Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Montreuil d'annuler la décision implicite par laquelle la garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande du 28 octobre 2019 tendant à la rectification et à l'indemnisation du solde des jours accumulés sur son compte épargne-temps à hauteur de 4 590 euros et au versement d'un reliquat de 1 530 euros concernant ses jours de congés indemnisés en 2017, d'enjoindre à l'Etat de rectifier le nombre de jours de congés épargnés en 2018 et de procéder à l'indemnisation de l'ensemble des jours cumulés sur son compte épargne temps, et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 530 euros au titre du reliquat de ses jours de congés indemnisés en 2017, le tout assorti des intérêts au taux légal et de leur capitalisation.
Par un jugement n° 2002354 du 17 juin 2022, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 25 août 2022 et 15 mars 2023, M. B..., représenté par Me Delarue, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Montreuil ;
2°) d'annuler la décision implicite de la garde des sceaux, ministre de la justice ;
3°) d'enjoindre à l'administration de rectifier le solde de son compte épargne-temps en y ajoutant treize jours et d'indemniser l'ensemble de ces jours, avec versement des intérêts au taux légal et capitalisation des intérêts ;
4°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 1 530 euros, correspondant au reliquat non versé lors de l'indemnisation de 34 jours de congés en 2017, assortie des intérêts au taux légal avec capitalisation des intérêts ;
5°) subsidiairement, de surseoir à statuer sur sa requête et de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :
- le changement d'administration ne permettant pas un transfert des jours de congés peut-il être qualifié de fin de relation de travail avec l'administration précédente '
- l'article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail
s'applique-il aux jours déposés sur un compte épargne-temps '
- si oui, cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que des jours, correspondant à des congés annuels non pris, déposés et capitalisés sur un compte
épargne-temps, doivent être totalement indemnisés en cas de fin de relation de travail ' ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce qu'il est entaché d'une omission à statuer ;
- l'administration a commis une erreur sur le nombre de jours accumulés sur son compte épargne-temps et sur leur indemnisation ;
- l'administration a méconnu son droit à obtenir l'indemnisation de l'intégralité des jours accumulés sur son compte épargne-temps.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions aux fins d'annulation en tant qu'elles portent sur l'indemnisation de 9 journées et des conclusions aux fins de condamnation présentées par M. B..., compte tenu des versements effectués avant l'introduction de sa requête.
M. B... a présenté des observations sur ce moyen le 8 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la directive du Parlement européen et du Conseil n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 ;
- l'arrêté du 28 août 2009 pris pour application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Saint-Macary,
- et les conclusions de Mme Lipsos, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., agent de catégorie A détaché du ministère de la justice auprès du ministère de l'éducation nationale à compter du 1er septembre 2018, a intégré le corps des professeurs certifiés en sciences économiques et sociales le 1er septembre 2019. Par un courrier reçu le 30 octobre 2019, il a demandé à son ancienne administration de rectifier et d'indemniser les jours accumulés sur son compte épargne-temps. Du silence de l'administration est née une décision implicite de rejet le 30 décembre 2019. M. B... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision implicite et à l'indemnisation de l'intégralité des jours épargnés sur son compte épargne-temps.
Sur la régularité du jugement :
2. Les premiers juges ont répondu, aux points 6 et 7 du jugement attaqué, au moyen tiré de la méconnaissance du droit de M. B... à être indemnisé des jours accumulés sur son compte épargne temps en raison de la fin de sa relation de travail. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait entaché d'une omission à statuer doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne l'étendue du litige :
2. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. B... a perçu une somme de 1 125 euros au mois de juin 2020 correspondant à l'indemnisation de 9 jours de congé correspondant à un montant forfaitaire de 125 euros. Si, par un arrêté du 28 novembre 2018 modifiant l'arrêté du 28 août 2009 pris pour l'application du décret du 29 avril 2002, entré en vigueur à compter du 1er janvier 2019, le montant forfaitaire a été porté à 135 euros pour les agents de catégorie A, c'est à bon droit que le garde des sceaux, ministre de la justice, a retenu le montant forfaitaire de 125 euros, lequel était applicable à la date à laquelle M. B... a quitté le ministère de la justice.
3. D'autre part, il est constant que la somme de 1 530 euros dont M. B... demande le paiement lui a été versée au mois d'août 2017. La demande de M. B... tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser cette somme était, dès lors, également irrecevable.
4. Il résulte de ce qui précède que le bien-fondé de la demande de M. B... ne doit être examinée qu'en tant qu'elle porte sur le paiement de 28 jours de congés.
En ce qui concerne le surplus des conclusions aux fins d'annulation :
S'agissant du solde du compte-épargne temps de M. B... :
5. Il ressort des éléments non contestés du tableau relatif au solde du compte-épargne temps de M. B... au 20 février 2020, produit par l'administration, que l'intéressé avait épargné, à la fin de l'année 2015, 42 jours et qu'il a déposé 12, 13 et 4 jours au titre, respectivement, des années 2016, 2017 et 2018. Si ce tableau fait état de l'indemnisation de 34 jours au titre de l'année 2016 et de 13 jours au titre de l'année 2017, il ressort des fiches de paie de M. B... qu'il a été indemnisé au titre de 34 jours au mois de mai 2017, cette indemnisation étant complétée à hauteur de 1 530 euros au mois d'août 2017 compte tenu d'une erreur dans le barème d'indemnisation. Malgré la demande qui lui en a été faite, le garde des sceaux, ministre de la justice, ne produit aucun élément permettant d'établir que M. B... aurait bénéficié de l'indemnisation d'autres jours au titre des années 2016 à 2018. Dans ces conditions, M. B... est fondé à soutenir que le solde de son compte-épargne temps était de 37 jours et non de 24 jours lorsqu'il a quitté le ministère de la justice.
S'agissant du nombre de jours indemnisables :
6. Aux termes de l'article 3 du décret du 29 avril 2002 portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature que : " Le compte épargne-temps est alimenté par le report de jours de réduction du temps de travail et par le report de congés annuels, tels que prévus par le décret du 26 octobre 1984 susvisé, sans que le nombre de jours de congés pris dans l'année puisse être inférieur à 20 (...). L'article 5 du même décret dispose que : " Lorsque, au terme de chaque année civile, le nombre de jours inscrits sur le compte épargne-temps est inférieur ou égal à un seuil, fixé par arrêté conjoint du garde des sceaux, ministre de la justice, du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget, qui ne saurait être supérieur à vingt jours, l'agent ne peut utiliser les droits ainsi épargnés que sous forme de congés, pris dans les conditions mentionnées à l'article 3 du décret du 26 octobre 1984 susvisé ". Le II de l'article 6 de ce même décret prévoit : " Les jours ainsi épargnés excédant ce seuil donnent lieu à une option exercée au plus tard le 31 janvier de l'année suivante : / 1° L'agent titulaire (...) opte dans les proportions qu'il souhaite : / a) Pour une prise en compte au sein du régime de retraite additionnelle de la fonction publique dans les conditions définies à l'article 6-1 ; / b) Pour une indemnisation dans les conditions définies à l'article 6-2 ; / c) Pour un maintien sur le compte épargne-temps dans les conditions définies à l'article 6-3. / Les jours mentionnés au a et au b sont retranchés du compte épargne-temps à la date d'exercice d'une option (...) ". Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 28 août 2009 pris pour l'application du décret n° 2002-634 du 29 avril 2002 modifié portant création du compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat et dans la magistrature : " Le seuil mentionné aux articles 5 et 6 du décret du 29 avril 2002 susvisé est fixé à 15 jours ".
7. En premier lieu, l'article 7 de la directive du Parlement européen et du Conseil n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 dispose que : " 1. Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d'un congé annuel payé d'au moins quatre semaines, conformément aux conditions d'obtention et d'octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. / 2. La période minimale de congé annuel payé ne peut être remplacée par une indemnité financière, sauf en cas de fin de relation de travail ".
8. Les dispositions de l'article 7. 2 de la directive du 4 novembre 2003, interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C-337/10 du 3 mai 2012 (point 37), ne s'opposent pas à des dispositions de droit national accordant au fonctionnaire des droits à congés payés supplémentaires s'ajoutant au droit à un congé annuel minimal de quatre semaines, tels que ceux inscrits sur le compte épargne-temps dans la fonction publique de l'Etat, sans que soit prévu le paiement d'une indemnité financière, lorsque le fonctionnaire en fin de relation de travail ne peut bénéficier de ces droits supplémentaires pour une raison indépendante de sa volonté. Les jours épargnés sur un compte épargne-temps n'ayant pas le caractère de congés payés annuels au sens de cette directive, M. B... ne peut utilement en invoquer l'article 7. 2 pour obtenir l'indemnisation de l'intégralité des jours déposés sur son compte-épargne temps, y compris ceux inclus dans la limite de quinze jours.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... a choisi d'être détaché puis intégré au sein de l'éducation nationale et était, au surplus, informé depuis le 7 juin 2018 de ce qu'il ne pourrait transférer son compte-épargne temps à l'éducation nationale sans qu'il n'établisse ni même n'allègue avoir été empêché d'utiliser les jours épargnés sous la forme de congés avant son détachement intervenu le 1er septembre 2018. Ainsi, et en tout état de cause, il ne peut utilement se prévaloir d'un droit à être indemnisé des jours de congés déposés sur son compte-épargne temps qu'il n'aurait pu prendre pour des raisons indépendantes de sa volonté.
10. En dernier lieu, si l'article 1er du décret du 29 avril 2002 prévoit l'information annuelle de l'agent des droits épargnés et consommés, le ministère de la justice n'a manqué à aucune obligation en n'informant pas M. B... de ce qu'il risquait de perdre le reliquat des jours épargnés sur son compte-épargne temps en étant détaché au sein de l'éducation nationale.
11. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montreuil a rejeté sa demande de paiement en tant qu'elle porte sur 13 jours.
En ce qui concerne les conclusions aux fins d'injonction :
12. Le présent arrêt implique qu'il soit enjoint au garde des sceaux, ministre de la justice, de verser à M. B... une somme correspondant à l'indemnisation de 13 jours épargnés au montant forfaitaire de 125 euros, en vertu de l'arrêté du 28 août 2009 pris pour l'application du décret du 29 avril 2002 dans sa rédaction applicable à la date à laquelle M. B... a quitté le ministère de la justice. Cette somme sera assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2019, date de réception de la demande de M. B..., et de la capitalisation des intérêts à compter du 30 octobre 2020, date à laquelle un an d'intérêts était dû. Un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt est imparti au garde des sceaux, ministre de la justice pour verser cette somme
Sur les frais du litige :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La décision implicite de la garde des sceaux, ministre de la justice du 30 décembre 2019 est annulée en tant qu'elle refuse l'indemnisation de 13 jours supplémentaires au titre du solde du compte-épargne temps de M. B....
Article 2 : Il est enjoint à l'Etat de verser à M. B... une somme correspondant à l'indemnisation forfaitaire de 13 jours sur son compte-épargne temps, au montant forfaitaire de 125 euros, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Cette somme sera assortie des intérêts moratoires à compter du 30 octobre 2019 et de la capitalisation des intérêts à compter du 30 octobre 2020.
Article 3 : Le jugement n° 2002354 du 17 juin 2022 du tribunal administratif de Montreuil est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles 1 et 2 du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B... en application de l'article L 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 15 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Briançon, présidente,
- M. Mantz, premier conseiller,
- Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 septembre 2023.
Le rapporteur,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
C. BRIANÇONLa greffière,
O. BADOUX-GRARE
La République mande et ordonne au garde de sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 22PA03959 2