Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SCI Chalet Raiatea a demandé au tribunal administratif de la Polynésie française d'annuler la décision du 5 juin 2020 par laquelle le ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française a rejeté sa demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime sur le territoire de la commune de Tumaraa (commune associée de Tevaitoa) pour des emplacements de 27 et 12 m², destinés respectivement à l'implantation d'un ponton sur pilotis aménagé d'une plate-forme et d'un portique à bateau et lui a demandé de procéder à la remise en état des lieux dans un délai d'un mois.
Par un jugement n° 2000471 du 7 septembre 2021, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire récapitulatif enregistrés les 27 octobre 2021 et 11 octobre 2022, la SCI Chalet Raiatea, représentée par Me Briantais-Bezzouh, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 7 septembre 2021 par lequel le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa requête ;
2°) d'annuler la décision du 5 juin 2020 par laquelle le ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française a rejeté sa demande d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime ;
3°) de faire droit à sa demande d'occupation temporaire du domaine public maritime ;
4) à titre subsidiaire, d'annuler partiellement la décision du 5 juin 2020 du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française, en tant qu'elle met à sa charge la remise en état des lieux ;
5°) de mettre à la charge de la Polynésie française une somme de 600 000 F CFP au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le motif de la décision retenant une entrave à la libre circulation et une atteinte à la protection du rivage n'est pas fondé ; les ouvrages n'entravent pas la circulation et compte tenu de son ancienneté, le ponton ne dénature pas le rivage et ne saurait dégrader le récif frangeant qui est éloigné à plus de 1 000 mètres ; en outre il abrite une faune et une flore marine, dont une espèce protégée ;
- l'absence d'autorisation constitue une rupture d'égalité avec les autres administrés du secteur ;
- la Polynésie française ne pouvait pas plus se fonder sur un défaut d'autorisation préalable de la construction, dont elle n'est pas responsable, et qu'elle a été encouragée à régulariser ;
- le tribunal administratif n'a pas statué sur sa demande subsidiaire tendant à l'annulation partielle de la décision contestée en tant qu'elle met à sa charge la remise en état des lieux à ses frais ;
- elle peut remettre en état les lieux s'agissant du portique à bateau, mais elle n'est ni à l'origine de l'édification du ponton, ni propriétaire de ce dernier, et ne peut donc pas supporter la charge de sa remise en état ; elle n'est qu'usagère comme d'autres de ce ponton, et en outre n'y a plus accès.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juillet 2022, la Polynésie française, représentée par Me Jourdainne, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la SCI Chalet Raiatea une somme de 1 676 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- une autorisation d'occupation temporaire a été octroyée sur le remblai cadastré section BB n° 5, seuls les titulaires de cette autorisation seraient désormais éligibles à solliciter une autorisation d'occupation temporaire sur le domaine public maritime situé au droit de ce remblai ;
- les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par un courrier du 25 mai 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré d'un éventuel non-lieu à statuer sur les conclusions de la SCI Chalet Raiatea tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2020, en ce qu'elle la met en demeure de remettre les lieux en état, compte tenu de l'intervention d'une autorisation du 29 décembre 2020 d'occupation temporaire de l'emplacement du domaine public maritime remblayé cadastré section BB n°5.
Par un mémoire enregistré le 27 mai 2023, la Polynésie française, représentée par Me Jourdainne, a répondu au moyen relevé d'office par la Cour.
Par un mémoire enregistré le 30 mai 2023, la société requérante, représentée par Me Briantais-Bezzouh, a répondu à ce moyen.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française ;
- l'arrêté n° 1334/CM du 8 septembre 2015 relatif à l'acquisition, la gestion et la cession du domaine public et privé de la Polynésie française ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Jasmin-Sverdlin,
- et les conclusions de M. Doré, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Chalet Raiatea a sollicité, le 20 septembre 2019, une autorisation d'occupation du domaine public maritime pour des emplacements de 27 et 12 m² destinés respectivement à l'implantation d'un ponton sur pilotis aménagé d'une plate-forme et d'un portique à bateau, au droit du remblai cadastré BB n°5 PK 7,500 à Tumaraa, commune associée de Tevaitoa, située à Raiatea, compte tenu de ce que la direction de l'équipement, subdivision des Iles sous-le-vent, du ministère de l'équipement et des transports terrestres de la Polynésie française avait constaté lors d'un contrôle sur place, le 26 juillet 2019, que ces installations, déjà existantes, avaient été érigées sans autorisation, et en avait dressé procès-verbal le 19 août 2019. Par une décision du 5 juin 2020, le ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française a rejeté la demande d'autorisation de la SCI Chalet Raiatea, et a demandé à cette dernière de procéder à la remise en état des lieux. La SCI Chalet Raiatea a contesté cette décision devant le tribunal administratif de la Polynésie française, lequel par un jugement du 7 septembre 2021, dont elle fait appel, a rejeté sa requête.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. La SCI Chalet Raiatea a contesté en première instance la décision du 5 juin 2020 du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française dans sa globalité, soit en tant qu'elle rejette sa demande d'autorisation d'occupation du domaine public maritime, et en tant qu'elle lui demande de procéder à la remise en état des lieux dans un délai d'un mois. Ces conclusions à fin d'annulation de la décision dans son ensemble ont été visées par le jugement attaqué. Dans son point 4, ce jugement a précisé que " Si la construction, sans autorisation, d'un ponton et d'un portique à bateau sur le domaine public maritime constitue une contravention de grande voirie pouvant donner lieu à poursuites devant le tribunal administratif, un tel motif, étranger tant à l'intérêt du domaine public qu'à l'intérêt général en relation avec son occupation, n'est toutefois pas de ceux pouvant justifier une décision de refus d'autorisation d'occupation du domaine public. ". Le jugement se borne ainsi à déclarer illégal, un des motifs fondant le refus d'autorisation. Comme le fait valoir la SCI Chalet Raiatea dans ses écritures, le jugement a omis cependant de statuer sur les conclusions en annulation partielle de la décision contestée en tant qu'elle met en demeure la SCI Chalet Raiatea de remettre en état les lieux dans le délai d'un mois, préalablement à l'engagement de poursuites sur le fondement d'une contravention de grande voirie. Cette omission l'entache d'irrégularité.
3. Par suite, il y a lieu d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer sur ce point et de statuer sur ces conclusions.
Sur la légalité de la décision du 5 juin 2020, en ce qu'elle met en demeure la société requérante de remettre les lieux en état :
4. Si le procès-verbal établi par la direction de l'équipement, subdivision des Iles sous le vent en date du 12 septembre 2019 constate l'existence du ponton et du portique à bateau litigieux, il ne ressort pas des termes de ce procès-verbal, ni d'aucune des pièces du dossier, que la SCI Chalet Raiatea serait à l'origine de la construction de ces ouvrages. En outre, la SCI Chalet Raiatea soutient, sans être contredite, ne pas être l'unique usagère du ponton et du portique en cause. Enfin, si la Polynésie française a octroyé à des particuliers, par un arrêté du 29 décembre 2020, une autorisation d'occupation temporaire d'un emplacement du domaine public maritime remblayé, d'une superficie de 285 m² cadastré section BB n° 5, il ne ressort pas du plan annexé à l'autorisation d'occupation qu'il engloberait le ponton sur pilotis, et le portique pour bateau existant, pour lequel figure la mention : " à déplacer ", alors qu'en tout état de cause cet arrêté est postérieur à la décision attaquée. Partant, bien que la société requérante dispose d'une servitude de passage lui permettant d'accéder au ponton en cause, elle ne peut être regardée comme occupante du ponton et du portique à bateau litigieux. Dans ces conditions, la Polynésie française ne pouvait demander à la SCI Chalet Raiatea de procéder à la remise en état de ces ouvrages. Par suite, la requérante est fondée à demander l'annulation de la décision du 5 juin 2020 du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française, en tant qu'elle demande à la SCI Chalet Raiatea de procéder à la remise en état des lieux dans un délai d'un mois.
Sur le bien-fondé du jugement en tant qu'il statue sur la décision du 5 juin 2020 en ce qu'elle porte refus d'autorisation d'occupation :
5. Aux termes de l'article 2 de la délibération n° 2004-34 de l'assemblée de la Polynésie française du 12 février 2004 portant composition et administration du domaine public en Polynésie française : " Le domaine public naturel comprend : le domaine public maritime qui se compose notamment des rivages de la mer (...) ". Aux termes de l'article 6 de la même délibération : " Nul ne peut sans autorisation préalable délivrée par l'autorité compétente, effectuer aucun remblaiement, travaux, extraction, installation et aménagement quelconque sur le domaine public, occuper une dépendance dudit domaine ou l'utiliser dans les limites excédant le droit d'usage qui appartient à tous. (...) ". L'article 27 de ladite délibération dispose par ailleurs que : " Les infractions à la réglementation en matière de domaine public (...) constituent des contraventions de grande voirie et donnent lieu à poursuite devant le tribunal administratif (...) / En outre, l'auteur d'une contravention de grande voirie pourra être tenu de réparer le dommage causé, au besoin sous astreinte. ".
6. En premier lieu, le tribunal a jugé que la Polynésie française ne pouvait se fonder sur le motif de la réalisation des ouvrages sur le domaine public maritime sans autorisation administrative, pour rejeter sa demande d'autorisation et ce motif d'illégalité n'est pas contesté en appel.
7. En deuxième lieu, les autres motifs ayant fondé la décision litigieuse tiennent, dans l'intérêt de la conservation de la dépendance du domaine public maritime et son utilisation conforme à son affectation, à la commodité et la sécurité de la libre circulation du public le long du littoral ainsi qu'à la volonté de limiter la prolifération de ce type d'ouvrages risquant d'engendrer une dénaturation du rivage et une dégradation du récif frangeant. Il ressort des pièces du dossier, notamment des photographies produites, que, comme le soutient d'ailleurs elle-même la SCI Chalet Raiatea, ce type d'installations se développe tout le long du rivage. Dans ces conditions, alors que la SCI Chalet Raiatea ne démontre aucunement que la circulation sur le rivage n'en est pas entravée ou que la configuration du rivage n'en est pas atteinte, tandis qu'il est constant que le ponton a une longueur de 26 mètres, ces motifs sont au nombre de ceux qui pouvaient légalement fonder le refus opposé à la requérante, compte tenu de l'intérêt public qui s'attache à garantir le libre accès des piétons sur le rivage et la protection de ce dernier.
8. Si comme il a été dit au point 6 ci-dessus, le motif de la décision, tiré de la réalisation des ouvrages sur le domaine public maritime sans autorisation administrative, est illégal, il ressort des pièces du dossier que la Polynésie française aurait pris la même décision si elle s'était fondée sur les autres motifs mentionnés au point précédent qui suffisent à justifier la décision de refus.
9. En troisième lieu, si la SCI Chalet Raiatea fait valoir que la Polynésie française, en lui refusant une autorisation permettant de régulariser l'ouvrage litigieux, a porté atteinte au principe d'égalité, dès lors que bien d'autres pontons et portiques ont été installés à proximité, sans être remis en cause, il n'est pas démontré que les autres occupants du domaine public soient dans la même situation qu'elle, et la Polynésie française indique dans ses écritures que la plupart de ces pontons sont irréguliers et que des démarches sont actuellement en cours pour gérer cette situation. Le moyen tiré de la rupture du principe d'égalité ne peut donc qu'être écarté. Enfin, la SCI Chalet Raiatea ne peut pas utilement se référer au projet d'aménagement d'une marina soutenu par la Polynésie française dans ce secteur, qui est sans rapport avec l'édification de pontons par des particuliers.
10. Il résulte de ce qui précède que la SCI Chalet Raiatea n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Polynésie française a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2020 du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française, en tant qu'elle a rejeté sa demande d'autorisation d'occupation du domaine public maritime.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la SCI Raiatea, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante sur l'essentiel, le versement de la somme que la Polynésie française demande au titre des frais qu'elle a exposés et non compris dans les dépens. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la Polynésie française la somme demandée par la société requérante en application de ces dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 7 septembre 2021 du tribunal administratif de la Polynésie française est annulé en tant qu'il a omis de statuer sur les conclusions de la demande de la SCI Chalet Raiatea tendant à l'annulation de la décision du 5 juin 2020, du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française, en tant que celle-ci lui a demandé de procéder à la remise en état des lieux dans un délai d'un mois.
Article 2 : La décision du 5 juin 2020 du ministre de l'économie verte et du domaine de la Polynésie française est annulée en tant qu'elle demande à la SCI Chalet Raiatea de procéder à la remise en état des lieux dans un délai d'un mois.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la SCI Chalet Raiatea est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par la Polynésie française sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Chalet Raiatea et à la Polynésie française.
Copie en sera adressée au haut-commissaire de la République en Polynésie française.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lapouzade, président de chambre,
- Mme Jasmin-Sverdlin, première conseillère,
- M. Gobeill, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 septembre 2023.
La rapporteure,
I. JASMIN-SVERDLINLe président,
J. LAPOUZADE
La greffière,
Y. HERBER
La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21PA05560