Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société Simone - Teinturerie de luxe a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler la décision du 5 juin 2020 par laquelle le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a mis à sa charge une amende d'un montant de 34 400 euros.
Par un jugement n° 2011894/3-1 du 17 décembre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires enregistrés les 1er février 2022, 11 octobre 2022 et 14 novembre 2022, la société Simone - Teinturerie de luxe, représentée par Me Benillouche, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Paris du 17 décembre 2021 ;
2°) d'annuler la décision du 5 juin 2020 lui infligeant une amende administrative ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 4 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la décision attaquée n'était pas entachée d'incompétence ; la délégation de signature dont bénéficie le signataire de la décision litigieuse ne couvre pas son champ matériel ;
- la décision attaquée n'est pas suffisamment motivée ; elle méconnaît les dispositions de l'article R. 8115-2 du code du travail dès lors que le montant de l'amende encourue ne lui a pas été préalablement indiqué de manière précise ; cette imprécision ne lui a pas permis de faire valoir utilement ses observations préalables et l'a privée d'une garantie ;
- l'administration a commis une erreur de droit au regard des dispositions de l'article R. 4228-11 alinéa 2 du code du travail, s'agissant de l'aménagement des cabinets d'aisance ;
- les manquements reprochés ne sont pas matériellement établis ;
- le montant de l'amende est disproportionné dès lors qu'il ne tient pas compte de ses particularités, de sa bonne foi, de la coopération dont elle a fait preuve après la première visite de contrôle, de sa situation financière et de la nature des griefs.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 octobre 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
La clôture de l'instruction a été fixée au 16 novembre 2022.
Vu :
- le code du travail,
- le code des relations entre le public et l'administration,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Pena, rapporteure publique,
- et les observations de Me Librati, représentant la société Simone - Teinturerie de luxe.
Considérant ce qui suit :
1. La société Simone - Teinturerie de luxe exploite une blanchisserie-teinturerie à Paris et a fait l'objet, le 6 mai 2019, d'un contrôle des services de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) d'Île-de-France. L'inspecteur du travail a alors relevé plusieurs manquements en matière d'hygiène des locaux de restauration, des vestiaires et des cabinets d'aisance ; par un courrier du
7 mai 2019, il a mis en demeure la société d'y remédier sous huit jours. Un nouveau contrôle a eu lieu le 27 mai 2019, au cours duquel des manquements persistants ont été constatés. Par courrier du 12 août 2019, l'administration a informé la société requérante de son intention de lui infliger une amende, l'a invitée à présenter ses observations et l'a informée de la possibilité d'obtenir communication du dossier. La société Simone - Teinturerie de luxe a fait valoir ses observations par un courrier du 21 août 2019. Par une décision du 5 juin 2020, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi d'Île-de-France a prononcé à son encontre une amende de 34 400 euros. Elle demande à la cour d'annuler le jugement attaqué du 17 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Les moyens dirigés par la société requérante contre les motifs retenus par les premiers juges relèvent du bien-fondé du jugement et non de sa régularité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 8115-1 du code du travail : " L'autorité administrative compétente peut, sur rapport de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1, et sous réserve de l'absence de poursuites pénales, soit adresser à l'employeur un avertissement, soit prononcer à l'encontre de l'employeur une amende en cas de manquement : / (...) / 5° Aux dispositions prises pour l'application des obligations de l'employeur relatives aux installations sanitaires, à la restauration et à l'hébergement prévues au chapitre VIII du titre II du livre II de la quatrième partie, ainsi qu'aux mesures relatives aux prescriptions techniques de protection durant l'exécution des travaux de bâtiment et génie civil prévues au chapitre IV du titre III du livre V de la même partie pour ce qui concerne l'hygiène et l'hébergement. ".
4. En premier lieu, la décision attaquée du 5 juin 2020 a été signée par Mme C... B..., responsable du pôle Politique du travail à la DIRECCTE d'Île-de-France, qui disposait d'une délégation de signature à cette fin consentie par un arrêté n° 2020-31 du 2 juin 2020 régulièrement publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture de région. Cet arrêté mentionne expressément les décisions de sanction prises en application de l'article L. 8115-1 du code du travail, fondement de la décision litigieuse. Le moyen tiré de l'incompétence de son signataire doit donc être écarté.
5. En deuxième lieu, la décision attaquée vise l'ensemble des dispositions appliquées, notamment les articles L. 8115-1, R. 4228-10, R. 4228-11 et R. 4228-13 du code du travail, indique les manquements constatés lors des visites de contrôle de mai 2019 ainsi que les éléments de la procédure contradictoire préalable. Elle énonce enfin les modalités de calcul du montant de l'amende infligée. Elle est par suite suffisamment motivée.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 8115-2 du code du travail : " Lorsque le directeur régional (...) décide de prononcer une amende administrative, il indique (...) directement à l'employeur, le montant de l'amende envisagée et l'invite à présenter ses observations dans un délai de quinze jours. (...) ".
7. Par un courrier du 12 août 2019, l'administration a informé la société Simone - Teinturerie de luxe des griefs retenus à son encontre, relatifs à la propreté des cabinets d'aisance, à la présence d'odeurs et au défaut de récipients pour garnitures périodiques dans ces mêmes lieux. Ce courrier mentionnait les trois dispositions distinctes du code du travail, les articles R. 4228-10, R. 4228-11 et R. 4228-13, non respectées par l'intéressée. Il indiquait le montant maximal de l'amende susceptible d'être infligée pour chaque manquement, 4 000 euros, et précisait que ce montant s'appliquait pour chaque travailleur concerné. Il l'invitait enfin à faire part de ses éventuelles observations et à lui communiquer les informations relatives à ses ressources et charges afin qu'elles soient prises en compte dans le calcul du montant de l'amende. Les termes de cette lettre, non équivoques, permettaient à la société destinataire de présenter utilement ses observations, ce qu'elle a fait par un courrier du 21 août 2019. Au demeurant, l'amende infligée ayant retenu un montant de 400 euros par manquement et par salarié concerné, inférieur au montant maximal initialement indiqué, la société requérante n'a été privée d'aucune garantie. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure préalable à l'édiction de la décision contestée doit être écarté.
8. En quatrième lieu, aux termes de l'article R. 4228-10 du code du travail : " Il existe au moins un cabinet d'aisance et un urinoir pour vingt hommes et deux cabinets pour vingt femmes. L'effectif pris en compte est le nombre maximal de travailleurs présents simultanément dans l'établissement. Un cabinet au moins comporte un poste d'eau. / Dans les établissements employant un personnel mixte, les cabinets d'aisance sont séparés pour le personnel féminin et masculin. Les cabinets d'aisance réservés aux femmes comportent un récipient pour garnitures périodiques. ". Au terme de l'article R. 4228-11 du même code : " Les cabinets d'aisance ne peuvent communiquer directement avec les locaux fermés dans lesquels les travailleurs sont appelés à séjourner. / Ils sont aménagés de manière à ne dégager aucune odeur. / Ils sont équipés de chasse d'eau et pourvus de papier hygiénique. ". Enfin, aux termes de l'article R. 4228-13 dudit code : " Le sol et les parois des cabinets d'aisance sont en matériaux imperméables permettant un nettoyage efficace. / L'employeur fait procéder au nettoyage et à la désinfection des cabinets d'aisance et des urinoirs au moins une fois par jour. ".
9. Il résulte de l'instruction que le contrôleur du travail ayant procédé le 6 mai 2019 au contrôle des locaux de la société requérante a constaté un état insuffisant de propreté, notamment des cabinets d'aisance, dans lesquels régnait en outre une odeur désagréable d'égout. Il y a également relevé des taches, la présence de traces noires, une lunette de toilettes cassée et a indiqué qu'aucun récipient pour garnitures périodiques n'était mis à disposition dans les cabinets destinés aux femmes. Lors d'un deuxième contrôle effectué le 27 mai 2019, l'agent des services de la DIRECCTE a de nouveau constaté que les locaux sanitaires mis à dispositions des salariés n'étaient pas dans un état satisfaisant de propreté, s'agissant notamment des cabinets d'aisance. Enfin, dans un rapport établi le 17 juin 2019 en application des dispositions de l'article L. 8115-1 du code du travail, le contrôleur du travail a encore évoqué l'état de saleté prononcé des cabinets d'aisance hommes et femmes, les fortes odeurs désagréables qu'ils dégageaient et l'absence de récipient pour garnitures périodiques. La matérialité des faits constatés est établie par ce rapport ainsi que par les courriers adressés à la société requérante les 7 mai 2019 et 3 juin 2019, rédigés en des termes précis. Si la société Simone - Teinturerie de luxe les conteste, elle ne contredit pas la déclaration de l'associé de son dirigeant, présent lors de la première visite, qui a admis que les installations sanitaires étaient nettoyées une fois par semaine et non quotidiennement. Elle indique d'ailleurs n'avoir mis en place un nettoyage quotidien qu'à compter du mois d'août 2019. De même, en ce qui concerne le défaut de récipient pour garnitures périodiques, la société requérante ne remet pas en cause les constats effectués le 6 mai 2019, se bornant à soutenir que les contenants qu'elle installe disparaissent sans cause identifiée et qu'elle procède à leur remplacement, produisant à cet effet une seule facture datée du 19 août 2019, postérieure aux contrôles. Enfin, la présence d'odeurs désagréables est suffisamment établie par la constatation effectuée par le contrôleur du travail, alors qu'aucun appareil ne peut les " mesurer avec précision ", comme l'exige la société requérante, et que les dispositions de l'article R. 4228-11 du code du travail citées au point 8 du présent arrêt impliquent l'efficacité olfactive de l'aménagement des cabinets d'aisance. Dans ces conditions, la société Simone - Teinturerie de luxe n'est pas fondée à soutenir que les faits fondant la sanction, constatés en mai 2019 lors de deux visites de contrôle et rappelés dans le courrier du 12 août 2019, seraient matériellement inexacts. Est sans incidence à cet égard la circonstance que l'état sanitaire des cabinets d'aisance s'est ultérieurement amélioré, comme l'ont constaté les agents de la DIRECCTE le
22 janvier 2020.
10. En dernier lieu, aux termes de l'article L. 8115-3 du code du travail : " Le montant maximal de l'amende est de 4 000 euros et peut être appliqué autant de fois qu'il y a de travailleurs concernés par le manquement. (...) ". Et aux termes de l'article L. 8115-4 de ce code : " Pour déterminer si elle prononce un avertissement ou une amende et, le cas échéant, pour fixer le montant de cette dernière, l'autorité administrative prend en compte les circonstances et la gravité du manquement, le comportement de son auteur, notamment sa bonne foi, ainsi que ses ressources et ses charges. ".
11. Il résulte de l'instruction que l'administration, après avoir sollicité la production des informations relatives aux ressources et aux charges de la société requérante en vue de moduler le montant de la sanction, a pris également en compte les améliorations sanitaires et hygiéniques constatées le 22 janvier 2020 par ses agents. Elle a ainsi calculé le montant de l'amende infligée en retenant la somme de 400 euros par manquement et par salarié concerné, alors que le montant maximal est dix fois supérieur. Par ailleurs, des constatations portant sur les mêmes griefs avaient déjà été effectuées en 2015 dans les locaux de la société requérante. Par suite, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à la nature des manquements sanctionnés, le moyen tiré d'une disproportion de l'amende infligée ne peut qu'être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Simone - Teinturerie de luxe n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2020 lui infligeant une amende administrative d'un montant de 34 400 euros. Ses conclusions à fin d'annulation doivent par suite être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la société Simone - Teinturerie de luxe et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la société Simone - Teinturerie de luxe est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société Simone - Teinturerie de luxe et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Copie en sera adressée au directeur régional et interdépartemental de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités d'Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 15 février 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marianne Julliard, présidente-assesseure,
- Mme Gaëlle Mornet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mars 2023.
La rapporteure,
G. A...Le président,
I. LUBEN
La greffière,
N. DAHMANI
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA00458