Vu la procédure suivante :
Procédures contentieuses antérieures :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler la décision du 5 janvier 2016 par laquelle le directeur du centre hospitalier Léon Binet de Provins a prononcé la suspension à titre conservatoire de ses fonctions de praticien hospitalier et de condamner le centre hospitalier à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision précitée.
Par un jugement n° 1601537 du 28 janvier 2021, le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 29 mars 2021 et le 8 septembre 2022, M. B..., représenté par Me Lacoeuilhe, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1601537 du 28 janvier 2021 du tribunal administratif de Melun ;
2°) d'annuler la décision de suspension à titre conservatoire du 5 janvier 2016 ;
3°) de condamner le centre hospitalier de Provins à lui verser 20 000 euros de dommages et intérêts ;
4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Provins le versement de la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- en n'informant pas le centre national de gestion conformément aux exigences prévues par l'article L. 6143-7 du code de santé publique, le directeur du centre hospitalier a entaché sa décision d'un vice de procédure ;
- la décision attaquée ne pouvait pas être prise pour une durée supérieure à six mois ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard tant de l'atteinte portée à la sécurité des patients que du fonctionnement du service ;
- la mesure lui a causé un préjudice professionnel en le privant d'une partie de ses revenus et en affectant sa carrière, et un préjudice moral, compte tenu de son retentissement personnel et familial ;
- ses préjudices matériel et moral peuvent être évalués à la somme de 20 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 septembre 2021, le centre hospitalier Léon Binet de Provins conclut au rejet de la requête et demande que soit mis à la charge de M. B... le versement de la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par M. B... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de santé publique ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme E...,
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique,
- et les observations de Me Fuchs-Drapier, pour M. B..., et de Me Spitz pour le centre hospitalier Léon Binet de Provins.
Une note en délibéré a été enregistrée le 30 mars 2023 pour le centre hospitalier Léon Binet de Provins.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., cardiologue, a été nommé en qualité de praticien hospitalier, médecin des hôpitaux à compter du 1er juillet 1998, au centre hospitalier Léon Binet de Provins, où il a exercé ses fonctions au sein du service de cardiologie. Par décision du 5 janvier 2016, le directeur du centre hospitalier Léon Binet a prononcé à son encontre, à titre conservatoire, une mesure de suspension de ses fonctions. M. B... relève appel du jugement du 28 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Melun a rejeté sa demande tendant, d'une part, à l'annulation de la décision de suspension du 5 janvier 2016 et, d'autre part, à la condamnation du centre hospitalier Léon Binet à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la mesure en litige.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique : " (...) Le directeur dispose d'un pouvoir de nomination dans l'établissement. (...) Le directeur exerce son autorité sur l'ensemble du personnel dans le respect des règles déontologiques ou professionnelles qui s'imposent aux professions de santé, des responsabilités qui sont les leurs dans l'administration des soins et de l'indépendance professionnelle du praticien dans l'exercice de son art (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article R. 6152-77 du même code : " Dans l'intérêt du service, le praticien qui fait l'objet d'une procédure disciplinaire peut être immédiatement suspendu par le directeur général du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière pour une durée maximale de six mois. (...) ".
3. Il résulte des dispositions précitées que le directeur d'un centre hospitalier, qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut toutefois, dans des circonstances exceptionnelles où sont mises en péril la continuité du service et la sécurité des patients, décider lui aussi de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui ne prévoient la possibilité de suspendre les intéressés par une décision du directeur général du centre national de gestion des praticiens hospitaliers que dans le seul cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire.
4. Pour prononcer à titre conservatoire et en urgence, la mesure de suspension des fonctions de praticien hospitalier à l'encontre de M. B..., le directeur du centre hospitalier Léon Binet s'est fondé, en application de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, sur le motif tiré de ce que le comportement adopté par le médecin le 28 décembre 2015, consistant en une agression physique de la fille d'un patient du service de cardiologie où il exerçait, faisant suite à d'autres incidents, altercations verbales, propos désobligeants et humiliants à l'égard de médecins de l'établissement, de patients et de familles de patients, a eu pour effet de perturber le fonctionnement du service et de porter atteinte à la sécurité des patients.
5. Il ressort des pièces du dossier, et en particulier du rapport interne établi le 31 décembre 2015 par une cadre du pôle médecine, et du rapport de l'agence régionale du santé, qui fait état des témoignages concordants de plusieurs patients et membres du personnel médical ayant assisté à la scène, que M. B... a, le 28 décembre 2015, agressé physiquement et verbalement la fille d'un de ses patients, après que celle-ci a sollicité avec insistance le transfert de son père vers le centre de cardiologie du Nord à Saint-Denis où il était suivi depuis de nombreuses années. Si M. B... soutient que c'est en réalité Mme D... qui l'a agressé, et conteste, en particulier, les témoignages de certains patients eu égard à leur état de santé et aux conditions dans lesquelles ces témoignages ont été recueillis, il n'apporte pas d'élément précis de nature à mettre en cause leurs déclarations, qui ne comportent pas d'ambigüité. Si le témoignage écrit d'un patient est daté de six mois après les faits, il ne constitue que la confirmation des propos qui avaient auparavant été recueillis dans le cadre de l'enquête interne menée juste après la survenance des faits. M. B... ne peut par ailleurs pas utilement se prévaloir, à l'appui de ses affirmations, du silence du patient dont il a agressé la fille, qui n'a pas été témoin direct des faits. Ni les témoignages produits par M. B... et attestant de ses qualités professionnelles et de l'absence de relations conflictuelles, qui émanent de médecins, pour l'essentiel, ainsi que d'infirmières et de surveillantes, qui n'ont pour la quasi-totalité d'entre eux pas travaillé avec lui ou alors avant 2013 au plus tard, ni la circonstance que la personne agressée aurait fait dans ses déclarations de main courante et dans sa lettre au centre hospitalier du 22 janvier 2016, une erreur sur le lieu où s'étaient déroulé les faits dénoncés, et celle que le compte-rendu établi par le psychologue qu'elle a vu le 29 décembre 2015 ne fait pas état de violences physiques, ne suffisent à remettre en cause la matérialité des faits, qui est établie.
6. Toutefois, alors même que les faits en cause sont graves, que le transfert de M. C... dans un autre service du centre hospitalier, en pleine période de fêtes de fin d'année, a pu être été de nature à perturber temporairement le fonctionnement du service, et que les difficultés relationnelles et communicationnelles de M. B... avec les membres du personnel médical et paramédical de l'établissement hospitalier et certains patients, attestées par les pièces du dossier, ont pu entraîner des tensions au sein du service, dans un contexte de sous-effectif et de charge de travail importante, il ne ressort pas des pièces du dossier que la situation résultant de l'incident survenu le 28 décembre 2015 compromettait de manière grave et imminente la continuité du service et faisait courir des risques pour la santé des patients justifiant une suspension en application de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à demander l'annulation de la décision du 5 janvier 2016 par laquelle le directeur du centre hospitalier Léon Binet a décidé de le suspendre de ses activités cliniques et thérapeutiques au sein du centre hospitalier.
Sur les conclusions indemnitaires :
8. En premier lieu, le centre hospitalier Léon Binet soutient qu'à défaut de décision préalable, la demande indemnitaire de M. B..., formulée pour la première fois devant le tribunal administratif, était irrecevable. Toutefois, aucune fin de non-recevoir tirée du défaut de décision préalable ne peut être opposée à un requérant ayant introduit devant le juge administratif un contentieux indemnitaire à une date où il n'avait présenté aucune demande en ce sens devant l'administration lorsqu'il a formé, postérieurement à l'introduction de son recours juridictionnel, une demande auprès de l'administration sur laquelle le silence gardé par celle-ci a fait naître une décision implicite de rejet avant que le juge de première instance ne statue, et ce quelles que soient les conclusions du mémoire en défense de l'administration. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. B... a demandé au centre hospitalier Léon Binet, par lettre du 22 juillet 2016, de lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices matériel et moral qu'il estime avoir subis. Dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le centre hospitalier ne peut qu'être écartée.
9. En second lieu, l'illégalité de la décision du 5 janvier 2016 par laquelle M. B... a été suspendu sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique, est susceptible d'engager la responsabilité du centre hospitalier, pour la période allant du 5 janvier 2016 au 25 avril 2017, date à laquelle il a été suspendu par la directrice générale du Centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière sur le fondement des dispositions de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique.
10. M. B... soutient que si l'intégralité de son salaire de praticien hospitalier lui a été versé, il a été privé de la rémunération liée à l'activité libérale qu'il exerçait au sein de l'établissement, qui représente environ un tiers de ses revenus, ainsi que des primes liées aux gardes.
11. Il ressort des pièces qu'il a produites au dossier, à savoir ses avis d'imposition pour les années 2012 à 2019 et ses fiches de paie de décembre 2017 à février 2018, que, pour la seule année 2016, le total des sommes déclarées comme salaires et comme bénéfices non commerciaux professionnels est inférieur d'environ 22 300 euros à la moyenne de ces même sommes pour les années 2013, 214 et 2015. Par suite il y a lieu de faire droit à la demande de M. B... tendant à la condamnation du centre hospitalier Léon Binet à lui verser la somme de 20 000 euros au titre des préjudices subis à raison de la suspension illégale dont il a fait l'objet du 5 janvier 2016 au 25 avril 2017.
12. Il résulte de ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 28 janvier 2021, le tribunal administratif a rejeté sa demande aux fins d'annulation de la décision de suspension du 5 janvier 2016 et sa demande indemnitaire.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. B..., qui n'a pas la qualité de partie perdante pour l'essentiel, verse au centre hospitalier Léon Binet une somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
14. Par ailleurs, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier Léon Binet le versement à M. B... d'une somme d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601537 du 28 janvier 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La décision du 5 janvier 2016 par laquelle le directeur du centre hospitalier Léon Binet a prononcé à l'encontre de M. B..., à titre conservatoire, une mesure de suspension de ses fonctions sur le fondement de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique est annulée.
Article 3 : Le centre hospitalier Léon Binet versera à M. B... la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subi du fait de sa suspension à titre conservatoire pour la période allant du 5 janvier 2016 au 25 avril 2017.
Article 4 : Le centre hospitalier Léon Binet versera à M. B... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Les conclusions présentées par le centre hospitalier Léon Binet au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au centre hospitalier Léon Binet de Provins.
Délibéré après l'audience du 30 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Aggiouri, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 avril 2023.
La rapporteure,
C. E...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA01650 2