Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme DY... DT... et 85 autres requérants ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 18 février 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France.
Par un jugement n° 2103512 du 12 juillet 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 18 février 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France et a mis à la charge de l'Etat une somme de 100 euros à verser à chacun des requérants au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 septembre et 30 novembre 2021 sous le n° 21PA05100, la société par actions simplifiée Astérion France, représentée par Me Perotto, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2021 du tribunal administratif de Melun en tant qu'il a annulé la décision du 18 février 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France ;
2°) de confirmer la décision du 18 février 2021 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France ;
3°) de mettre à la charge de chacun des défendeurs une somme de 300 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
S'agissant des critères d'ordre prévus à l'article L. 1233-5 du code du travail :
- l'attribution d'un même nombre de points pour tous les salariés est autorisé lorsqu'il est établi que, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi que, dans la situation particulière de l'entreprise et au vu de l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation des qualités professionnelles ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements ;
- l'attribution d'un point automatique pour l'appréciation du critère des qualités professionnelles n'a pas conduit à neutraliser le critère des qualités professionnelles, mais seulement à neutraliser le risque d'une appréciation subjective de ce critère ;
- le comité social et économique central avait donné son accord sur les critères et la pondération proposés ;
- le comité social et économique d'établissement de Carquefou avait aussi donné son accord ;
- la définition des critères d'ordre et la pondération du critère des qualités professionnelles n'a fait l'objet d'aucune modification dans les versions successives du plan de sauvegarde de l'emploi ;
- la neutralisation du risque d'une appréciation subjective du critère des qualités professionnelles résulte de plusieurs facteurs liés à la situation de la société : l'absence au sein de la société d'un système d'évaluation professionnelle appliqué à tous les salariés et susceptible de répondre aux exigences d'objectivité pour la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ; l'impossibilité de procéder à une évaluation objective des qualités professionnelles des salariés dans les deux sites dont la fermeture est prévue pendant les deux mois de la procédure d'information consultation ; l'impossibilité de prendre en compte les seules sanctions disciplinaires non prescrites à défaut d'autres critères d'évaluation professionnelle ; l'absence de prime d'assiduité, sans qu'une prise en compte des absences injustifiées puisse y être substituée ; l'absence de procédé d'identification des compétences particulières des salariés ;
- la société ne soutient pas qu'il n'existait pas d'entretien d'évaluation professionnel mais qu'elle ne disposait pas d'un système d'évaluation appliqué à tous les salariés et susceptible de répondre aux exigences d'objectivité pour la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi ;
- les entretiens professionnels ne sont pas des entretiens d'évaluation professionnelle ;
- l'appréciation des qualités professionnelles sur la base d'entretiens réalisés avec certains salariés au cours d'années différentes est contraire à l'exigence d'équité et ne permet pas d'établir l'existence d'un système d'évaluation professionnelle objectif formalisé de manière régulière et cohérente ;
- en tout état de cause, les salariés demandeurs de première instance étaient d'autant plus infondés à contester la pondération retenue que celle-ci est restée sans effet en raison du refus de l'intégralité des propositions de reclassement par les salariés ;
S'agissant de la compétence de l'autorité administrative :
- le signataire de la décision attaquée dispose d'une délégation de signature ;
S'agissant de la motivation de la décision d'homologation :
- la décision mentionne la régularité de la procédure d'information consultation des instances représentatives du personnel, le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan, la recherche des postes de reclassement et les améliorations prévues dans le plan ;
S'agissant de l'information et de la consultation des instances représentatives du personnel sur le projet de réorganisation des activités de la société :
- elles en ont été expressément informées ;
- cette information sur la nouvelle organisation envisagée et sur l'impact sur les conditions de travail a été concrète ;
- l'analyse d'impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail est précise en ce qui concerne les horaires de travail, les fonctions exercées, les recrutements à venir et les organigrammes ; le choix a été fait de ne pas recourir au télétravail dans le cadre du projet de réorganisation et en outre s'agissant d'une activité industrielle, le télétravail n'aurait concerné qu'un nombre limité de salariés ;
S'agissant des postes disponibles au sein du périmètre de reclassement :
- la société a procédé à une recherche sérieuse des postes disponibles au sein du groupe et le plan contient une liste précise des postes disponibles :
- en ce qui concerne les recherches de postes disponibles :
- s'il était fait valoir par les demandeurs de première instance qu'ils ignoraient les postes de trois salariés, ceux-ci sont précisés dans l'analyse d'impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail ;
- la société a justifié du respect de son obligation de rechercher les postes de reclassement internes disponibles ;
- la demande de retour rapide après un envoi de courriel figure dans celui-ci parce qu'il s'agit d'un courriel de relance ;
- la société n'a pas limité l'identification des postes disponibles à la collecte de la bourse à l'emploi ;
- il est inexact que trois postes de téléconseillers n'ont pas été mentionnés dans le plan et le retrait de postes disponibles dans la dernière version du plan résulte de ce qu'ils avaient été pourvus ;
- en ce qui concerne la liste précise des postes disponibles :
- quinze postes disponibles ont été identifiés dont la nature, le nombre et la localisation ont été précisés pour les postes non créés et dont, pour chacun des postes, a été précisé la convention collective applicable, le statut, le salaire et un descriptif des missions principales rattachées à ces postes ;
S'agissant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi :
- en ce qui concerne les documents permettant à l'administration d'apprécier la suffisance et la pertinence des mesures contenues au regard des moyens du groupe :
- la société a communiqué la note économique et sociale concernant un projet de réorganisation et le projet de licenciement collectif pour motif économique et le projet de plan de sauvegarde de l'emploi ;
- elle a communiqué l'ensemble des informations et pièces nécessaires afin d'obtenir l'homologation du plan de sauvegarde de l'emploi ;
- en ce qui concerne le caractère suffisant des mesures contenues dans le plan de sauvegarde de l'emploi :
- le plan ayant été homologué, la charge de la preuve en matière d'insuffisance du contenu d'un plan de sauvegarde de l'emploi incombe à la partie qui conteste la proportionnalité du plan au regard des moyens dont disposent l'entreprise et le groupe ;
- cette preuve n'est pas rapportée par les demandeurs de première instance ;
- le plan contient différentes mesures d'accompagnement au reclassement interne et au reclassement externe ;
- la Direccte a apprécié la proportionnalité des mesures contenues dans le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi au regard des moyens dont dispose le groupe.
Par deux mémoires en défense enregistrés les 12 novembre et 2 décembre 2021 et des pièces complémentaires enregistrées les 15, 17 et 18 novembre, 2 décembre et 2 décembre 2021, Mme DY... DT..., M. CP... AB..., M. F... CQ..., M. AT... DU..., Mme CN... CS..., Mme DV... G..., Mme CW... AC..., M. DK... AD..., M. BT... AE..., Mme CX... BC..., M. U... AF..., M. AM... H..., M. AO... AG..., M. EA... I..., Mme DQ... J..., Mme M... AH..., Mme EN... BD..., M. AZ... EH..., Mme CU... DZ..., Mme DY... BE..., M. EE... BF..., Mme AQ... CV..., Mme DE... BG..., M CZ... N..., M. DR... BH..., M. AJ... B..., M. EM... CY..., Mme EG... DA..., M. CL... AN..., M. A... BL..., M. C... BM..., M. Z... BN..., Mme CW... BO..., M. AV... DB..., M. S... BP..., M. CE... BQ..., Mme AL... O..., M. AK... BR..., Mme EG... BR..., M. K... DD..., Mme CK... BS..., Mme DE... DG..., M. CJ... EK..., M. C... P..., Mme CR... BU..., M. AT... DH..., Mme BB... DI..., Mme BI... DI..., Mme AI... BV..., Mme AU... AP..., M. EA... BW..., Mme EI... BX..., Mme CF... EB..., Mme DF... BY..., M. CP... AR..., Mme DC... CB..., Mme DC... AS..., Mme AW... DJ..., Mme AX... CD..., M. BK... N'San, Mme DW... DM..., Mme EO..., Mme DQ... CI..., Mme DL... Q..., M. CC... R..., Mme L... EC..., M. D... T..., Mme EJ... R..., Mme DF... R..., Mme CA... R..., M. BZ... ED..., Mme CT... DP..., M. CG... DP..., Mme DX... V..., M. DR... W..., M. EL... AY..., Mme AX... CM..., Mme DN... BA..., M. CH... EF..., M. DR... DS..., M. DO... X..., M. E... Y..., M. BJ... CO..., Mme DQ... AA..., le comité social et économique de l'établissement Astérion France de Carquefou, représentés par Me Brand, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Astérion France et/ou en tant que de besoin la somme de 300 euros à verser à chacun d'eux au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Un mémoire a été produit le 3 décembre 2021 pour la société Astérion France, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Par un acte enregistré le 21 septembre 2021, M. BT... AE... a été désigné en tant que représentant unique des défendeurs par Me Brand à la suite de la demande qui lui a été faite en application de l'article R. 751-3 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code du commerce ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Le Goff,
- les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Keraval, avocat de la société Astérion France, et de Me Brand, avocat de M. AE... et autres.
Considérant ce qui suit :
1. La société Astérion France, créée en 2003, est une société répartie sur six sites, dont le siège social est situé à Noisiel (Seine-et-Marne), qui comptait au 1er septembre 2020 236 salariés. Elle est organisée autour de trois activités : l'activité Facilities Management, qui couvre l'ensemble des prestations de services liées au traitement de documents, courriers et colis réalisées pour le compte d'un client sur son propre site, l'activité éditique, relative aux services d'impression, de mise sous pli et de routage des courriers de gestion, mise en œuvre sur les sites de Noisiel, de Lyon et de Carquefou, et l'activité dématérialisation, relative aux services de numérisation et de capture d'information des documents entrants d'une entreprise, réalisée sur les sites de Noisiel, de Caen et de Carcassonne. Elle relève du champ d'application de la convention collective des bureaux d'études techniques, des cabinets d'ingénieurs-conseils et des sociétés de conseils du 15 décembre 1987 (convention Syntec). La société Astérion France est l'une des cinq sociétés situées en France du groupe Exela Technologies, dont le siège est à Dallas (Etats-Unis), qui est un fournisseur mondial de solutions de traitement des transactions et de gestion des informations d'entreprise. Les raisons économiques de la réorganisation de la société Astérion France se trouvent dans l'évolution du marché sur lequel elle est positionnée, le net recul de l'utilisation des courriers papiers et la mutation de l'économie vers la digitalisation à la source des documents à l'origine d'une perte de chiffre d'affaires constatée entre 2017 et 2019. La réorganisation porte sur la suppression de 50 postes de travail, dont 11 sur le site de Caen et 39 sur le site de Carquefou et la modification de 46 postes de travail pourvus consistant soit en un changement de lieu de travail, soit un changement de leur rattachement administratif pour les salariés du site Natixis qui se décomposent en 21 postes du site de Caen vers Noisiel, de 2 postes du site de Caen vers Miribel-Les Echets et de 23 postes du site de Carquefou vers Miribel-Les Echets. Ce projet est susceptible d'entraîner le licenciement économique de 96 salariés. Le plan s'accompagne de la fermeture des établissements de Caen et de Carquefou. Le projet de restructuration de la société Astérion France a été annoncé le 22 septembre 2020 au comité social et économique central. Des réunions d'information ont été organisées s'agissant successivement des différents comités sociaux et économiques, le comité social et économique central le 2 octobre, les comités sociaux et économiques d'établissement de Caen, Carcassonne et Noisiel le 6 octobre, de Carquefou le 7 octobre et de Lyon Valbonne le 8 octobre. Le comité social et économique central a désigné le cabinet d'expertise comptable Oscea afin de l'assister durant la procédure d'information et de consultation sur le projet. Une nouvelle réunion d'information a eu lieu avec le comité social et économique central le 21 octobre, avec les comités sociaux et économiques d'établissement de Caen, Carcassonne, Noisiel et Carquefou les 22 et 23 octobre et de Lyon-Valbonne le 16 novembre. Puis une nouvelle réunion a été organisée les 29 octobre et 16 novembre avec les comités sociaux et économiques de Carquefou, Caen, Carcassonne et Noisiel. Il a été ensuite organisée une deuxième réunion d'information avec le comité social et économique central le 27 novembre 2020 et les comités sociaux et économiques d'établissement de Caen, Carcassonne et Noisiel le 30 novembre 2020, de Carquefou le 1er décembre 2020 et de Lyon-Valbonne le 2 décembre 2020, puis une troisième réunion d'information avec le comité social et économique central le 16 décembre 2020 et les comités sociaux et économiques d'établissement de Caen, Carcassonne et Noisiel le 17 décembre 2020 pour chacun d'eux et de Carquefou le 18 décembre 2020 et de Lyon-Valbonne le 21 décembre 2020. Enfin une quatrième réunion d'information a été organisée avec le comité social et économique central le 21 janvier 2021 et les comités sociaux et économiques d'établissement de Caen, Carcassonne et Noisiel le 22 janvier 2021 pour chacun d'eux et de Carquefou et de Lyon-Valbonne le 22 janvier 2021 pour chacun d'eux. Le dossier de demande d'homologation du document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi a été déposé le 29 janvier 2021 et le 18 février 2021 le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) d'Ile-de-France a notifié à la société sa décision explicite d'homologation. Quatre-vingt-six salariés de la société Astérion France et le comité social et économique de Carquefou ont demandé au tribunal administratif de Melun l'annulation de cette décision. Par jugement n° 2103512 du 12 juillet 2021, le tribunal a annulé la décision du 18 février 2021 par laquelle le Direccte d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France. La société Astérion France relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 1233-24-2 du code du travail, relatif aux plans de sauvegarde de l'emploi, dispose que : " L'accord collectif mentionné à l'article L. 1233-24-1 porte sur le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi mentionné aux articles L. 1233-61 à L. 1233-63. / Il peut également porter sur : / (...) 2o La pondération et le périmètre d'application des critères d'ordre des licenciements mentionnés à l'article L. 1233-5 (...) ". Aux termes de l'article L. 1233-24-4 du même code : " A défaut d'accord mentionné à l'article L. 1233-24-1, un document élaboré par l'employeur après la dernière réunion du comité d'entreprise fixe le contenu du plan de sauvegarde de l'emploi et précise les éléments prévus aux 1° à 5° de l'article L. 1233-24-2, dans le cadre des dispositions légales et conventionnelles en vigueur ". Aux termes de l'article L. 1233-57-3 de ce code : " En l'absence d'accord collectif (...), l'autorité administrative homologue le document élaboré par l'employeur mentionné à l'article L. 1233-24-4, après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1o à 5o de l'article L. 1233-24-2 (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que, lorsque les critères d'ordre des licenciements fixés dans un plan de sauvegarde de l'emploi figurent dans un document unilatéral élaboré par l'employeur sur le fondement de l'article L. 1233-24-4, il appartient à l'autorité administrative, saisie de la demande d'homologation de ce document, de vérifier la conformité de ces critères et de leurs règles de pondération aux dispositions législatives et conventionnelles applicables.
4. L'article L. 1233-5 du code du travail prévoit que : " Lorsque l'employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l'absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements, après consultation du comité d'entreprise ou, à défaut, des délégués du personnel. / Ces critères prennent notamment en compte : / 1° Les charges de famille, en particulier celle des parents isolés ; / 2° L'ancienneté de service dans l'établissement ou l'entreprise ; / 3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ; / 4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie. / L'employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l'ensemble des autres critères prévus au présent article. (...) ".
5. Il résulte de la lettre même de ces dispositions qu'en l'absence d'accord collectif ayant prévu d'autres critères, l'employeur qui procède à un licenciement collectif pour motif économique est tenu, pour déterminer l'ordre des licenciements, de prendre en compte l'ensemble des critères qui sont énumérés à l'article L. 1233-5 cité ci-dessus, et notamment le critère des qualités professionnelles mentionné à son 4°. Par suite, en l'absence d'accord collectif ayant fixé les critères d'ordre des licenciements, le document unilatéral de l'employeur fixant le plan de sauvegarde de l'emploi ne saurait légalement omettre l'un de ces critères ou affecter l'un d'entre eux de la même valeur pour tous les salariés, dès lors que l'omission d'un critère dans le plan de sauvegarde de l'emploi a pour effet d'empêcher par avance que ce critère puisse être effectivement pris en compte au stade de la détermination de l'ordre des licenciements. Par conséquent, l'autorité administrative ne peut homologuer un tel document, sauf s'il est établi de manière certaine, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, que, dans la situation particulière de l'entreprise et au vu de l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère en question ne pourra être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.
6. Il ressort des pièces du dossier et il n'est pas contesté que l'entreprise a pris en compte les charges de famille, l'ancienneté de service et la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, mais n'a pas pris en compte le critère lié aux qualités professionnelles par catégorie. Pour ce critère, il a retenu l'attribution forfaitaire d'un point pour chaque salarié. Il a ainsi neutralisé ce critère et soutient que le plan de sauvegarde de l'emploi ne pouvait être établi autrement en l'absence de mise en place d'un système d'évaluation et dans le but de neutraliser tout critère lié à l'appréciation des qualités professionnelles qui serait subjectif. Cependant, si la société requérante fait valoir qu'elle se trouve dans le cas où une entreprise est dans l'impossibilité de mettre en œuvre une modulation envisageable pour le critère d'appréciation des qualités professionnelles, elle n'établit pas de manière certaine que, dès l'élaboration du plan de sauvegarde de l'emploi, elle était dans une situation particulière et qu'au vu de l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour ce critère ne pouvait être matériellement mise en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements.
7. A cet égard, la société requérante n'apporte aucun élément tenant à sa situation et pouvant conduire à regarder celle-ci comme particulière et n'avance aucune information concernant l'ensemble des personnes susceptibles d'être licenciées. Les défendeurs ont produit des entretiens d'évaluation à mi-année, entretiens annuels de performance et de développement individuel ou entretiens annuels de performance qui montrent que l'entreprise n'était pas, par ce moyen déjà, dans l'impossibilité de procéder à une appréciation des qualités professionnelles des salariés. Il ressort également du " Projet de restructuration de la société Astérion France - Analyse d'impact sur la santé, la sécurité et les conditions de travail " du 21 janvier 2021, à la page 19 du document, que la méthodologie utilisée s'est appuyée notamment sur les entretiens annuels. Les défendeurs établissent, par la production de procès-verbaux de réunions du comité social et économique d'établissement de Carquefou, que la société Astérion France informait les instances représentatives du personnel des campagnes annuelles des entretiens annuels d'évaluation. L'absence d'entretiens annuels n'est pas par elle-même de nature à créer pour la société une situation particulière susceptible de faire obstacle à la mise en œuvre du critère des qualités professionnelles pour la détermination de l'ordre des licenciements. Si la société Astérion France fait valoir qu'elle ne disposait pas d'un système d'évaluation appliqué à tous les salariés et susceptible de répondre aux exigences d'objectivité pour la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'emploi, cette circonstance ne crée pas une situation particulière dans laquelle la loi permet à l'employeur, aux conditions qu'elle a fixées, de ne mettre en œuvre lors de la détermination de l'ordre des licenciements aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d'appréciation des qualités professionnelles. Par ailleurs, il appartient à l'employeur de prendre en compte le critère lié aux qualités professionnelles par catégorie et, dès lors, celui-ci ne peut se borner à soutenir qu'il ne disposait pas d'un système d'évaluation professionnelle objectif formalisé de manière régulière et cohérente pour affecter un critère lié aux qualités professionnelles de la même valeur pour tous les salariés.
8. Ainsi que l'a relevé le tribunal, la société ne justifie pas que le document soumis à homologation ne pouvait prévoir la réalisation d'une évaluation objective des qualités professionnelles des salariés concernés par l'organisation d'entretiens individuels ou en ayant recours en tant que de besoin aux entretiens professionnels déjà réalisés. L'absence d'obligation d'évaluer les salariés n'a aucune conséquence sur l'application des critères fixés par l'article L. 1233-5 du code du travail.
9. Il est sans incidence que les élus n'aient pas émis d'observations ou encore aient pu déclarer être favorables aux critères proposés par l'employeur si ceux-ci ne sont pas conformes aux exigences prévues par le code du travail.
10. Dans ces conditions, l'absence de prise en compte du critère des qualités professionnelles par catégorie est établie sans que l'entreprise n'entre dans le cas où, par exception, elle pourrait justifier de l'impossibilité matérielle de mettre en œuvre ce critère lors de la détermination de l'ordre des licenciements.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Astérion France n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé la décision du 18 février 2021 par laquelle le Direccte d'Ile-de-France a homologué le document unilatéral relatif au plan de sauvegarde de l'emploi de la société Astérion France
Sur les frais liés à l'instance :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge des défendeurs qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par la société Astérion France et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Astérion France le versement de la somme de 2 000 euros à Mme DT... et autres au titre de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société Astérion France est rejetée.
Article 2 : La société Astérion France versera à Mme DT... et autres la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Astérion France, à M. AE... et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités.
Délibéré après l'audience publique du 6 décembre 2021, à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président de chambre,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 décembre 2021.
Le président assesseur,
F. HO SI FAT
Le président - rapporteur,
R. LE GOFFLa greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA05100