Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... E... et Mme A... B... E... ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) à verser la somme de 1 583 202,38 euros à A... B... D... en réparation du préjudice que lui a causé la vaccination par Pandemrix le 3 décembre 2009 et à verser à sa mère, Mme H... D..., la somme de 50 080,60 euros.
Par un jugement n°1507409 du 5 juillet 2021 et une ordonnance n° 1507409 du
9 août 2021 de rectification d'erreur matérielle, le tribunal administratif de Melun a condamné l'ONIAM, d'une part, à verser à Mme A... B... E... la somme de 365 148 euros, une rente de 15 450 euros versée annuellement à compter du jugement sous réserve d'établir qu'elle ne perçoit pas de prestation de compensation du handicap (PCH) ou d'allocation aux adultes handicapés (AAH) et actualisée en fonction des coefficients annuels de revalorisation fixés en application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'une rente de
6 095 euros versée annuellement à compter du jugement pour toute la durée de sa scolarité et sous réserve d'en produire les justificatifs et, d'autre part, à verser à Mme H... E... la somme de 14 589 euros.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 3 septembre 2021, des pièces complémentaires enregistrées le 14 avril 2022 et des mémoires enregistrés les 7 avril 2022, 4 et 11 novembre 2022, l'ONIAM représenté par Me Birot, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par les consorts E... présentée devant le tribunal administratif ;
3°) subsidiairement, de réformer ce jugement en tant qu'il a alloué à Mme A... B... E... une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle et du préjudice scolaire ;
4°) de rejeter les conclusions incidentes de Mmes J....
Il soutient que :
- pour ouvrir droit à une indemnisation par la solidarité nationale, il est indispensable qu'un lien de causalité direct et certain soit établi entre les troubles présentés et la vaccination contre le virus H1N1 ; le législateur n'a pas voulu instaurer une présomption d'imputabilité mais un régime probatoire identique à celui des vaccinations obligatoires ;
- d'une part, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, aucun lien de causalité direct et certain ne peut être retenu entre la vaccination de Mme J... le
3 décembre 2009 et la narcolepsie dont elle est atteinte dès lors que les symptômes sont apparus dix-neuf mois après la vaccination et qu'elle présentait des antécédents médicaux la prédisposant à cette maladie ; en effet, l'ensemble de la communauté scientifique s'accorde sur un délai maximal d'une année entre la vaccination et la survenue des premiers signes de la narcolepsie pour conclure à une imputabilité directe et certaine ; le tribunal a confondu le délai d'apparition des symptômes qui est d'un an et le délai de diagnostic qui est de deux ans ; plusieurs juridictions se sont prononcées en faveur de l'absence de lien de causalité entre la pathologie et la vaccination lorsque les premiers symptômes sont apparus au-delà d'un délai d'un an ;
- d'autre part, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, aucun lien de causalité direct et certain ne peut être retenu entre la vaccination de Mme J... le
3 décembre 2009 et la narcolepsie dont elle est atteinte dès lors et qu'elle présentait des antécédents médicaux la prédisposant à cette maladie ; en effet, elle était décrite comme une longue dormeuse avant la vaccination et était porteuse du HLA (Human leukocyte antigen) qui constitue une prédisposition génétique à la narcolepsie ;
- en tout état de cause, c'est à tort que le tribunal a alloué à Mme B... E... une somme de 200 000 euros au titre de l'incidence professionnelle dès lors que ce préjudice est futur et hypothétique puisque lorsque le tribunal s'est prononcé, l'intéressée était en classe préparatoire pour préparer le concours de première année de médecine et que l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle n'est nullement avérée ;
- c'est également à tort que le tribunal a alloué à Mme B... E... une somme de 20 000 euros au titre du préjudice scolaire dès lors que ses bulletins scolaires démontrent un excellent niveau et qu'il n'est pas établi que sa pathologie ait compliqué sa scolarité ;
- en revanche, la Cour devra confirmer les sommes allouées par le tribunal au titre des autres chefs de préjudice et rejeter toutes les demandes incidentes.
Par un mémoire en défense et d'appel incident, enregistré le 18 octobre 2021, et des mémoires en réplique enregistrés les 2 et 7 novembre 2022, Mme H... E... et Mme A... B... E..., représentées par Me Joseph-Oudin, concluent à titre principal au rejet de la requête et à la réformation du jugement attaqué en ce qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes, et à titre subsidiaire, avant dire droit, à la désignation d'un médecin neurologue spécialisé dans les problématiques du H1N1 afin de réaliser une nouvelle expertise, enfin, à la condamnation de l'ONIAM à leur verser la somme de 2 500 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et aux entiers dépens.
Elles soutiennent que :
- selon la Cour de justice de l'Union européenne, la circonstance que la recherche médicale n'établit pas formellement le lien de causalité entre la vaccination et la survenance de la maladie ne fait pas obstacle à ce que l'imputabilité du produit puisse être établie s'il existe suffisamment d'indices graves, précis et concordants en sa faveur ;
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, le risque de développer une narcolepsie perdure au moins dans les deux ans suivant la vaccination, délai retenu par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) dans ses points d'information du 20 septembre 2012 et
18 septembre 2013, par une étude finlandaise du 18 juin 2014 et par une meta-analyse de 2018 ; ce délai est également celui retenu par les experts désignés par l'ONIAM dans leurs rapports d'expertise dans de nombreux contentieux ; en l'espèce, A... B... a été vaccinée en décembre 2009 et ses premiers symptômes se sont déclarés au cours de l'année 2010 et ont été retranscrits médicalement en juillet 2011 ;
- le délai de constatation médicale des symptômes peut intervenir jusqu'à 25,3 mois après l'apparition des symptômes qui peut, elle-même, apparaître jusqu'à 24 mois après la vaccination ; en l'espèce, c'est en janvier-février 2011 que le docteur I... a constaté l'aggravation des symptômes de A... B... qui a été définitivement diagnostiquée le 13 mars 2012 ;
- le refus de l'ONIAM de reconnaître le lien de causalité entre de la maladie de A... B... et sa vaccination est en contradiction avec la littérature médicale, sa position habituelle et la jurisprudence la plus récente ;
- contrairement à ce que soutient l'ONIAM, il n'existe chez A... B... aucun antécédent d'hypersomnie personnelle ou familiale ; la seule mention de ce qu'elle était une " longue dormeuse " ne constitue pas un tel antécédent ; l'expert désigné par l'ONIAM n'a retenu aucun facteur de susceptibilité connu ; le typage HLA qui correspond à une analyse génétique qui a pour vocation de confirmer le diagnostic de narcolepsie cataplexie, dès lors que 80% des malades disposent de ce typage HLA, ne constitue pas une cause d'apparition de la maladie mais augmente le risque de la développer ; le droit de la victime à obtenir indemnisation de son préjudice ne saurait être réduit en raison d'une prédisposition pathologique ;
- la Cour devra confirmer l'imputabilité au vaccin de la pathologie présentée de A... B..., confirmée à deux reprises par les experts désignés par l'ONIAM ;
- la Cour devra écarter le référentiel d'indemnisation spécifique établi par l'ONIAM ;
- si les appelantes ont perçu l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH) de base du 1er novembre 2012 au 31 octobre 2014 et du 1er octobre 2016 au 30 juin 2020 et le complément d'allocation d'éducation de l'enfant handicapé de catégorie 3 du 1er novembre 2012 au 30 novembre 2012 et du 1er octobre 2016 au 30 juin 2018, représentant un total de 19 284,15 euros d'aides dont 2 570,17 euros avant la consolidation (mars 2014) et 16 713,93 euros après consolidation, A... B... s'est vu refuser le bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) et de la prestation de compensation du handicap (PCH) depuis qu'elle est majeure ; ces aides ont servi à prendre en charge les frais engagés pour la surveillance de l'enfant pendant sa scolarité et non au titre d'une tierce personne substitutive ; l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé n'ayant pas le caractère indemnitaire contrairement à la prestation de compensation du handicap, son montant ne saurait être déduit du montant de son indemnisation pour l'aide par une tierce personne ;
- les besoins d'assistance par tierce personne de A... B... évalués à 3 heures par jour du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014, soit 1 547 jours au taux horaire de 16 euros, devront être indemnisés par une somme de 74 256 euros ; pour l'avenir, les besoins d'assistance par une tierce personne évalués à 2 heures 30 par jour sur une base de 412 jours au taux horaire de
16 euros, soit 16 480 euros annuels, seront indemnisés par une somme totale de 1 107 142,88 euros (indice 67,181 du barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2020) ;
- les besoins d'assistance par une tierce personne scolaire de A... B... évalués à 2 heures par jour du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014, soit 1 547 jours, au taux horaire de 25 euros devront être indemnisés par une somme de 77 350 euros ; pour l'avenir, les besoins d'aide par une tierce personne scolaire évalués à 2 heures 30 par jour jusqu'au 30 juin 2024, date de la fin de ses études supérieures, (soit 3 755 jours) au taux horaire de 25 euros, seront indemnisés par une somme totale de 234 687,50 euros ;
- au titre de l'incidence professionnelle de A... B..., la Cour devra accorder une somme de 100 000 euros ;
- au titre du préjudice scolaire, universitaire ou de formation de A... B..., la Cour devra accorder une somme de 50 000 euros ;
- au titre du déficit fonctionnel temporaire de A... B... du 1er janvier 2010 au
28 mars 2014, soit 1 547 jours, au prix journalier de 30 euros, évalué à 50% par l'expert, la Cour devra accorder une somme de 23 205 euros et au titre de ses sept jours d'hospitalisation, le déficit fonctionnel temporaire au taux de 100 % devra être indemnisé par une somme de
210 euros ;
- au titre du préjudice esthétique temporaire de A... B... évalué à 4 sur une échelle de 7, la Cour devra accorder une somme de 14 000 euros et au titre du préjudice esthétique permanent évalué à 2 sur une échelle de 7, une somme de 4 000 euros ;
- au titre du déficit fonctionnel permanent de A... B... évalué à 45% par l'expert, la Cour devra accorder une somme de 215 325 euros ;
- au titre du préjudice d'agrément de A... B..., la Cour devra accorder une somme de 20 000 euros ;
- au titre du préjudice sexuel de A... B..., la Cour devra accorder une somme de 10 000 euros ;
- au titre du préjudice spécifique d'anxiété de A... B..., la Cour devra accorder une somme de 50 000 euros ;
- au titre des préjudices d'affection, patrimoniaux comprenant le service d'aide à domicile et les frais pour entrer en classe préparatoire de A... B... et extrapatrimoniaux exceptionnels de Véronique B..., la Cour devra accorder les sommes respectives de 20 000 euros, de 10 491,60 euros et de 15 000 euros.
La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie du Val de Marne qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 4 novembre 2009 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H) (2009) ;
- l'arrêté du 13 janvier 2010 relatif à la campagne de vaccination contre le virus de la grippe A (H1N1) 2010 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme F...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- les observations de Me Macicior, représentant l'ONIAM,
- et les observations de Me Joseph-Oudin et de Me Lafon, représentant Mmes E... et B... E....
Une note en délibéré présentée par l'ONIAM a été enregistrée le 18 novembre 2022 ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... E..., née le 26 juin 2000, a reçu le 3 décembre 2009 une injection du vaccin " Pandemrix " dans le cadre d'une campagne de vaccination contre le virus H1N1 organisée par un arrêté du 4 novembre 2009 du ministre de la santé et a été diagnostiquée le 16 février 2012 comme souffrant d'une narcolepsie avec cataplexie. Le
3 octobre 2014, sa mère, Mme H... E..., a saisi l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) d'une demande d'indemnisation des conséquences de cette maladie qu'elle impute à la vaccination reçue par sa fille. Le docteur G..., désigné par l'ONIAM, a rendu son rapport le 27 mai 2015. Le 16 juillet 2015, l'ONIAM a rejeté la demande d'indemnisation de Mme H... E... et de Mme A... B... E.... Par une requête du 16 septembre 2015, ces dernières ont demandé au tribunal administratif de Melun de condamner l'ONIAM à verser la somme de 1 583 202,38 euros à A... B... E... en réparation du préjudice que lui a causé la vaccination par Pandemrix et à verser à sa mère, Mme H... E..., la somme de 50 080,60 euros en réparation de ses préjudices propres. Une procédure de réexamen de leur demande devant l'ONIAM a été introduite le 8 décembre 2017 et les docteurs G... et Gueguen désignés par l'office à des fins d'expertise ont rendu leur rapport le 25 septembre 2019. Par un jugement du 5 juillet 2021 et une ordonnance de rectification d'erreur matérielle du 9 août 2021, le tribunal administratif de Melun a condamné l'ONIAM, d'une part, à verser à Mme A... B... E... la somme de 365 148 euros, une rente de 15 450 euros versée annuellement à compter du jugement sous réserve d'établir qu'elle ne perçoit pas de PCH ou d'AAH et actualisée en fonction des coefficients annuels de revalorisation fixés en application de l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale, ainsi qu'une rente de 6 095 euros versée annuellement à compter du jugement pour toute la durée de sa scolarité et sous réserve d'en produire les justificatifs et, d'autre part, à verser à Mme H... E... la somme de 14 589 euros. L'ONIAM relève appel de ce jugement en demandant à la Cour de rejeter la demande présentée par les consorts E... devant le tribunal administratif et leurs conclusions incidentes présentées devant la Cour, ou subsidiairement, de réformer ce jugement en tant qu'il a alloué à Mme A... B... E... une indemnisation au titre de l'incidence professionnelle et du préjudice scolaire.
Sur la prise en charge par l'ONIAM :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique : " En cas de menace sanitaire grave appelant des mesures d'urgence, notamment en cas de menace d'épidémie, le ministre chargé de la santé peut, par arrêté motivé, prescrire dans l'intérêt de la santé publique toute mesure proportionnée aux risques courus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et de limiter les conséquences des menaces possibles sur la santé de la population ". Aux termes de l'article L. 3131-3 de ce code : " Nonobstant les dispositions de l'article L. 1142-1, les professionnels de santé ne peuvent être tenus pour responsables des dommages résultant de la prescription ou de l'administration d'un médicament en dehors des indications thérapeutiques ou des conditions normales d'utilisation prévues par son autorisation de mise sur le marché ou son autorisation temporaire d'utilisation, ou bien d'un médicament ne faisant l'objet d'aucune de ces autorisations, lorsque leur intervention était rendue nécessaire par l'existence d'une menace sanitaire grave et que la prescription ou l'administration du médicament a été recommandée ou exigée par le ministre chargé de la santé en application des dispositions de l'article L. 3131-1. / (...) ". Enfin, aux termes de l'article L. 3131-4 du même code : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales imputables à des activités de prévention, de diagnostic ou de soins réalisées en application de mesures prises conformément aux articles L. 3131-1 ou L. 3134-1 est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales mentionné à l'article L. 1142-22. (...) ".
3. D'autre part, aux termes de l'article 2 de l'arrêté du 13 janvier 2010 susvisé : " Toute personne vaccinée contre le virus de la grippe A (H1N1) 2009 par un vaccin appartenant aux stocks constitués par l'Etat bénéficie des dispositions de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique. ".
4. Saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire ou effectuée dans le cadre de mesures prescrites en cas de menace d'épidémie, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe. Il lui appartient ensuite, soit, s'il en était ressorti en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations subies par l'intéressé et les symptômes qu'il avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.
5. En premier lieu, l'ONIAM ne conteste pas les motifs du jugement attaqué selon lesquels plusieurs études scientifiques ont permis d'observer une incidence accrue de la narcolepsie, notamment dans sa forme la plus grave accompagnée de cataplexie, dans les pays qui ont eu recours dans le cadre de la campagne de vaccination contre l'épidémie de la grippe aviaire en 2009/2010 au vaccin Pandemrix, vaccin administré à Mme A... B... E.... Par suite, l'office doit être regardé comme ne contestant pas qu'en l'état des connaissances scientifiques en débat devant la cour, il ne peut être exclu que le vaccin Pandemrix puisse être à l'origine de cas de narcolepsie chez les personnes vaccinées par ce moyen.
6. En deuxième lieu, l'ONIAM soutient que contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, aucun lien de causalité direct et certain ne peut être retenu entre la vaccination de Mme J... le 3 décembre 2009 et la narcolepsie dont elle est atteinte dès lors que, d'une part, les symptômes de la maladie sont apparus dix-neuf mois après sa vaccination et que, d'autre part, elle présentait des antécédents médicaux la prédisposant à cette maladie.
7. D'une part, il résulte de l'instruction que les premiers symptômes de la maladie dont est atteinte Mme A... B... E... sont apparus en juillet 2011 comme en atteste, notamment, le courrier du docteur C... du 9 février 2012. Si l'ONIAM soutient qu'un délai de dix-neuf mois entre la vaccination et l'apparition des premiers symptômes est de nature à écarter toute imputabilité de la narcolepsie au vaccin Pandemrix, plusieurs études citées par les appelantes ont admis que le risque de développer une narcolepsie perdure au moins dans les deux années suivant la vaccination, délai retenu par l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) dans ses points d'information du 20 septembre 2012 et 18 septembre 2013, par une étude finlandaise du 18 juin 2014 et par une meta-analyse de 2018. En outre, en l'espèce, les auteurs des deux rapport d'expertise ont admis que dans le cas de Mme A... B... E..., un délai de dix-neuf mois jusqu'à l'apparition des premiers symptômes était compatible avec l'existence d'un lien de causalité entre la vaccination et la maladie.
8. D'autre part, la circonstance que la jeune A... aurait été décrite comme une " longue dormeuse " avant sa vaccination ne permet pas de caractériser un état de santé antérieur révélateur de la maladie et le fait qu'elle soit porteuse du HLA (Human leukocyte antigen), qui constitue une simple prédisposition génétique à la narcolepsie, ne saurait être regardé comme la cause de sa maladie.
9. Il en résulte que l'ONIAM n'établit pas que l'état de santé antérieur, les antécédents de Mme A... B... E... ou une autre cause que sa vaccination par Pandemrix, permettraient d'écarter tout lien de causalité entre cette vaccination et la narcolepsie. En outre, il résulte du rapport d'expertise du 27 mai 2015 que le premier expert a qualifié de " presque certaine " la relation de causalité et du second rapport du 25 septembre 2019 que les experts ont qualifié le lien de causalité de " très vraisemblable ". En conséquence, le lien de causalité entre la vaccination par Pamdemrix et la narcolepsie dont est atteinte Mme A... B... E... doit être regardé comme suffisamment établi et l'ONIAM n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a jugé que les consorts B... E... étaient fondées à demander à l'ONIAM la réparation des préjudices qui résultent de cette maladie.
Sur les préjudices de Mme A... B... E...:
En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux :
Quant à l'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie courante :
10. Les consorts B... E... demandent par la voie de l'appel incident que l'indemnisation des frais d'assistance par une tierce personne de Mme A... B... E... soient portée à la somme de 74 256 euros sur la base de 3 heures par jour, au taux horaire de 16 euros, du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise du 25 septembre 2019, que les besoins d'assistance par une tierce personne pour les besoins de la vie quotidienne de Mme A... B... E..., consistant en l'aide au réveil, à l'assistance dans ses déplacements et dans la gestion de son traitement médicamenteux, ont été évalués à 2 heures 30 par jour. Par suite, sur la base d'un taux horaire de 18 euros, ces frais doivent être indemnisés pour la période du 1er juillet 2011, date de l'apparition des premiers symptômes ainsi qu'il a été dit au point 7, jusqu'à la date du présent arrêt, soit 4 155 jours, par une somme de 186 975 euros.
11. En vertu des principes qui régissent l'indemnisation par une personne publique des victimes d'un dommage dont elle doit répondre, il y a lieu de déduire de l'indemnisation allouée à la victime d'un dommage corporel au titre des frais d'assistance par une tierce personne le montant des prestations dont elle bénéficie par ailleurs et qui ont pour objet la prise en charge de tels frais. Il en est ainsi alors même que les dispositions en vigueur n'ouvrent pas à l'organisme qui sert ces prestations un recours subrogatoire contre l'auteur du dommage. La déduction n'a toutefois pas lieu d'être lorsqu'une disposition particulière permet à l'organisme qui a versé la prestation d'en réclamer le remboursement au bénéficiaire s'il revient à meilleure fortune. Ces règles ne trouvent à s'appliquer que dans la mesure requise pour éviter une double indemnisation de la victime.
12. D'une part, qu'aux termes de l'article L. 541-1 du code de la sécurité sociale : " Toute personne qui assume la charge d'un enfant handicapé a droit à une allocation d'éducation de l'enfant handicapé, si l'incapacité permanente de l'enfant est au moins égale à un taux déterminé. Un complément d'allocation est accordé pour l'enfant atteint d'un handicap dont la nature ou la gravité exige des dépenses particulièrement coûteuses ou nécessite le recours fréquent à l'aide d'une tierce personne. Son montant varie suivant l'importance des dépenses supplémentaires engagées ou la permanence de l'aide nécessaire. (...)". Il résulte de ces dispositions que l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé est destinée à compenser les frais de toute nature liés au handicap et qu'elle peut faire l'objet d'un complément lorsque ces frais sont particulièrement élevés ou que l'état de l'enfant nécessite l'assistance fréquente d'une tierce personne. Elle est donc accordée en fonction des besoins individualisés de l'intéressé.
13. D'autre part, aucune disposition législative ou réglementaire ne prévoit la récupération de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé en cas de retour de son bénéficiaire à meilleure fortune.
14. Il suit de là que, contrairement à ce que soutiennent les consorts B... E..., le montant de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé peut être déduit d'une rente ou indemnité allouée au titre de l'assistance par tierce personne. Il convient dès lors de déduire de somme de 186 975 euros le montant des sommes perçues durant la période en cause au titre de l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé, soit 19 284 euros.
15. Il en résulte que l'indemnisation des frais d'assistance par une tierce personne de Mme A... B... E... pour la période du 1er juillet 2011 jusqu'à la date du présent arrêt, s'élève à la somme de 167 691 euros.
Quant à l'assistance par une tierce personne pour l'avenir :
16. Les consorts B... E... soutiennent que pour l'avenir, les besoins d'assistance par une tierce personne de Mme A... B... E... de 2 heures 30 par jour, doivent être indemnisés sur une base de 412 jours et au taux horaire de 16 euros, soit 16 480 euros annuels, par une somme capitalisée totale de 1 107 142,88 euros.
17. Toutefois, eu égard à l'importance des sommes en jeu et à l'âge de la victime, il y a lieu de décider que la réparation de ce chef de préjudice doit prendre la forme d'une rente, ainsi que l'a fait à bon droit le tribunal. Eu égard à ce qui précède, il y a lieu d'allouer sur la base d'un besoin estimé par les experts à 2 h 30 par jour et sur la base d'un taux horaire de 18 euros et de 412 jours pour tenir compte des congés annuels, une rente annuelle de 18 540 euros. Cette rente sera versée sous déduction, le cas échéant, de la prestation de compensation du handicap et des aides de même nature perçues, qu'il appartiendra à l'intéressée de porter à la connaissance de l'ONIAM, et sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
Quant à l'assistance par une tierce personne pour la vie scolaire :
18. Si les consorts B... E... soutiennent que les besoins d'assistance par une tierce personne scolaire de Mme A... B... E... évalués à 2 heures par jour du 1er janvier 2010 au 28 mars 2014, soit 1 547 jours, au taux horaire de 25 euros, devront être indemnisés par une somme de 77 350 euros, elles se bornent à produit des factures d'aide scolaire à domicile pour les années 2016 et 2018 pour un montant total de 3 979 euros ainsi qu'une facture d'un stage de physique-chimie pendant sa seconde générale en 2018 d'un montant de 610 euros et n'établissent pas que Mme A... B... E... aurait eu recours à une assistance scolaire spécialisée en dehors de ces prestations. Par suite, il y a lieu de limiter l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme de 4 589 euros et de réformer sur ce point le jugement attaqué.
19. Pour la période postérieure à la date de l'arrêt, l'aide scolaire spécialisée dont Mme A... B... E... aurait besoin jusqu'à la fin de ses études selon les experts, sera remboursée par l'ONIAM sur justificatifs, dans la limite de 2 heures par jour, cinq jours par semaine en dehors des périodes de vacances scolaires, au taux horaire maximum de 25 euros pour une aide spécialisée et sous réserve de justifier également de la poursuite de sa scolarité.
Quant au préjudice scolaire, universitaire et de formation :
20. Les consorts B... E... soutiennent que la Cour devra accorder une somme de 50 000 euros au titre du préjudice scolaire, universitaire ou de formation de Mme A... B... E.... L'ONIAM soutient que c'est à tort que le tribunal a alloué à Mme B... E... une somme de 20 000 euros au titre du préjudice scolaire dès lors que ses bulletins scolaires démontrent un excellent niveau et qu'il n'est pas établi que sa pathologie ait compliqué sa scolarité. Toutefois, si Mme A... B... E... a réussi tout au long de sa scolarité à maintenir de bons résultats scolaires sans redoublement et est aujourd'hui engagée dans des études supérieures de médecine, sa maladie la rendant très fatigable et entraînant des troubles de la concentration, ses résultats ont été acquis au prix de grands efforts. Par suite, il y a lieu de confirmer la juste appréciation de ce chef de préjudice par le tribunal en lui allouant la somme totale de 20 000 euros.
Quant à l'incidence professionnelle :
21. Les consorts B... E... soutiennent que la Cour devra accorder une somme de 100 000 euros au titre de l'incidence professionnelle de la maladie de Mme A... B... E.... L'ONIAM conteste l'existence d'un tel préjudice dès lors que, selon lui, il est futur et hypothétique et que l'impossibilité d'exercer une activité professionnelle n'est nullement avérée. Il résulte toutefois de l'instruction que la narcolepsie dont souffre Mme A... B... E... a pour conséquence de restreindre les choix d'emplois qui s'offrent à elle, d'occasionner une pénibilité du travail quel que soit l'emploi occupé en raison de sa grande fatigabilité, et par conséquent, d'entraîner pour elle une perte d'employabilité sur le marché du travail et de perspectives d'évolution professionnelle. Il sera fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en lui allouant au titre l'indemnisation de l'incidence professionnelle une somme de 50 000 euros.
En ce qui concerne les préjudices extrapatrimoniaux :
Quant au déficit fonctionnel temporaire :
22. Il résulte de l'instruction et notamment du premier rapport d'expertise, que
Mme A... B... E... a subi d'une part, un déficit fonctionnel temporaire total durant six jours d'hospitalisation (les 16 mai, 26 et 27 juillet 2012 et du 28 au 31 mars 2014) qu'il y a lieu d'indemniser par une somme de 102 euros et d'autre part, un déficit fonctionnel temporaire partiel évalué à 50% du 1er juillet 2011 jusqu'à sa date de consolidation le 28 mars 2014 (1 362 jours) qui sera réparé par une somme de 11 577 euros, soit un total de 11 679 euros.
Quant au déficit fonctionnel permanent :
23. Il résulte de l'instruction que Mme A... B... E... subit un déficit fonctionnel permanent que les deux expertises ont évalué à 45% et qui n'est pas contesté par l'ONIAM. Compte-tenu de son âge à la date de consolidation, il y a lieu de confirmer l'indemnisation de 152 000 euros allouée à ce titre par le tribunal.
Quant aux souffrances endurées :
24. Les deux rapports d'expertise ont évalué à 4 sur une échelle de 1 à 7 les souffrances endurées par Mme A... B... E.... Il y a lieu, compte tenu des conséquences tant physiques que morales de sa maladie et pour tenir compte de l'anxiété qu'elle génère pour l'avenir, de confirmer l'indemnisation non contestée de ce chef de préjudice allouée par le tribunal à hauteur de 10 000 euros.
Quant au préjudice esthétique :
25. Il résulte des deux expertises qu'elles ont évalué à 4/7 le préjudice esthétique temporaire et à 2/7 le préjudice esthétique permanent de Mme A... B... E.... Il y a lieu d'allouer pour l'indemnisation de ces chefs de préjudice la somme totale de 7 000 euros.
Quant au préjudice d'agrément :
26. Il n'est pas contesté que Mme A... B... E... a dû cesser ses pratiques sportives (équitation, natation, ski) et que ses loisirs et sa vie sociale sont limités du fait des effets de sa maladie. Il y a lieu en conséquence de confirmer l'indemnisation non contestée par l'ONIAM de 8 000 euros allouée à ce titre par le tribunal.
Quant au préjudice sexuel :
27. Il résulte de l'instruction qu'il y a lieu de confirmer l'indemnisation non contestée par l'ONIAM de 5 000 euros allouée par le tribunal à Mme A... B... E... au titre de son préjudice sexuel.
Quant au préjudice d'établissement :
28. Les consorts B... E... ne contestent pas le rejet opposé par le tribunal à la demande indemnitaire présentée au titre du préjudice d'établissement.
Quant au préjudice d'anxiété :
29. Ainsi que l'a jugé le tribunal, si la narcolepsie est une maladie chronique sans traitement curateur à ce jour et est source d'anxiété pour les malades. Toutefois, cette anxiété n'est pas exceptionnelle et elle est prise en compte dans l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent et des souffrances morales endurées. Il y a lieu de rejeter la demande présentée à ce titre
Sur les préjudices de Mme H... E..., mère de Mme A... B...
E... :
S'agissant des frais divers :
30. En premier lieu, si Mme H... E... demande l'indemnisation de ses préjudices patrimoniaux comprenant le service d'aide à domicile et les frais pour entrer en classe préparatoire de Mme A... B..., ces dépenses sont indemnisées au point 18 relatif à l'indemnisation du préjudice scolaire de sa fille.
31. En second lieu, Mme H... E... subit du fait de la maladie de sa fille et de l'inquiétude constante qu'elle nourrit à son égard, un préjudice d'affection et un bouleversement dans ses conditions d'existence qu'il y a lieu de réparer en portant le montant alloué à ce titre par le tribunal à la somme de 20 000 euros.
Sur les frais liés à l'instance :
32. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'ONIAM au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de l'ONIAM est rejetée.
Article 2 : La somme que l'ONIAM devra verser à Mme A... B... E... en réparation de ses préjudices est portée à 435 391 euros.
Article 3 : L'ONIAM versera à Mme A... B... E... en réparation de ses besoins d'assistance par une tierce personne une rente annuelle de 18 540 euros sous déduction, le cas échéant, de la prestation de compensation du handicap et des aides de même nature, perçues et qu'il appartiendra à l'intéressée de porter à la connaissance de l'ONIAM, rente qui sera revalorisée par application des coefficients prévus à l'article L. 434-17 du code de la sécurité sociale.
Article 4 : L'ONIAM remboursera sur justificatifs à Mme A... B... E... ses frais d'aide scolaire, dans la limite de 2 heures par jour, cinq jours par semaine en dehors des périodes de vacances scolaires, au taux horaire maximum de 25 euros et sous réserve de justifier également de la poursuite de sa scolarité.
Article 5 : La somme que l'ONIAM est condamné à verser à Mme H... B... E... en réparation de ses préjudices est portée à 20 000 euros.
Article 6 : Le jugement n° 1507409 du 5 juillet 2021 et l'ordonnance n° 1507409 du 9 août 2021 du tribunal administratif de Melun sont réformés en ce qu'ils ont de contraire au présent arrêt.
Article 7 : Le surplus des conclusions incidentes des consorts B... E... est rejeté.
Article 8 : Le présent arrêt sera notifié à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (ONIAM), à Mme H... E..., à Mme A... B... E... et à la Caisse primaire d'assurance maladie du Val-de-Marne.
Délibéré après l'audience du 15 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente assesseure,
- Mme Gaëlle Dégardin, première conseillère.
Lu en audience publique, le 16 décembre 2022.
La rapporteure,
M. JULLIARDLe président,
I. LUBEN
La greffière
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04943 2