Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... E... B... a demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 par lequel le préfet de police a procédé au retrait de sa carte de résident.
Par un jugement n° 2208924/6-3 du 7 juillet 2022, le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté, a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de M. B... dans un délai de deux mois et de le munir, dans cette attente, d'une autorisation provisoire de séjour, a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête de M. B....
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 6 septembre 2022, le préfet de police demande à la Cour :
1°) d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2208924/6-3 du 7 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris.
Il soutient que :
- à titre principal, l'arrêté annulé par le Tribunal administratif de Paris n'est pas entaché d'erreur d'appréciation ;
- à titre subsidiaire, il y a lieu de substituer au motif lié à de multiples condamnations de M. B... celui tiré de la condamnation prononcée le 20 janvier 2016 pour justifier l'existence d'une menace pour l'ordre public ;
- les autres moyens soulevés en première instance par M. B... ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 février 2023, M. B..., représenté par Me Gonidec, demande à la Cour :
1°) de l'admettre provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de rejeter la requête du préfet de police ;
3°) d'annuler l'arrêté du 10 février 2022 du préfet de police ;
4°) d'enjoindre au préfet de police, à titre principal, de lui délivrer une carte de résident ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant ce réexamen une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés et qu'en outre, l'arrêté attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de sa situation familiale.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris du 16 décembre 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code pénal ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. D...,
- et les observations de Me Gonidec, avocate de M. B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 10 février 2022, le préfet de police a procédé au retrait de la carte de résident dont M. B..., ressortissant marocain, né en 1960, était titulaire et qui était valable du 25 mai 2011 au 24 mai 2021. Le préfet de police fait appel du jugement par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé cet arrêté.
Sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
2. Il ressort des pièces du dossier que, postérieurement à l'introduction de la requête, le bureau d'aide juridictionnelle du Tribunal judiciaire de Paris a statué sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle de M. B.... Par suite, sa demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle est devenue sans objet.
Sur le motif d'annulation retenu par le Tribunal :
3. Aux termes de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si un étranger qui ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion en application des articles L. 631-2 ou L. 631-3 est titulaire d'une carte de résident cette dernière peut lui être retirée s'il fait l'objet d'une condamnation définitive sur le fondement des articles 433-3,433-4, des deuxième à quatrième alinéas de l'article 433-5, du deuxième alinéa de l'article 433-5-1 ou de l'article 433-6 du code pénal / Une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " lui est alors délivrée de plein droit ".
4. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des mentions de l'arrêté du 10 février 2022, que pour retirer la carte de résident de M. B..., le préfet de police, après avoir visé les dispositions précitées de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, s'est fondé sur ce que, par un jugement du 20 janvier 2016, le tribunal correctionnel de Créteil a condamné l'intéressé pour avoir commis le 19 janvier 2016 des faits de " violence par une personne en état d'ivresse manifeste sans incapacité (récidive) " ainsi que des faits de " rébellion ", et sur ce que sa présence en France constitue une menace pour l'ordre public eu égard à la nature et au caractère répété de ces infractions. Le Tribunal s'est fondé, pour annuler cet arrêté, sur le motif tiré d'une erreur d'appréciation en ce que la condamnation de M. B..., demeurée isolée, ne saurait caractériser une menace à l'ordre public suffisante pour fonder le retrait de sa carte de résident. Or, si les faits de violence ne se rapportent pas aux délits prévus par le code pénal auquel renvoie l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et alors que, par un motif surabondant, le préfet de police ne pouvait légalement considérer que M. B... constituait une menace pour l'ordre public, les faits de rébellion, dont la condamnation est devenue définitive, se rapportent en revanche au délit prévu par l'article 433-6 du code pénal, et il est constant que M. B... ne peut faire l'objet d'une mesure d'expulsion. Ainsi, le motif tiré de la condamnation pour rébellion était, compte tenu des dispositions précitées de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de nature à justifier à lui seul le retrait de la carte de résident de M. B.... Par suite, le préfet de police est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris s'est fondé, pour annuler l'arrêté du 10 février 2022, sur le motif tiré d'une erreur d'appréciation en ce que la condamnation de M. B..., demeurée isolée, ne saurait caractériser une menace à l'ordre public suffisante pour fonder le retrait de sa carte de résident.
5. Il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris et devant la Cour.
6. En premier lieu, par l'arrêté n° 2021-00991 du 27 septembre 2021, régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial n° 75-2021-505 de la préfecture de Paris le même jour, le préfet de police a donné délégation à Mme C..., attachée d'administration de l'Etat, placée sous la responsabilité de la cheffe du 9ème bureau, pour signer tout arrêtés et décisions dans la limite de ses attributions, en cas d'absence ou d'empêchement des autres délégataires, sans qu'il ressorte des pièces du dossier que ces derniers n'aient pas été absents ou empêchés lorsqu'elle a signé l'arrêté attaqué. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de la signataire de l'arrêté attaqué doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police / (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 de ce code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
8. L'arrêté attaqué, qui vise notamment les dispositions de l'article L. 432-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que, d'ailleurs, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, mentionne de manière précise et circonstanciée les conditions d'entrée et du séjour en France de M. B... ainsi que sa situation personnelle et familiale. L'autorité administrative n'étant pas tenue de préciser tous les éléments de la situation d'un ressortissant étranger, la décision attaquée est motivée au sens des dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le moyen tiré d'un défaut de motivation de cette décision doit être écarté.
9. En troisième lieu, il résulte des motifs de la décision attaquée comme des pièces du dossier que le préfet de police n'a pas entaché l'arrêté attaqué d'un défaut d'examen de la situation de M. B.... Ce moyen doit, dès lors, être écarté.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Il ressort des pièces du dossier qu'avant que son divorce soit prononcé le 21 mai 2012, M. B... s'est rendu coupable de violences conjugales envers son épouse, qu'il a été condamné pour ces faits à trois reprises par le tribunal correctionnel de Paris et qu'il a été incarcéré pour ces mêmes faits. Si M. B... est le père de deux enfants français nés en 2006 et 2008, et alors que le jugement de divorce prévoit que l'autorité parentale lui est retirée et que l'intéressé est dispensé de toute contribution à l'entretien et à l'éducation de ses enfants en raison de son impécuniosité, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... aurait depuis lors exercé effectivement et régulièrement son droit de visite médiatisé auprès de ses enfants. Par ailleurs, M. B... a également été condamné pour menace de mort commise en raison de la race et pour outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique le 7 août 2010, pour rébellion le 20 janvier 2016 et pour usage illicite de stupéfiants le 25 novembre 2019. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé serait dépourvu de toute attache familiale dans son pays d'origine qu'il déclare avoir quitté à l'âge de 30 ans. Dans ces conditions, et alors même que ses trois sœurs vivent en France, l'arrêté attaqué n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris. Par suite, le moyen tiré d'une méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.
12. En dernier lieu, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation familiale de M. B... doit être écarté pour les mêmes motifs que ceux exposés au point précédent.
13. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la demande de substitution de motifs présentée par le préfet de police, que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté attaqué. Par suite, il y a lieu d'annuler les articles 1er, 2 et 3 du jugement attaqué et de rejeter la demande de M. B... présentée devant le Tribunal administratif de Paris.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, soit condamné à verser à Me Gonidec, avocate de M. B..., la somme qu'elle demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande d'admission provisoire à l'aide juridictionnelle de M. B....
Article 2 : Les articles 1er, 2 et 3 du jugement n° 2208924/6-3 du 7 juillet 2022 du Tribunal administratif de Paris sont annulés.
Article 3 : Les conclusions de la demande présentée par M. B... devant le Tribunal administratif de Paris auxquelles il a été fait droit en première instance, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel, sont rejetés.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... E... B....
Copie en sera adressée au préfet de police.
Délibéré après l'audience du 21 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Hamon, présidente,
- M. Desvigne-Repusseau, premier conseiller,
- Mme Jurin, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 avril 2023.
Le rapporteur,
M. D...La présidente,
P. HAMON
La greffière,
C. BUOT
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA04083