Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL Lefebvre Petrenko a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droits et pénalités, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés mise à sa charge au titre des exercices clos en 2014 et 2015, et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016.
Par un jugement n° 1916080/2-2 du 14 décembre 2020, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 13 février et 25 juin 2021, la SARL Lefebvre Petrenko, représentée par Me Emilie Dugas, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du Tribunal administratif de Paris du 14 décembre 2020 ;
2°) de prononcer la décharge des impositions litigieuses ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la procédure d'imposition est irrégulière, du fait de l'absence de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ;
- le régime prévu à l'article 297 A est de droit pour les contribuables répondant aux conditions posées par cet article ; aucune condition de forme n'est exigée ;
- la doctrine référencée BOI-TVA-SECT-90-20-20150506 est invocable ;
- la société RP Prague SRO a le statut d'assujetti revendeur et est donc redevable de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge ;
- la société RP Prague SRO n'est pas tenue de faire figurer la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge dont elle est redevable ;
- le nouvel alinéa 2 de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales est applicable rétroactivement aux pénalités fiscales ;
- la doctrine référencée BOI-CF-INF-30-30 confirme l'application de l'article L. 80 A aux pénalités fiscales.
Par un mémoire en défense enregistré le 10 mai 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SARL Lefebvre Petrenko ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 28 juin 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 15 juillet 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Jimenez, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dugas, représentant la SARL Lefebvre Petrenko.
Une note en délibéré, enregistrée le 19 mai 2022, a été présentée pour la SARL Lefebvre Petrenko.
Considérant ce qui suit :
1. La SARL Lefebvre Petrenko, qui a pour activité la vente d'objets d'art, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité qui a porté sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2015, étendue jusqu'au 31 décembre 2016 en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Elle relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des rappels de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés à l'issue de ce contrôle, respectivement au titre de l'année 2012 et de la période du 1er janvier au 31 décembre 2016.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. La société requérante fait grief à l'administration de n'avoir pas donné suite à la demande de saisine de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, exprimée dans sa lettre du 19 septembre 2017 et dans celle du 23 novembre 2017.
3. Aux termes de l'article L. 59 A du livre des procédures fiscales : " I. La commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires intervient lorsque le désaccord porte : 1° Sur le montant du résultat industriel et commercial, non commercial, agricole ou du chiffre d'affaires, déterminé selon un mode réel d'imposition ; 2° Sur les conditions d'application des régimes d'exonération ou d'allégements fiscaux en faveur des entreprises nouvelles, à l'exception de la qualification des dépenses de recherche mentionnées au II de l'article 244 quater B du code général des impôts ; 3° Sur l'application du 1° du 1 de l'article 39 et du d de l'article 111 du même code relatifs aux rémunérations non déductibles pour la détermination du résultat des entreprises industrielles ou commerciales, ou du 5 de l'article 39 du même code relatif aux dépenses que ces mêmes entreprises doivent mentionner sur le relevé prévu à l'article 54 quater du même code ; 4° Sur la valeur vénale des immeubles, des fonds de commerce, des parts d'intérêts, des actions ou des parts de sociétés immobilières servant de base à la taxe sur la valeur ajoutée, en application du 6° et du 1 du 7° de l'article 257 du même code. II. Dans les domaines mentionnés au I, la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires peut, sans trancher une question de droit, se prononcer sur les faits susceptibles d'être pris en compte pour l'examen de cette question de droit. Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, la commission peut se prononcer sur le caractère anormal d'un acte de gestion, sur le principe et le montant des amortissements et des provisions ainsi que sur le caractère de charges déductibles des travaux immobiliers ".
4. Il résulte de ces dispositions que la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires n'est compétente que lorsque le désaccord porte sur le montant du chiffre d'affaires hors taxe déterminé selon un mode réel d'imposition. En outre, elle n'est compétente que pour connaître des questions de fait, qu'il s'agisse de la matérialité des faits eux-mêmes ou de l'appréciation qu'il convient de porter sur les faits, eu égard, notamment, à la situation réelle de l'entreprise ou aux pratiques du commerce ou de l'industrie auxquelles celle-ci appartient.
5. Il résulte de l'instruction que le différend qui oppose la SARL Lefebvre Petrenko à l'administration fiscale est relatif à l'éligibilité au régime de taxation sur la marge, prévu par l'article 297 A du code général des impôts, des opérations de revente d'objets d'art qu'elle avait elle-même acquis auprès de fournisseurs communautaires et ne porte pas sur le montant de son chiffre d'affaires taxable. Cette question a trait au principe même de taxation sur la valeur ajoutée et n'entre ainsi pas dans le champ de compétence de la commission tel que défini au I de l'article L. 59 A précité du livre des procédures fiscales. Par suite, et alors même que l'examen de cette question pouvait nécessiter l'appréciation de situations de fait, la commission n'était pas compétente pour en connaître. La société requérante n'est dès lors pas fondée à soutenir qu'en ne saisissant pas la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, l'administration fiscale l'aurait irrégulièrement privée d'une garantie procédurale.
Sur le bien-fondé des impositions :
6. Aux termes de l'article 297 A du code général des impôts : " I. 1° La base d'imposition des livraisons par un assujetti revendeur de biens d'occasion, d'œuvres d'art, d'objets de collection ou d'antiquité qui lui ont été livrés par un non redevable de la taxe sur la valeur ajoutée ou par une personne qui n'est pas autorisée à facturer la taxe sur la valeur ajoutée au titre de cette livraison est constituée de la différence entre le prix de vente et le prix d'achat (...) ". Aux termes de l'article 289 du même code : " (...) II. - Un décret en Conseil d'Etat fixe les mentions obligatoires qui doivent figurer sur la facture. Ce décret détermine notamment (...) les données (...) relatives à la détermination de la taxe sur la valeur ajoutée. (...) ". Aux termes de l'article 242 nonies A de l'annexe II au même code : " I.- Les mentions obligatoires qui doivent figurer sur les factures en application du II de l'article 289 du code général des impôts sont les suivantes : (...) 12° En cas d'exonération, la référence à la disposition pertinente du code général des impôts ou à la disposition correspondante de la directive 2006/112/ CE du Conseil du 28 novembre 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée ou à toute autre mention indiquant que l'opération bénéficie d'une mesure d'exonération (...) 16° En cas d'application du régime prévu par l'article 297 A du code précité, la mention "Régime particulier-Biens d'occasion", "Régime particulier-Objets d'art" ou "Régime particulier-Objets de collection et d'antiquité" selon l'opération considérée (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'une entreprise française assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée a la qualité d'assujetti revendeur et peut appliquer le régime de taxation sur marge, prévu par l'article 297 A du code général des impôts, lorsqu'elle revend un bien d'occasion acquis auprès d'un fournisseur, situé dans un autre Etat membre, qui, en sa qualité d'assujetti revendeur, lui a délivré une facture conforme aux dispositions précitées de l'article 242 nonies A du code général des impôts, et dont le fournisseur a aussi cette qualité ou n'est pas assujetti à la taxe sur la valeur ajoutée.
7. Il résulte de l'instruction que la société requérante, dans le cadre de son activité de vente d'objets d'art, a mentionné sur ses déclarations de taxe sur la valeur ajoutée le seul montant des commissions qu'elle perçoit de la part de la société tchèque RP Prague SRO au titre de la vente d'œuvres d'art, objets de collection ou antiquités à des personnes résidant en France, et a procédé au calcul de la taxe sur la valeur ajoutée sur la marge dégagée lors de ces transactions. Toutefois, les objets d'art ainsi vendus ont été livrés par la société tchèque RP Prague SRO, qui est assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée et qui, de ce fait, n'entre ni dans la catégorie des non redevables de la taxe sur la valeur ajoutée, ni dans celle des entités non autorisées à facturer la taxe sur la valeur ajoutée. Si la société requérante fait valoir que la société tchèque a elle-même la qualité d'assujetti revendeur de biens d'occasion, il résulte en tout état de cause de l'instruction que les factures émises par cette société ne comportent pas les mentions obligatoires exigées par le 16° du I de l'article 242 nonies A précité, pris conformément aux dispositions précitées de l'article 289 du code, qui habilitait le pouvoir réglementaire à déterminer les mentions obligatoires devant figurer sur la facture. Contrairement à ce qui est soutenu, l'absence de ces mentions obligatoires fait obstacle à l'application du régime dont se prévaut la société requérante, les dispositions de l'article 1737 II du code général des impôts qui prévoient l'application d'amendes en cas d'omission ou d'inexactitudes affectant les factures étant sans portée à cet égard. C'est donc à bon droit que l'administration a appliqué à la société requérante le régime de droit commun tel qu'il résulte des dispositions du I de l'article 256 bis du code général des impôts, et a procédé à des rappels de taxe sur la valeur ajoutée en calculant la taxe sur le prix de vente total. L'instruction administrative référencée BOI-TVA-SECT-90-20-20150506 n°170 ne fait pas de la loi fiscale une interprétation différente de celle qui précède et ne peut par suite être valablement invoquée sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur les pénalités :
8. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales dans sa rédaction invoquée : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration./ Il en est de même lorsque, dans le cadre d'un examen ou d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de la situation fiscale personnelle, et dès lors qu'elle a pu se prononcer en toute connaissance de cause, l'administration a pris position sur les points du contrôle, y compris tacitement par une absence de rectification ". Les dispositions précitées du deuxième alinéa de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales font obstacle à un rehaussement contraire à une prise de position antérieure tacite de l'administration prise dans le cadre d'une vérification de comptabilité ou d'un examen contradictoire de sa situation fiscale personnelle. Ces dispositions, issues de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018, entrée en vigueur le 12 août 2018, sont applicables, conformément à l'article 9, II de la loi, aux prises de position tacites prises lors des contrôles dont les avis sont adressés à compter du 1er janvier 2019. La société requérante ne saurait par suite valablement s'en prévaloir à l'appui de sa contestation du rehaussement en litige, en invoquant les résultats d'une vérification de comptabilité qui s'est déroulée en 2012, qui a porté sur les exercices clos en 2009, 2010 et 2011, et à l'issue de laquelle l'administration fiscale n'a pas remis en cause le régime de taxe sur la valeur ajoutée sur la marge. Le moyen tiré de ce que les dispositions en cause de la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 auraient le caractère de loi pénale plus douce et s'appliqueraient aux pénalités sanctionnant des faits intervenus avant son entrée en vigueur ne peut dès lors qu'être écarté. Dès lors que le législateur a lui-même déterminé que la garantie ainsi créée ne concernait que les prises de position tacites adoptées lors des contrôles dont les avis sont adressés à compter du 1er janvier 2019, la société requérante, en l'absence de mémoire distinct comportant une question prioritaire de constitutionnalité, et alors même que les pénalités fiscales entrent dans le champ de la garantie contre les changements de doctrine, ne saurait en tout état de cause valablement soutenir que le principe d'application de la loi fiscale la plus douce lui permettrait de se prévaloir, à l'encontre des pénalités dont elle a fait l'objet, de la prise de position tacite adoptée par l'administration à l'issue du contrôle susmentionné.
9. Il résulte de ce qui précède que la SARL Lefebvre Petrenko n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la SARL Lefebvre Petrenko est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Lefebvre Petrenko et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 18 mai 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- Mme Bonneau-Mathelot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juin 2022.
Le rapporteur,
F. A...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
J. CHAMPESME
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA00722