Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La fédération du commerce et de la distribution et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité ont demandé au Tribunal administratif de Paris d'annuler les décisions implicites de rejet résultant du silence gardé par le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris sur leurs demandes présentées le 30 juillet 2020 et tendant à l'abrogation de l'arrêté du 22 septembre 1989 relatif à la fermeture hebdomadaire des établissements vendant au détail de la quincaillerie dans le département de Paris, d'enjoindre au préfet de procéder à l'abrogation de l'arrêté litigieux dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 2020445/3-2 du 18 novembre 2021, le Tribunal administratif de Paris a rejeté les demandes des fédérations.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 17 et 18 janvier et 7 novembre 2022, la fédération du commerce et de la distribution et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité, représentées par Me Mihailov, demandent à la Cour, dans le dernier état de leurs écritures :
1°) d'annuler le jugement n° 2020445/3-2 du 18 novembre 2021 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir les décisions implicites par lesquelles le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a rejeté leurs demandes d'abrogation de l'arrêté du 22 septembre 1989 relatif à la fermeture hebdomadaire des établissements procédant à la vente au détail de la quincaillerie ;
3°) d'enjoindre au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris de procéder à l'abrogation de l'arrêté litigieux dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt sous astreinte de 2 000 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- les décisions implicites de rejet attaquées méconnaissent les dispositions de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration en ce qu'elles seraient entachées d'un défaut de motivation ;
- l'arrêté du 22 septembre 1989 méconnaît les dispositions de l'article L. 3132-29 du code du travail en ce qu'il ne reflèterait pas la volonté de la majorité indiscutable de tous les établissements concernés à la date de la demande d'abrogation.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 octobre 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Ho Si Fat, président assesseur,
- et les conclusions de Mme Bernard, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 22 septembre 1989, intervenu à la suite d'un accord conclu le 30 mai 1989 entre trois organisations syndicales patronales et quatre organisations syndicales de salariés, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a prescrit dans le département de Paris la fermeture, un jour par semaine, des commerces procédant à la vente au détail de la quincaillerie. Par deux courriers en date du 30 juillet 2020, la fédération du commerce et de la distribution et la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité ont demandé l'abrogation de cet arrêté. Elles relèvent appel du jugement n° 2020445/3-2 du 18 novembre 2021 par lequel le Tribunal administratif de Paris a rejeté leurs demandes tendant à l'annulation des décisions implicites de refus du préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris.
Sur la régularité du jugement :
2. Aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande (...) ".
3. S'il résulte de ces dispositions que le silence gardé sur une demande de communication des motifs d'une décision implicite de rejet est susceptible d'entacher cette décision d'illégalité, c'est à la condition toutefois qu'elle soit intervenue dans un cas où une décision expresse aurait dû être motivée.
4. Les décisions par lesquelles le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a refusé d'abroger l'arrêté du 22 septembre 1989 ont un caractère réglementaire. Ni les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-3 du code des relations entre le public et l'administration, qui s'appliquent aux décisions individuelles, ni aucune autre disposition, ni aucun principe n'imposaient leur motivation. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen comme inopérant.
Sur le bien-fondé du jugement :
5. Aux termes de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois ".
6. Il résulte de l'article L. 3132-29 du code du travail que la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée, par arrêté préfectoral, sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés.
7. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. (...) ".
8. En premier lieu, les dispositions du second alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail rappelées au point 5 concernent les demandes d'abrogation des arrêtés préfectoraux de fermeture hebdomadaire des établissements d'une profession d'une zone géographique concernée, émanant d'organisations professionnelles représentatives exprimant la volonté de la majorité des membres de cette profession. Ces dispositions ne font toutefois pas obstacle à ce que tout tiers puisse solliciter l'abrogation d'un tel arrêté auprès du préfet, qui est alors tenu d'y faire droit si les conditions prévues à l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration sont remplies, en particulier en cas de changement de la volonté de la majorité des établissements concernés.
9. En second lieu, d'une part, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
10. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non contredites par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en œuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
11. En l'espèce, les fédérations requérantes soutiennent qu'il n'existait pas de majorité indiscutable d'établissements concernés favorable au maintien de l'arrêté en litige à la date à laquelle le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris a implicitement rejeté leurs demandes d'abrogation de cet arrêté. Elles font valoir que le marché du bricolage s'est diversifié depuis 1989 au profit des grandes surfaces spécialisées. Au soutien de leur argumentation, les fédérations requérantes produisent une étude de janvier 2012 sur l'évolution du marché du bricolage entre 1996 et 2006, établie d'après les données objectives de l'institut national de la statistique et des études économiques, démontrant que la part des grandes surfaces de bricolage sur le marché des produits de bricolage a progressé de 15 points sur cette période. En outre, il ressort du tableau établi d'après les données de l'institut national de la statistique et des études économiques qu'en 2020, le nombre d'établissements vendant au détail de la quincaillerie dans le département de Paris s'élevait à 4 485. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que, lors de la consultation réalisée en 2018, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris avait recensé 387 établissements concernés, desquels avaient été retranchés les établissements d'une surface supérieure ou égale à 400 m2, les entreprises non-employeurs ainsi que les établissements représentés par les fédérations requérantes, pour ne conserver que 224 établissements, sans que le nombre total d'établissements concernés ne puisse être établi par les seules pièces figurant au dossier. Au surplus, parmi les signataires de l'accord du 30 mai 1989, une organisation patronale n'existe plus et une autre a quasiment disparu. Face à ces évolutions notables, le préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris ne justifie pas d'élément, notamment chiffré, permettant d'établir l'existence d'une majorité indiscutable favorable à la fermeture hebdomadaire des établissements dans lesquels s'effectue la vente au détail de la quincaillerie dans le département de Paris.
12. Dès lors, afin de permettre à la Cour de se prononcer en toute connaissance de cause, il y a lieu d'ordonner au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris, avant de statuer sur les conclusions de la requête, tous droits et moyens des parties réservés à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt, de fournir, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, tout élément, notamment chiffré, permettant de déterminer la volonté de de la majorité indiscutable des établissements. En particulier, il est demandé au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris d'indiquer le nombre d'établissements de ce département vendant effectivement de la quincaillerie, ainsi que le nombre de ces établissements favorables ou défavorables au maintien de l'accord de fermeture hebdomadaire ou, à défaut, le nombre d'entreprises adhérentes aux organisations d'employeurs qui se sont déclarées expressément favorables ou défavorables au maintien de l'arrêté en litige.
DÉCIDE :
Article 1er : Avant dire droit sur les conclusions de la requête de la fédération du commerce et de la distribution et de la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité, il est ordonné au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris de communiquer à la Cour, dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt, les éléments définis par les motifs du présent arrêt.
Article 2 : Tous droits et moyens des parties, à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt, sont réservés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la fédération du commerce et de la distribution, à la fédération de l'épicerie et du commerce de proximité, au préfet de la région d'Ile-de-France, préfet de Paris et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience du 26 juin 2023 à laquelle siégeaient :
- M. Le Goff, président de chambre,
- M. Ho Si Fat, président assesseur,
- Mme Larsonnier, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 21 juillet 2023.
Le rapporteur,
F. HO SI FAT Le président,
R. LE GOFF
Le greffier,
P. TISSERAND
La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
2
N° 22PA00241