Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au Tribunal administratif de Paris de prononcer l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2021 par lequel le préfet de police lui a infligé un avertissement.
Par un jugement n° 2104949/5-3 du 30 juin 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 12 août 2021, 30 novembre 2022 et 30 décembre 2022, M. A... C..., représenté par Me Arié Alimi, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2104949/5-3 du 30 juin 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler la décision du préfet de police du 4 janvier 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'arrêté contesté méconnaît le principe du contradictoire, le droit au procès équitable et les droits de la défense, protégés par l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article préliminaire du code de procédure pénale, dès lors qu'il n'a pas eu l'occasion de présenter ses observations ;
- l'arrêté contesté méconnaît l'article 10-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté contesté méconnaît la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, et la directive UE 2019/1937 du Parlement et du Conseil du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des violations du droit de l'Union ;
- la sanction constitue un détournement de pouvoir ;
- la sanction prononcée est disproportionnée ;
- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
Par des mémoires en défense enregistrés les 28 octobre et 20 décembre 2022, le ministre de l'intérieur et des outre-mer, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
La Défenseure des droits a présenté des observations, enregistrées le 12 décembre 2022, en application des dispositions de l'article 33 de la loi organique du 29 mars 2011.
Par une ordonnance du 20 décembre 2022, la clôture de l'instruction, fixée au 21 décembre 2022, a été reportée au 3 janvier 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011 ;
- la loi n°83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 ;
- l'arrêté du 16 novembre 2018 relatif à la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein du ministère de l'intérieur et du ministère chargé de l'outre-mer ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Segretain,
- les conclusions de Mme Prévot, rapporteure publique,
- et les observations de M. B..., représentant le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Une note en délibéré a été produite le 23 juin 2023 par le ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., brigadier-chef de police, est affecté depuis novembre 2016 à la sous-direction de la protection des institutions, des gardes et escortes de la préfecture de police, au sein de la compagnie de garde de zone d'attente. Par un arrêté du 4 janvier 2021, le préfet de police lui a infligé une sanction d'avertissement pour manquement au devoir d'obéissance. M. C... relève appel du jugement du 30 juin 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 susvisée alors en vigueur, depuis codifiée dans le code général de la fonction publique : " Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'appréciation de la valeur professionnelle, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, aux autorités judiciaires ou administratives de faits constitutifs d'un délit, d'un crime ou susceptibles d'être qualifiés de conflit d'intérêts au sens du I de l'article 25 bis dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions. / Aucun fonctionnaire ne peut être sanctionné ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. / Toute disposition ou tout acte contraire est nul de plein droit. / Dans le cas d'un conflit d'intérêts, le fonctionnaire doit avoir préalablement alerté en vain l'une des autorités hiérarchiques dont il relève. Il peut également témoigner de tels faits auprès du référent déontologue prévu à l'article 28 bis. / En cas de litige relatif à l'application quatre premiers alinéas, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit, d'un crime, d'une situation de conflit d'intérêts ou d'un signalement constitutif d'une alerte au sens de l'article 6 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé. Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. (...) " Aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. " Aux termes de l'article 8 de la même loi : " I. - Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l'employeur ou d'un référent désigné par celui-ci. En l'absence de diligences de la personne destinataire de l'alerte mentionnée au premier alinéa du présent I à vérifier, dans un délai raisonnable, la recevabilité du signalement, celui-ci est adressé à l'autorité judiciaire, à l'autorité administrative ou aux ordres professionnels. En dernier ressort, à défaut de traitement par l'un des organismes mentionnés au deuxième alinéa du présent I dans un délai de trois mois, le signalement peut être rendu public.
(...) III. - Des procédures appropriées de recueil des signalements émis par les membres de leur personnel (...) sont établies par les personnes morales de droit public ou de droit privé d'au moins cinquante salariés, les administrations de l'Etat, (...) dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat. " Aux termes de l'article 4 de l'arrêté du 16 novembre 2018 relatif à la procédure de recueil des signalements émis par les lanceurs d'alerte au sein du ministère de l'intérieur et du ministère chargé de l'outre-mer : " Le signalement d'une alerte est porté à la connaissance du référent alerte compétent ou du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, ou de l'autorité d'emploi de l'agent. (...) " L'article 6 du même arrêté dispose : " Conformément aux dispositions de l'article 5 du décret du 19 avril 2017 susvisé, l'agent public auteur du signalement doit apporter au soutien de celui-ci les faits, informations ou documents dont il dispose, susceptibles de l'étayer et de le justifier. Il doit également indiquer les circonstances dans lesquelles il a eu personnellement connaissance du ou des faits ainsi que des dommages éventuels. Les signalements anonymes ne sont pas recevables. "
3. D'une part, il est constant que, le 6 mars 2019, M. C... a informé oralement son supérieur hiérarchique de ce que des agents de la compagnie de garde de zone d'attente dans laquelle il exerçait ses fonctions étaient les auteurs habituels de mauvais traitements et de propos injurieux et racistes à l'égard de personnes déférées. Il n'est pas contesté qu'il l'a fait de manière désintéressée et de bonne foi. M. C... doit dès lors être regardé comme ayant ainsi procédé à un signalement constitutif d'une alerte au sens des dispositions précitées de l'article 6 de la loi susvisée du 9 décembre 2016, dans le respect des articles 6 à 8 de la même loi, la circonstance alléguée qu'il n'aurait pas apporté, au soutien de celui-ci, les informations dont il disposait pour l'étayer ne ressortant pas des pièces du dossier. D'autre part, par l'arrêté en litige du 4 janvier 2021, le préfet de police a infligé à M. C... une sanction d'avertissement pour manquement au devoir d'obéissance, prise aux motifs, d'une part, que l'intéressé s'était abstenu de se conformer immédiatement aux instructions de sa hiérarchie, lui demandant la rédaction d'un rapport relatif aux faits signalés le 6 mars 2019, et, d'autre part, qu'il avait refusé de préciser, dans le rapport finalement remis le 12 mars, l'identité des autres agents également témoins des comportements en cause. Eu égard à l'objet même de la sanction en litige, qui porte sur le non-respect des conditions dans lesquelles M. C... devait formaliser son signalement sur demande de son supérieur hiérarchique, celle-ci ne peut être regardée comme justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé constitutive d'une alerte. Par suite, l'arrêté du 4 janvier 2021 méconnaît les dispositions précitées de l'article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983.
4. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 4 janvier 2021. Il y a lieu, par suite, d'annuler le jugement du 30 juin 2021 du Tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 4 janvier 2021 du préfet de police et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des conclusions présentées par M. C... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 30 juin 2021 du Tribunal administratif de Paris et l'arrêté du 4 janvier 2021 du préfet de police sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet de police et à la Défenseure des droits.
Délibéré après l'audience du 14 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Brotons, président de chambre,
- M. Magnard, premier conseiller,
- M. Segretain, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 juin 2023.
Le rapporteur,
A. SEGRETAINLe président,
I. BROTONS
Le greffier,
C. MONGIS
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA04628 2