Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société La Financière de Rennes a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge, en droit et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices 2013 à 2015.
Par un jugement n° 1911533/1-2 du 16 février 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 14 avril 2021, régularisée le 11 mai suivant, la société La Financière de Rennes, représentée par Me Jean-Pierre Paunovitch et Me Pierre de Pingon, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 16 février 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées devant le tribunal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'administration était tenue d'envoyer également aux SCI River Immo et SCI Saint-Honoré un avis de vérification de comptabilité, sur le fondement de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales et des énonciations du paragraphe 70 de la documentation administrative BOI-CF-IOR-60-30 ;
- les loyer sont normaux ;
- leur prise en charge procède de nécessités professionnelles ;
- la prise en charge de ces loyers permet de réaliser des économies d'échelle ;
- il n'y a par suite pas d'acte anormal de gestion ;
- la prise en charge des dépenses de logement considérées devrait être retenue pour 60% dans l'intérêt de la SARL La Financière de Rennes, au minimum pour 50% ;
- l'erreur de qualification commise par elle étant de bonne foi, aucune distribution de revenu ne peut être constatée ;
- la doctrine référencée BOI-BIC-BASE-40-10 n° 20 est invocable ;
- les gérants de la société n'ont commis aucune faute ;
- l'existence d'une omission ou une insuffisance de déclaration n'a pas été apportée par le service, la bénéficiaire des loyers étant une société de personnes détenue par la partie versante ;
- le service n'apporte pas la preuve que cette omission ou insuffisance ait été délibérée ;
- le paragraphe 30 de la documentation administrative BOI-CF-INF-10-20-20 est invocable.
Par un mémoire en défense enregistré le 1er septembre 2021, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société La Financière de Rennes ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 11 octobre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au
26 octobre 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Prévot, rapporteur public,
- et les observations de Me Paunovitch, représentant la société financière de Rennes.
Considérant ce qui suit :
1. La société La Financière de Rennes, qui exerce une activité de holding de sociétés exploitant des boulangeries, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013, 2014 et 2015. A l'issue de celle-ci, le service a réintégré aux résultats imposables de la société, au titre de ces mêmes exercices, les dépenses afférentes à la location de deux appartements au profit de chacun de ses deux co-gérants, M. A... B... et
M. E... B..., sis respectivement 15, rue du Louvre à Paris 1er et 85, avenue Victor Hugo à Paris 16ème, au motif que ces dépenses, non justifiées par les intérêts de l'exploitation commerciale de la société, avaient été consenties sans contrepartie et dans le seul intérêt des occupants, à l'usage privé desquels ces locaux d'habitation étaient réservés. Le service a par la suite admis 10% de ces loyers en dépenses professionnelles, conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires rendu dans sa séance du 16 mai 2018. Par la présente requête, la société La Financière de Rennes relève appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à la décharge, en droit et en pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie en conséquence au titre des années 2013 à 2015.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 13 du livre des procédures fiscales : " I. - Les agents de l'administration des impôts vérifient sur place, en suivant les règles prévues par le présent livre, la comptabilité des contribuables astreints à tenir et à présenter des documents comptables. (...) ". Aux termes de l'article L. 47 du même livre : " (...) une vérification de comptabilité ou un examen de comptabilité ne peut être engagé sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification ou par l'envoi d'un avis d'examen de comptabilité ". Il résulte de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales qu'une vérification de comptabilité ne peut être engagée sans que le contribuable en ait été informé par l'envoi ou la remise d'un avis de vérification qui doit, notamment, lui indiquer expressément qu'il a la faculté de se faire assister par un conseil de son choix. Cette garantie est de nature à permettre au contribuable d'être présent ou représenté lors des interventions sur place du vérificateur sans qu'il soit besoin, pour ce dernier, de l'informer préalablement de chacune de ces interventions.
3. Il résulte de l'instruction que, par un avis de vérification de comptabilité du 3 octobre 2015, l'administration a informé la société La Financière de Rennes de l'engagement d'une vérification de comptabilité et qu'elle a, dans ce cadre, procédé, pour la période du 1er janvier 2013 au 31 décembre 2015, à la vérification de l'ensemble des déclarations fiscales de cette société, et considéré que la prise en charge, par cette dernière, de la totalité des loyers des appartements situés 15, rue du Louvre (75001) et 85, avenue Victor Hugo (75016) à Paris, loués respectivement par M. A... B... et M. et Mme D... B... dans le cadre de baux conclus avec les SCI River Immo et SCI Saint-Honoré, ne relevait pas d'une gestion commerciale normale. Contrairement à ce qui est soutenu, l'administration ne peut être regardée, ce faisant, comme ayant engagé une vérification de comptabilité des SCI River Immo et Saint-Honoré ou de l'ensemble du groupe dont la société La Financière de Rennes est la société-mère. Par suite, la société requérante ne peut utilement soutenir que la procédure serait irrégulière, faute pour l'administration d'avoir adressé un avis de vérification de comptabilité à la SCI River Immo et à la SCI Saint-Honoré. La société La Financière de Rennes n'est donc pas fondée à soutenir que l'administration a méconnu l'article L. 47 du livre des procédures fiscales. Les énonciations du paragraphe 70 de la documentation administrative BOI-CF-IOR-60-30 sont relatives à la procédure d'imposition et ne sont, par suite, pas invocables sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur le bien-fondé des impositions :
4. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés ". Aux termes de l'article 39 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant, sous réserve des dispositions du 5, notamment : / 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'œuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. (...) ". Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
5. L'administration fiscale a estimé que la prise en charge, par la société La Financière de Rennes, des loyers des habitations principales de ses gérants situées 15, rue du Louvre (75001) et 85, avenue Victor Hugo (75016) à Paris, avait un caractère anormal, au motif que ces dépenses, non justifiées par l'intérêt de l'exploitation commerciale de la société, avaient été consenties sans contrepartie et dans le seul intérêt des occupants, à l'usage privé desquels ces locaux d'habitation étaient réservés.
6. Pour justifier du caractère déductible des charges en litige, la société requérante soutient que la location des appartements était nécessaire à la société afin de permettre à ses gérants et à leurs épouses, salariées du groupe, de contrôler le fonctionnement des boulangeries et d'intervenir rapidement en cas d'urgence, notamment pour assurer d'éventuels remplacements, compte-tenu de l'amplitude horaire exigée par les métiers de la boulangerie. Elle met en avant les missions de surveillance permanente et de contrôle qui lui incombe et indique que le succès du groupe tient en grande partie à la disponibilité et à la proximité des dirigeants vis-à-vis des différents établissements gérés, étant entendu que l'appartement sis 15 rue du Louvre à Paris 1er est situé dans le même immeuble que le bureau de la société, où se trouve un double des clefs de toutes les boulangeries du groupe. Enfin, la société requérante fait valoir que les loyers sont normaux et que la prise en charge de ces loyers permet de réaliser des économies d'échelle par rapport à celle qu'impliquerait la disposition d'un appartement à proximité de chacune des boulangeries du groupe.
7. Elle produit à l'appui de sa requête un tableau récapitulant les interventions des deux co-gérants au cours des trois années en litige, un plan de situation de 23 boulangeries parisiennes du groupe, une convention de prestation de services conclue par elle avec l'une de ses filiales, et trois attestations datées de mars, avril et mai 2017, signées, respectivement, par le président du Syndicat patronal des boulangers-pâtissiers du Grand Paris qui fait état de l'usage consistant à ce que le gérant d'une boulangerie ait son logement à proximité immédiate de l'établissement, par le chef-boulanger de l'une des boulangeries du groupe qui mentionne ses sollicitations régulières des co-gérants, et par un expert-comptable qui relate la tenue de réunions professionnelles régulières à l'appartement sis 15, rue du Louvre à Paris 1er.
8. Il résulte toutefois de l'instruction que les logements en cause sont utilisés par
MM. Karim et Noureddine B... et leur famille dans le cadre d'un usage privé. Les documents supposés établir les opérations d'intervention de MM. B... ont été établis par les intéressés pour les besoins de l'instance et ne font en tout état de cause état que de 60 à 90 interventions par exercice pour l'ensemble des deux co-gérants. MM. B... n'étant pas chargés de l'exploitation quotidienne des boulangeries, la société requérante ne saurait se prévaloir de la circonstance que les boulangers disposent souvent d'un logement à proximité de leur lieu de travail et des économies d'échelle que la prise en charge des loyers en cause permettrait de réaliser pour l'ensemble des boulangeries concernées. La circonstance que la société La Financière de Rennes soit engagée, à l'égard de ses filiales exploitant des boulangeries, à assurer des prestations techniques, de surveillance et de contrôle, ainsi que diverses prestations administratives, ne saurait justifier la prise en charge de plus de 10 % du loyer en cause, alors même que celui-ci serait normal. Les attestations produites, dépourvues de valeur probante, ne sont pas plus de nature à justifier de la déductibilité des charges en litige, au-delà de la proportion de 10% admise par le service, compte-tenu des montants considérés qui s'élèvent, pour ce qui concerne l'appartement sis 15, rue du Louvre à Paris 1er, à 60 000 euros au titre de chacun des trois exercices 2013, 2014 et 2015 et, pour ce qui concerne l'appartement sis 85, avenue Victor Hugo à Paris 16e, à 62 929 euros au titre de l'exercice 2013, 63 586 euros au titre de l'exercice 2014 et 63 870 euros au titre de l'exercice 2015. La société requérante ayant anormalement déduit, ainsi qu'il vient d'être dit, une charge exposée dans l'intérêt de tiers à hauteur de la prise en charge de 90 % de leurs loyers, le rehaussement est justifié à hauteur de ce montant sur le fondement des dispositions précitées du code général des impôts sans que l'intéressée puisse utilement se prévaloir de ce que cet avantage procéderait d'une erreur de qualification de faits commise de bonne foi. La doctrine administrative référencée BOI-BIC-BASE-40-10 n° 20 ne fait pas de la loi fiscale une interprétation différente de ce qui précède et n'est par suite pas invocable sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales.
Sur les pénalités :
9. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / a. 40 % en cas de manquement délibéré ; ".
10. Il résulte de l'instruction que les dirigeants de la société La Financière de Rennes, qui occupaient à titre privé les appartements en cause avec leurs familles, alors que, contrairement à ce qui est soutenu, les besoins professionnels ne justifiaient pas la prise en charge des loyers, en tout état de cause au-delà de 10 %, ne pouvaient ignorer que les dépenses de loyers y afférentes n'étaient pas intégralement déductibles. En procédant à la déduction en litige, la société requérante doit être regardée comme ayant intentionnellement éludé l'impôt correspondant, alors même que les dépenses litigieuses n'ont pas de caractère somptuaire et que c'est la première fois que la société La Financière de Rennes a fait l'objet d'un contrôle de cette nature. Contrairement à ce qui est soutenu, la circonstance que, les SCI propriétaires des appartements étant entièrement possédées par la société requérante et étant imposables selon le régime des sociétés de personnes, les loyers perçus se trouvaient intégrés dans la base des impositions établies au nom de la société La Financière de Rennes, est sans influence sur la minoration du résultat de cette dernière procédant de la déduction indue, à son niveau, des loyers perçus par les SCI. Elle n'est par suite pas fondée à contester les pénalités pour manquement délibéré qui lui ont été appliquées. Le moyen tiré de la méconnaissance des énonciations du paragraphe 30 de la documentation administrative BOI-CF-INF-10-20-20 ne peut qu'être écarté, dès lors qu'elles ne comportent pas une interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il a été fait application.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Financière de Rennes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement de la somme que la société requérante demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la société La Financière de Rennes est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Financière de Rennes et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée au directeur régional des finances publiques d'Ile-de-France et du département de Paris.
Délibéré après l'audience du 9 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- Mme Topin, président assesseur,
- M. Magnard, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 novembre 2022.
Le rapporteur,
F. C...Le président,
I. BROTONS
Le greffier,
A. MOHAMAN YERO
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA02085