Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler l'arrêté du 17 juin 2019 par lequel le maire de la commune de Lagny-sur-Marne a prononcé une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux mois assortie d'un sursis partiel d'un mois à son encontre.
Par un jugement n° 1907636 du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé cet arrêté.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 23 juillet 2021, et un mémoire en réplique, enregistré le 14 novembre 2022, et qui n'a pas été communiqué, la commune de Lagny-sur-Marne, représentée par la SELARL Bazin et Cazelle Avocats associés, prise en la personne de Me Poput et, en dernier lieu, de Me Bazin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1907636 du 25 mai 2021 du tribunal administratif de Melun ;
2°) de rejeter la demande de Mme A... ;
3°) de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il est insuffisamment motivé, les premiers juges n'ayant pas indiqué, aux points 5 à 8 du jugement, les raisons pour lesquelles ils ont considéré que les reproches retenus à l'encontre de Madame A... ne pouvaient être qualifiés de manquements à son obligation de réserve et à son obligation d'obéissance hiérarchique ;
- les premiers juges ont estimé à tort que le comportement de Mme A... ne constituait pas un manquement à son obligation de réserve professionnelle ;
- tout comme son refus de cesser de verrouiller son bureau pour des raisons de sécurité et de ne plus circuler dans les couloirs munie de grands ciseaux, le refus de Madame A... de se rendre aux réunions ou de répondre aux convocations de sa hiérarchie sous prétexte que la demande ne lui était pas faite de manière formelle et écrite, constituait bien un manquement à l'obligation d'obéissance hiérarchique ;
- la sanction d'exclusion temporaire de fonctions de deux mois assortie d'un sursis partiel d'un mois infligée à Mme A... est proportionnée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juin 2022, Mme A..., représentée par Publica Avocats - AARPI, prise en la personne de Me de Froment, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune de Lagny-sur-Marne la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par la commune de Lagny-sur-Marne n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Gévaudan, substituant Me de Froment, avocat de Mme A....
Une note en délibéré, présentée pour Mme A..., a été enregistrée le 31 mars 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., attachée territoriale, exerce les fonctions de directrice du contrôle de gestion, de la prospective financière et de l'évaluation au sein de la commune de Lagny-sur-Marne depuis le 1er mars 2016. Par un arrêté du 10 avril 2019, le maire de la commune de Lagny-sur-Marne a suspendu à titre conservatoire Mme A... à compter du 10 avril 2019. Par un arrêté du 17 juin 2019, l'intéressée s'est vu infliger la sanction de l'exclusion temporaire des fonctions de deux mois, assortie d'un sursis d'un mois, pour manquement au devoir de réserve, à l'obligation d'obéissance hiérarchique et en raison d'un comportement dangereux et menaçant envers ses collègues. Par un jugement du 25 mai 2021, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 17 juin 2019. La commune de Lagny-sur-Marne relève appel de ce jugement.
Sur l'irrégularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Les premiers juges ont indiqué de manière suffisamment précise, aux points 5 à 8 du jugement, les raisons pour lesquelles ils ont considéré que certains des faits retenus à l'encontre de Madame A... ne pouvaient être qualifiés de manquements à son obligation de réserve et à son obligation d'obéissance hiérarchique. Les critiques formulées par la commune ressortent davantage du bien-fondé du jugement que de sa régularité. Le moyen tiré d'une insuffisance de motivation du jugement ne peut ainsi qu'être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif de Melun :
3. Aux termes de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. / Il n'est dégagé d'aucune des responsabilités qui lui incombent par la responsabilité propre de ses subordonnés ". Aux termes de l'article 89 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes : / (...) Troisième groupe : / l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de seize jours à deux ans ; (...) ".
4. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.
5. Pour annuler l'arrêté en litige, le tribunal administratif de Melun a relevé que si Mme A... avait commis une faute en raison, d'une part, de son refus de cesser de verrouiller son bureau alors même que le directeur général des services de la commune de Lagny-sur-Marne lui avait expressément demandé de ne plus la fermer à clef pour des raisons de sécurité et, d'autre part, de l'adoption d'un comportement anormal, dangereux et menaçant vis-à-vis de ses collègues en circulant dans l'enceinte de la mairie avec des ciseaux à la main, la sanction de suspension temporaire des fonctions pour une durée de deux mois assortie d'un sursis d'un mois était en l'espèce entachée d'une erreur d'appréciation.
6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier, et notamment d'une note du 7 mars 2019 de la directrice des ressources humaines, de plusieurs courriels et courriers d'agents de la commune et d'un compte-rendu d'entretien entre Mme A... et le directeur général des services, daté du 10 avril 2019, que Mme A... a été vue à plusieurs reprises déambulant dans l'enceinte de la mairie munie d'une paire de ciseaux qu'elle sortait de son sac en quittant son bureau et qu'elle a pointé en direction de plusieurs de ces agents, qui ont pris peur. Ces agissements, qui ont perduré en dépit de la demande de la commune et après que l'intéressée a refusé de voir le conseiller de prévention, et qui ont conduit à la suspension de fonctions de Mme A..., le 10 avril 2019, constituent un comportement anormal, menaçant et potentiellement dangereux pour elle ainsi que les autres agents travaillant dans les locaux de la mairie.
7. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... avait pris l'habitude de verrouiller son bureau lorsqu'elle s'y trouvait au motif qu'il était situé dans une zone de passage et qu'elle était dérangée par des usagers. La commune fait valoir qu'elle a continué de le faire en dépit des consignes contraires qui lui ont été données en ce sens par le directeur général des services, notamment dans une note en date du 27 juin 2017, qui n'est pas produite au dossier de l'instance mais dont Mme A... ne conteste pas l'existence ni le contenu, et lui rappelant notamment l'obligation de tout agent de respecter les consignes incendies, après qu'elle a refusé d'évacuer le bâtiment lors d'un exercice avec les pompiers le 15 juin 2017. La production, par Mme A..., de courriels concernant un essai de l'alarme incendie sans évacuation du personnel le 14 mai et le 21 juin 2017 ne suffit pas pour remettre en cause la réalité de cet exercice et du refus d'évacuation. Par ailleurs, ainsi qu'elle le reconnait d'ailleurs elle-même, Mme A... a refusé de donner suite à une demande qui lui a été faite le 17 juin 2018, par téléphone, par le directeur général des services, de se présenter dans son bureau, suite à son absence à une réunion sur la police municipale qui s'était tenue la veille et dont il voulait s'entretenir avec elle quelques minutes, au seul motif qu'elle n'avait pas reçu de convocation écrite. Enfin, le 10 avril 2019, elle a refusé d'aller voir le directeur général qui voulait discuter avec elle des faits mentionnés au point 6 du présent arrêt là encore au motif qu'elle n'avait pas reçu de convocation écrite. Après que le directeur général se fût déplacé dans son bureau, accompagné du conseiller en prévention, elle a refusé de mettre sa version des faits par écrit comme cela lui était demandé. Ces faits constituent des manquements au devoir d'obéissance hiérarchique.
8. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que Mme A... a eu avec certains de ses collègues des échanges dans lesquels elle critique, de façon discourtoise et insistante, les personnes concernées. Ainsi, dans des courriels adressés à la directrice de la réglementation, le 23 mars 2018, dont elle a mis le directeur général des services en copie, elle écrit que " lorsqu'on s'adresse à vous pour une demande précise, c'est toujours compliqué, vous nous empêchez d'avancer sereinement dans notre travail, sans même prendre la peine de nous informer. Je suis sûre et certaine que la prochaine fois que je m'adresserai à vous, ce sera encore le même bazar (...) comme d'habitude vous m'avez répondu tout un ''schmilblick'', et évidement cela n'a pas été fait (...) tout cela pour vous dédouaner (...) c'est juste que lorsque vous répondez à l'une de mes demandes, c'est toujours pour m'écrire qu'en fait vous ne pouvez pas y répondre (...) ", remettant ainsi en cause les compétences professionnelles de sa collègue. Cette dernière avait déjà attesté, dans une note remise au directeur général des services, avoir reçu, le 27 juin 2017, un appel téléphonique de Mme A... au cours duquel celle-ci a fait preuve d'une " attitude déplacée et accusatrice à son égard ". De la même façon, il ressort d'un échange de courriel avec la directrice des ressources humaines, le 23 juin 2018, que Mme A..., qui souhaitait pouvoir modifier ou supprimer elle-même son compte formation CNFPT, a répondu à la suggestion qui lui était faite de se déplacer dans le bureau du collègue qui pourrait effectuer les démarches nécessaires pour elle ou avec elle, en renvoyant son courriel précédent. Elle a par ailleurs indiqué qu'elle contestait la possibilité pour les agents concernés, qui bénéficient pourtant d'une autorisation pour ce faire, dans le cadre de leurs fonctions, d'avoir accès à certaines données personnelles des agents de la commune, comme l'adresse mail et le numéro de téléphone, et indiqué qu'elle saisissait la CNIL, mettant ainsi en cause non seulement leurs compétences mais également leur probité. Enfin, il ressort d'un courriel du 14 mars 2019 adressé à la directrice des ressources humaines que Mme A... a transmis elle-même un bon de commande pour suivre une formation, en lieu et place du service et de la personne en charge de cette transmission, estimant que cela n'allait pas assez vite. Ces différents propos et critiques, parfois dissimulée sous de l'ironie, constituent, contrairement à ce qui a été jugé par le tribunal, un manquement à l'obligation qui est la sienne, en tant que fonctionnaire et eu égard à son niveau hiérarchique, de faire preuve de réserve et de retenue dans son expression et dans ses relations avec ses collègues.
9. L'ensemble de ces faits constituent des fautes de nature à justifier une sanction disciplinaire.
10. Compte tenu de la nature de ces faits et eu égard aux responsabilités de Mme A..., et alors même que sa manière de servir aurait donné satisfaction et qu'aucune sanction disciplinaire ne lui aurait été infligée auparavant, la commune de Lagny n'a pas pris une sanction disproportionnée en lui infligeant, au regard du pouvoir d'appréciation dont elle disposait, une sanction du troisième groupe d'exclusion temporaire de fonctions de deux mois, dont un mois avec sursis.
11. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur les moyens tirés de l'absence de caractère fautif de certains des faits reprochés à Mme A... et du caractère disproportionné de la sanction prononcée à son encontre pour annuler l'arrêté du 17 juin 2019 par lequel le maire de la commune de Lagny-sur-Marne a prononcé une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux mois assortie d'un sursis partiel d'un mois à son encontre.
12. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... devant le tribunal administratif de Melun.
Sur les autres moyens de la demande de Mme A... :
13. En premier lieu, aux termes des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration, les mesures qui infligent une sanction doivent être motivées et " comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ". L'article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires prévoit que la décision prononçant une sanction disciplinaire doit être motivée. Ces dispositions imposent à l'autorité qui prononce la sanction de préciser elle-même, dans sa décision, les griefs qu'elle entend retenir à l'encontre de l'agent concerné, de telle sorte que ce dernier puisse, à la seule lecture de cette décision, connaître les motifs de la sanction qui le frappe.
14. En l'espèce, l'arrêté en litige, qui vise les dispositions légales et réglementaires applicables, énonce les griefs retenus à l'encontre Mme A..., en précisant qu'il lui est reproché d'avoir eu à plusieurs reprises, et notamment le 10 avril 2019, un comportement dangereux et menaçant envers des collègues, accompagné d'un refus d'obéissance hiérarchique et d'un manque de réserve professionnelle. Ces mentions sont suffisantes pour lui permettre de déterminer sans ambiguïté les faits que l'autorité disciplinaire entend lui reprocher, alors même que les dates précises de ces faits ou le détail de chacun de ces griefs ne sont pas mentionnés. Contrairement à ce que soutient la requérante, la qualification ainsi opérée des faits pour lesquels elle a été sanctionnés, dont elle a pu prendre connaissance à la lecture du rapport de saisine du conseil de discipline qui lui a été transmis le 6 mai 2019, est formulée de façon certes non identique mais similaire dans le formulaire de saisine du conseil de discipline, qui mentionne " le refus répété d'obéissance hiérarchique ", un " comportement professionnel inacceptable et portant atteinte au devoir de réserve " et la " prévention d'un risque professionnel non respecté tant pour l'agent que pour les collègues croisés lors des déplacements de ce dernier ". Les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision en litige et de ce que les faits pour lesquels elle a été sanctionnés n'auraient pas été soumis à l'avis du conseil de discipline manquent en fait et doivent, par suite, être écartés.
15. En second lieu, si Mme A... fait valoir que la sanction litigieuse intervient alors qu'elle subit un harcèlement moral de la part de ses supérieurs hiérarchiques et qu'elle est victime d'une discrimination liée à sa couleur de peau, les éléments de fait dont elle fait état ne sont pas susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement ou d'une atteinte au principe de l'égalité de traitement des personnes.
16. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de Lagny-sur-Marne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Melun a annulé l'arrêté du 17 juin 2019 par lequel le maire de la commune de Lagny-sur-Marne a prononcé à l'encontre de Mme A... une exclusion temporaire de fonctions d'une durée de deux mois assortie d'un sursis partiel d'un mois.
Sur les frais liés à l'instance :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que la commune de Lagny-sur-Marne, qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse à Mme A... une somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
18. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de Mme A... une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune de Lagny-sur-Marne et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1907636 du 25 mai 2021 du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Melun et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Mme A... versera à la commune de Lagny-sur-Marne une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Lagny-sur-Marne et à Mme B... A....
Délibéré après l'audience du 30 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Perroy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 avril 2023.
La rapporteure,
C. C...La présidente,
H. VINOT
La greffière,
E. VERGNOL
La République mande et ordonne au préfet de Seine-et-Marne en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04191 2