de rectification doit par suite être écarté.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne le rejet de la comptabilité :
5. Il résulte de l'instruction que le vérificateur a constaté, au cours du contrôle, que les tickets " RAZ " quotidiens présentés par la société Le Jardin ne comportaient pas le détail des articles vendus ni le prix de vente de chacun de ces articles, ce que reconnait d'ailleurs la requérante. Il a en outre constaté que la majeure partie des recettes était générée par des menus spéciaux, préparés sur commandes et représentant 87,8 % du chiffre d'affaires et dont les différents prix n'étaient pas enregistrés dans la comptabilité informatisée présentée, aucune distinction entre les différents menus n'étant au demeurant faite dans la table des articles du logiciel de caisse, la comptabilité ne permettant ainsi pas de distinguer les différents menus, et, par suite, les différents produits vendus. Les tickets de caisse remis aux clients ne comportaient pas plus le détail des articles vendus que les tickets " RAZ " quotidiens, alors, d'une part, que la société Le Jardin a reconnu que le prix et la composition de ces menus n'étaient pas fixes mais décidés en collaboration avec les clients, sans qu'aient été conservés de copies des menus négociés ou de devis remis aux clients et, d'autre part, que le logiciel de caisse utilisé permettait de détailler la composition des menus en activant une option, les tickets de caisse ne mentionnant de surcroît pas de vente d'alcools alors que la société a indiqué que les menus spéciaux étaient associés à des événements festifs. La société Le Jardin reconnaît ainsi que 36 % des menus spéciaux représentant 32 % du chiffre d'affaires qu'elle avance, ou 34 % des menus spéciaux dans le dernier état de ses écritures, ont fait l'objet de négociations avec les clients, sans qu'aucun justificatif ne soit apporté quant à la nature des modifications apportées à ces menus. Contrairement à ce qu'elle soutient, en l'absence de justificatifs permettant d'établir la nature des produits incorporés dans les menus modifiés, le vérificateur n'était pas en mesure de procéder à un rapprochement entre les tickets de caisse et le seul prix des huit menus spéciaux proposés par la société. A cet égard, la société Le Jardin n'apporte aucun élément qu'elle seule est en mesure de produire, de nature à établir que les modifications des menus n'auraient fait varier les prix de vente qu'à la marge. Enfin, le vérificateur a constaté que les tickets de caisse remis aux clients n'étaient pas numérotés, ne permettant ainsi pas de s'assurer de l'exhaustivité des données qui figuraient sur les tickets " Z " journaliers. A cet égard, la circonstance que le vérificateur n'a pas constaté de correction ou de suppression de recettes dans la comptabilité informatisée présentée est sans incidence, dès lors que les pièces présentées ne permettaient pas de s'assurer effectivement de la concordance entre les ventes déclarées et les recettes comptabilisées. Dans ces conditions, contrairement à ce que soutient la société Le Jardin, sa comptabilité était dépourvue de valeur probante.
En ce qui concerne la méthode de reconstitution :
6. Il résulte de l'instruction que, pour reconstituer le chiffre d'affaires de la société Le Jardin, le vérificateur, estimant que les justificatifs présentés ne permettaient pas de connaître la structure des ventes en rattachant les articles vendus aux factures d'achat, et ainsi de mettre en œuvre une méthode de valorisation des achats revendus, a déterminé un coefficient de marge constitué du rapport entre le chiffre d'affaires hors taxe généré par des sociétés exerçant une activité similaire et le montant hors taxe de leurs achats de marchandises, corrigé de la variation de stock. Il a sélectionné 17 entreprises qui ont déposé leurs comptes annuels au greffe du Tribunal de commerce, exerçant l'activité de restauration traditionnelle ou rapide dans le 19ème arrondissement de Paris et ayant généré un chiffre d'affaires compris entre 700 000 euros et 1 600 000 euros au titre des exercices clos en 2013 et 2014, lui permettant de déterminer un coefficient de marge médian de 3,18 pour 2014. Parmi ces entreprises, il a ensuite sélectionné les restaurants traditionnels de type asiatique, réduisant l'échantillon à quatre entreprises et établissant un coefficient de marge médian de 3,11. Il a ensuite constaté que le coefficient de marge réalisé par la société Le Jardin s'élevait, d'après ses déclarations, à 2,24, et a décidé d'appliquer aux achats hors taxe déclarés sur la déclaration déposée au titre de l'exercice 2014 un coefficient de marge de 2,74, comparable à celui réalisé au titre de l'exercice précédent, premier exercice d'activité, qu'il a estimé cohérent avec un début d'activité.
7. La société Le Jardin soutient que la méthode de reconstitution retenue par l'administration est excessivement sommaire, dès lors qu'elle ne se fonde pas sur les données propres à l'entreprise. Toutefois, lorsque les lacunes de la comptabilité sont telles que la reconstitution est impossible à partir des données propres de l'entreprise, l'administration peut procéder par comparaison avec des entreprises similaires sans pour autant recourir à une méthode radicalement viciée dans son principe ou excessivement sommaire. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, les documents comptables et les justificatifs produits par la société Le Jardin, s'ils comprenaient les factures d'achat, ne permettaient pas de retracer de manière probante les produits vendus, en l'absence de détail de la structure des ventes enregistrées sur l'essentiel des recettes comptabilisées, les éléments produits au cours de la procédure répertoriant au demeurant des catégories de produits, sans détail ni prix. Dans ces conditions, l'administration, qui ne pouvait reconstituer les recettes à partir des données propres de l'entreprise, pouvait procéder par comparaison avec des entreprises similaires.
8. La société Le Jardin soutient également, à l'appui du moyen tiré du caractère excessivement sommaire de la méthode de reconstitution, que l'activité des sociétés de l'échantillon retenu par l'administration n'est pas comparable à la sienne, dès lors que son activité serait celle d'un restaurant gastronomique générant un taux de marge inférieur et était récente, contrairement aux sociétés retenues constituées d'établissements qui n'ont par ailleurs pas la capacité d'accueillir des groupes importants, et que deux des sociétés retenues ne se limitent pas à une activité de restauration. Toutefois, l'administration, qui n'a utilisé les comparables qu'en vue de mettre en évidence la faiblesse du coefficient de marge qui résultait des déclarations de la société Le Jardin, a retenu un taux de marge inférieur à celui réalisé par ces sociétés, qui exerçaient la même activité dans le même secteur géographique et au cours des mêmes années, prenant ainsi en tout état de cause en compte les éléments dont se prévaut la société Le Jardin, qui n'apporte aucun élément probant qu'elle seule est en mesure d'apporter permettant d'expliquer la faiblesse de son coefficient de marge par rapport aux autres sociétés.
9. Enfin, la société Le Jardin fait valoir, à l'appui du même moyen, que l'administration ne pouvait retenir le coefficient de marge réalisé lors du premier exercice d'activité, dès lors qu'elle a fait des efforts en termes de marge lors de sa première année d'activité pour fidéliser une clientèle et que la baisse de sa marge entre les deux exercices, que trois des sociétés comparées ont également connu, s'explique par l'augmentation du chiffre d'affaires résultant des menus spéciaux, qui génèrent une marge plus faible que le reste de l'activité, et par la baisse de son chiffre d'affaires. Toutefois, elle se borne à des allégations dépourvues de tout élément explicatif probant, qu'elle seule est en mesure d'apporter. Par ailleurs, si la société Le Jardin soutient qu'une méthode alternative fondée sur les achats et les ventes de riz aurait pu être mise en œuvre, elle n'apporte aucun élément chiffré et ne propose ainsi et en tout état de cause pas une évaluation plus précise de ses recettes que celle résultant de la méthode mise en œuvre par l'administration.
10. Il résulte de ce qui précède que l'administration apporte la preuve qui lui incombe de l'omission de recettes en matière d'impôt sur les sociétés, établi suivant la procédure contradictoire, la société Le Jardin n'apportant pas la preuve qui lui incombe en matière de taxe sur la valeur ajoutée, taxée d'office.
Sur les pénalités :
11. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré (...) ".
12. Pour justifier l'application de la majoration pour manquement délibéré, l'administration s'est fondée sur le caractère grave et répété des irrégularités comptables commises et l'importance de la minoration des recettes en résultant. Elle établit ainsi que la société Le Jardin s'est délibérément abstenue de comptabiliser une part significative de ses recettes, faute d'une comptabilité précise, adaptée à ses modalités d'exploitation. Elle apporte par suite la preuve des manquements délibérés et justifie du bien-fondé de l'application de la majoration prévue au a) de l'article 1729 du code général des impôts. Par ailleurs, compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la société Le Jardin n'est pas fondée à demander la décharge de cette pénalité par voie de conséquence des moyens invoqués à l'encontre du bien-fondé des impositions.
Sur l'amende :
13. Aux termes de l'article 1759 du code général des impôts : " Les sociétés et les autres personnes morales passibles de l'impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent, directement ou par l'intermédiaire de tiers, des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240, elles ne révèlent pas l'identité, sont soumises à une amende égale à 100 % des sommes versées ou distribuées (...) ".
14. La société Le Jardin n'ayant pas désigné les bénéficiaires des revenus distribués résultant de la reconstitution précédemment décrite, l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts lui a été infligée. Compte tenu de ce qui a été dit précédemment, la société requérante n'est pas fondée à demander la décharge de cette amende par voie de conséquence des moyens invoqués à l'encontre du bien-fondé des impositions.
15. Il résulte de tout ce qui précède que la société Le Jardin n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge des impositions, majorations et amende en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Le Jardin demande au titre des frais qu'elle a exposés.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Le Jardin est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société à responsabilité limitée Le Jardin et au ministre de l'économie, des finances et de la relance.
Copie en sera adressée au chef des services fiscaux chargé de la direction de contrôle fiscal d'Ile-de-France.
Délibéré après l'audience du 10 novembre 2021, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Platillero, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 novembre 2021.
Le rapporteur,
F. PLATILLEROLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
S. DALL'AVALa République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la relance en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20PA01199