Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler l'arrêté du 4 juillet 2022 par lequel le préfet de police a refusé sa demande de titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné.
Par un jugement n° 2222676/4-2 du 6 février 2023, le tribunal administratif de Paris a annulé les décisions du préfet de police du 4 juillet 2022 l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination, a enjoint au préfet de police de réexaminer la situation de l'intéressé dans un délai de trois mois à compter de la notification du jugement et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
I/ Par une requête et un mémoire en réplique enregistrés le 24 février 2023 et le
17 juillet 2023 sous le numéro 23PA00821, M. C..., représenté par Me Arrom, demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement n° 2222676/4-2 du 6 février 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour du préfet de police du 8 juillet 2022 ;
3°) d'annuler la décision du préfet de police du 4 juillet 2022 de refus de délivrance d'un titre de séjour ;
4°) d'enjoindre au préfet de police de lui délivrer un titre de séjour portant la mention "Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE" ou "vie privée et familiale" dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard et de lui délivrer, dans l'attente de la fabrication de sa carte, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler dans un délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
5°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de police de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à son conseil, ou à lui-même en cas de rejet de sa demande d'aide juridictionnelle, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour est insuffisamment motivée ; cette insuffisance révèle un défaut d'examen complet de sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'une erreur de fait et d'une erreur de droit dès lors qu'elle méconnaît les dispositions de l'article 28 du décret n°2020-1417 du 19 novembre 2020, que les documents produits ne font état que de signalements et non de condamnations pénales, et qu'il n'est ainsi pas établi que son comportement représenterait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 21 du décret n°2020-1417 du 19 novembre 2020 dès lors qu'il remplit les conditions pour se voir délivrer une carte de résident d'une durée de validité de dix ans ;
- elle méconnait son droit au respect de sa vie privée et familiale consacré par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il réside en France depuis trente-quatre ans.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 16 juin 2023 et 27 juillet 2023, le préfet de police conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
II/ Par une requête sommaire et des mémoires enregistrés les 7 mars 2023, 23 mars 2023 et 27 juillet 2023 sous le numéro 23PA00939, le préfet de police demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1, 2 et 3 du jugement 2222676/4-2 du 6 février 2023 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... C... devant le tribunal administratif.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision portant obligation de quitter le territoire pour méconnaissance des dispositions du 2° de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que M. C... ne démontre pas résider habituellement en France depuis ses treize ans ;
- c'est à tort que les premiers juges ont annulé par voie de conséquence la décision fixant le pays de destination ;
- c'est à tort que les premiers juges lui ont enjoint de réexaminer la situation de
M. C... ;
- s'agissant des autres moyens soulevés par M. C... en première instance, l'entier bénéfice des écritures alors présentées doit être conservé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2023, M. C... conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le préfet de police ne sont pas fondés.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 24 avril 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique du 17 octobre 2019 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020 concernant l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne et de la Communauté européenne de l'énergie atomique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- et les observations de Me Arrom, avocate de M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant britannique né le 19 septembre 1985, est entré en France en 1988 selon ses déclarations. Il a sollicité auprès du préfet de police la délivrance d'une carte de séjour dans le cadre des dispositions du décret n° 2020-1417 du 19 novembre 2020 concernant l'entrée, le séjour, l'activité professionnelle et les droits sociaux des ressortissants étrangers bénéficiaires de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord de l'Union européenne. Par un arrêté du 4 juillet 2022, le préfet de police a refusé de lui délivrer ce titre, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par une requête enregistrée sous le n° 23PA00821,
M. C... relève appel du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 février 2023 en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision portant refus de titre de séjour du préfet de police du 4 juillet 2022. Par une requête enregistrée sous le n° 23PA00939, le préfet de police relève appel du même jugement et demande à la Cour d'annuler les articles 1, 2 et 3 du jugement du tribunal administratif de Paris du 6 février 2023 et de rejeter la demande de M. C... en tant qu'elle est dirigée contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et celle fixant le pays de destination.
Sur la jonction :
2. Les requêtes nos 23PA00821 et 23PA00939 sont dirigées contre un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu par suite de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul arrêt.
Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :
3. Par une décision du 24 avril 2023, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Paris a admis M. C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, il n'y a pas lieu de lui accorder le bénéfice d'une admission provisoire à l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
4. Aux termes des stipulations de l'article 15 de l'accord sur le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne : " Les citoyens de l'Union et les ressortissants du Royaume-Uni, ainsi que les membres de leur famille respective, qui ont séjourné légalement dans l'État d'accueil conformément au droit de l'Union pendant une période ininterrompue de cinq ans ou pendant la période indiquée à l'Article 17 de la directive 2004/38/CE, acquièrent le droit de séjourner de manière permanente dans l'État d'accueil dans les conditions énoncées aux Articles 16, 17 et 18 de la directive 2004/38/CE. Les périodes de séjour légal ou d'activité conformément au droit de l'Union avant et après la fin de la période de transition sont prises en compte dans le calcul de la période nécessaire à l'acquisition du droit de séjour permanent ". Aux termes des stipulations de l'article 18 de l'accord de retrait : " L'État d'accueil peut exiger des citoyens de l'Union ou des ressortissants du Royaume-Uni, des membres de leur famille respective et des autres personnes qui résident sur son territoire dans les conditions énoncées au présent titre, qu'ils demandent un nouveau statut de résident qui leur confère les droits prévus au présent titre et un document attestant ce statut, qui peut être sous forme numérique ". Aux termes des stipulations de l'article 20 de l'accord de retrait : " 1. Le comportement des citoyens de l'Union ou des ressortissants du Royaume-Uni, des membres de leur famille et des autres personnes qui exercent des droits en vertu du présent titre, lorsque ce comportement s'est produit avant la fin de la période de transition, est examiné conformément au chapitre VI de la directive 2004/38/CE./ 2. Le comportement des citoyens de l'Union ou des ressortissants du Royaume-Uni, des membres de leur famille et des autres personnes qui exercent des droits en vertu du présent titre, lorsque ce comportement s'est produit après la fin de la période de transition, peut constituer un motif de restriction du droit de séjour dans l'État d'accueil ou du droit d'entrée dans l'État de travail conformément à la législation nationale ".
5. Aux termes de l'article 21 du même décret : " Sous réserve des dispositions de l'article 28, un titre de séjour d'une durée de validité de dix ans portant la mention " Séjour permanent - Article 50 TUE/Article 18(1) Accord de retrait du Royaume-Uni de l'UE " est délivré de plein droit au ressortissant étranger mentionné aux 1° à 4° de l'article 3 s'il satisfait à l'une des conditions suivantes :1° Il lui a été délivré, avant le 1er janvier 2021, un titre de séjour permanent en application de l'article L. 122-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;2° Il a résidé en France pendant cinq années et y séjourne régulièrement conformément aux dispositions des articles 13 à 19.(...) ". Et aux termes de l'article 28 du même décret : " L'entrée sur le territoire français et la délivrance des titres de séjour et documents de circulation prévus par le présent décret peuvent être refusées si la présence du demandeur constitue une menace pour l'ordre public./Si le comportement à l'origine de cette menace s'est produit avant le 1er janvier 2021, l'entrée et la délivrance du titre de séjour ou du document de circulation peuvent être refusées à la condition que ce comportement représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. ". Il appartient à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.
6. Il ressort des termes de l'arrêté attaqué que le préfet de police a estimé que le comportement du requérant constituait une menace réelle, actuelle et suffisamment grave à l'encontre d'un intérêt fondamental de la société française dès lors qu'il a fait l'objet de plusieurs mentions au fichier du traitement des antécédents judiciaires (TAJ) pour des faits d'" outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique " le 26 mai 2006, d'" outrage à personne chargée d'une mission de service public " le 10 septembre 2013, d'" outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, rébellion, menace de crime ou délit contre les personnes ou les biens à l'encontre d'un dépositaire de l'autorité publique " le 3 avril 2017, de faits de " violence avec usage ou menace d'une arme suivi d'incapacité n'excédant pas 8 jours " le 26 octobre 2019 et de faits d'" exhibition sexuelle, violence par une personne en état d'ivresse manifeste sans incapacité " le 8 juin 2021. Toutefois, il n'est pas contesté que M. C... n'a fait l'objet d'aucune condamnation pour ces faits, le dernier étant en tout état de cause postérieur au
1er janvier 2021. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que le requérant réside en France depuis trente-quatre années, soit depuis l'âge de trois ans. Dans ces conditions, le comportement de M. C... ne peut être regardé comme constituant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société à la date de la décision attaquée. Par suite, M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que le préfet de police a refusé de faire droit à sa demande de titre de séjour pour ce motif.
7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du préfet de police lui refusant la délivrance d'un titre de séjour.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. L'annulation de la décision du 4 juillet 2022 du préfet de police de refus de délivrance d'un titre de séjour à M. C... implique qu'il soit enjoint au préfet de police de délivrer à l'intéressé le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois suivant la mise à disposition du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Me Arrom au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2222676/4-2 du 6 février 2023 du tribunal administratif de Paris, en tant qu'il rejette les conclusions de la requête de M. C... dirigées contre la décision du 4 juillet 2022 du préfet de police de refus de délivrance d'un titre de séjour et cette décision, sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de police de délivrer à M. C... le titre de séjour sollicité dans un délai de deux mois suivant la mise à disposition du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Arrom une somme de 1 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : La requête du préfet de police et le surplus des conclusions de la requête d'appel de M. C..., sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de police.
Délibéré après l'audience publique du 12 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Ivan Luben, président de chambre,
- Mme Marie-Isabelle Labetoulle, première conseillère,
- Mme Isabelle Marion, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 octobre 2023.
Le président-rapporteur,
I. A...L'assesseure la plus ancienne,
M-I. LABETOULLELa greffière,
N. DAHMANILa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Nos 23PA00821, 23PA00939 2