Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... ont demandé au Tribunal administratif de Paris de condamner l'Etat à verser à M. A... G... une indemnité de 2 133 200 euros et de le condamner à verser à Mme B... G..., à Mme E... G..., à M. F... G..., à Mme D... G..., à M. H... G... et à Mme C... G..., chacun, une indemnité de 264 000 euros, en réparation des préjudices moraux et matériels subis par chacun des requérants à raison de la faute commise par l'Etat.
Par un jugement n° 1911944/4-3 du 11 février 2022, le Tribunal administratif de Paris a rejeté leur demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés le 11 avril 2022, le 12 janvier 2023 et le 16 février 2023 M.A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G..., représentés par Me Bourdon, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1911944/4-3 du 11 février 2022 du Tribunal administratif de Paris ;
2°) de condamner l'Etat à verser à M. A... G... la somme de 2 133 200 euros ;
3°) de condamner l'Etat à verser à Mme B... G..., à Mme E... G..., à M. F... G..., à Mme D... G..., à M. H... G... et à Mme C... G..., chacun, la somme de 264 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 3 000 euros à verser à chacun des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'assignation à résidence de M. A... G... sur le territoire du Burkina-Faso est illégale et constitue une faute lourde de l'Etat français, détachable de la conduite de ses relations internationales ;
- cette faute ne constitue pas un acte de gouvernement et engage la responsabilité de l'Etat à l'égard de M. G..., de son épouse et de leurs cinq enfants qui ont subi des préjudices matériels et moraux directement liés à cette faute ;
- l'Etat a commis une faute de nature à engager sa responsabilité en ne procédant pas au réexamen, tous les cinq ans des motifs de l'arrêté prononçant l'expulsion de M. A... G..., en méconnaissance de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- les premiers juges les ont privés du droit au recours effectif protégé par les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en considérant que la faute éventuellement commise par l'Etat ne serait pas détachable de la conduite de ses relations internationales ;
- les décisions de placement puis de maintien en résidence surveillée ont porté une atteinte à sa vie privée et familiale qui méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la créance indemnitaire qu'ils détiennent chacun sur l'Etat n'est pas prescrite, les préjudices étant continus et rattachables à l'année 2016.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 octobre 2022 le ministre de l'intérieur et des outre-mer conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les créances dont se prévalent les requérants sont prescrites ;
- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Les parties ont, le 19 septembre 2023, été informées, par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt de la Cour était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrégularité du jugement en tant qu'il n'a pas relevé son incompétence pour statuer sur une partie des conclusions dont il était saisi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 alors en vigueur ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Hamon,
- les conclusions de Mme Jurin, rapporteure publique,
- et les observations de Me Repolt, substituant Me Bourdon, pour M. A... G... et consorts.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 9 novembre 1993, le ministre de l'intérieur a prononcé l'expulsion du territoire français de M. A... G..., ressortissant algérien né en 1942, sur le fondement de l'article 26 alinéa 2 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 alors applicable, au motif d'une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat et la sécurité publique. Cette expulsion a été effectivement mise en œuvre le 31 août 1994 vers le Burkina Faso, où M. G... a fait l'objet d'une assignation à résidence. Saisi d'une demande présentée par M. G... le 6 mai 2014, le ministre de l'intérieur a abrogé cet arrêté d'expulsion par un arrêté du 22 mars 2016. Par la présente requête, M. A... G..., son épouse, Mme B... G..., et ses enfants Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... demandent la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de fautes commises par l'Etat dans l'exécution de cette expulsion.
Sur la régularité du jugement :
2. En considérant que les préjudices dont les requérants demandaient la réparation à raison des conditions de l'assignation à résidence de M. A... G... n'étaient pas détachables de la conduite des relations entre la France et le Burkina Faso, qui constituent un acte de gouvernement, sans relever en conséquence, d'office, l'incompétence de la juridiction administrative pour connaître des conclusions dont il était saisi, le Tribunal a entaché le jugement attaqué d'irrégularité. Celui-ci doit dès lors être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions des requérants tendant à l'indemnisation des seuls préjudices résultant des conditions dans lesquelles M. A... G... a été placé en résidence surveillée au Burkina Faso.
3. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur ces conclusions et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions des requérants tendant à l'indemnisation des préjudices résultant des conditions de réexamen des motifs de l'expulsion de M. G....
Sur les conditions de l'assignation à résidence de M. G... :
4. A supposer que les conditions d'exécution des décisions prononçant l'expulsion de M. A... G... et son placement en résidence surveillée sur le territoire du Burkina Faso puissent être constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat, de telles conditions ne seraient pas détachables de la conduite des relations internationales de la France et, notamment, de ses relations avec l'Etat du Burkina Faso, qui a accepté l'entrée et le maintien, sur son territoire, de M. G..., ressortissant algérien, placé selon les écritures des requérants " sous la surveillance constante des forces militaires burkinabè qui lui interdisaient ou limitaient drastiquement ses déplacements ". En conséquence, et contrairement à ce que soutiennent les intéressés, les conditions d'exécution des décisions en cause constituent des actes de gouvernement dont la juridiction administrative est incompétente pour connaître, sans que soit dans cette mesure méconnu le droit au recours des requérants, qui invoquent notamment les articles 6 et 13 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Sur le réexamen des motifs de l'expulsion :
5. En premier lieu, aux termes de l'article 23 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 applicable jusqu'au 28 février 2004 : " (...) L'arrêté d'expulsion peut à tout moment être abrogé. Lorsque la demande d'abrogation est présentée à l'expiration d'un délai de cinq ans à compter de l'exécution effective de l'arrêté d'expulsion, elle ne peut être rejetée qu'après avis de la commission prévue à l'article 24, devant laquelle l'intéressé peut se faire représenter ". Aux termes de l'article L. 524-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais repris à l'article L. 632-6 de ce code : " Sans préjudice des dispositions de l'article L. 524-1, les motifs de l'arrêté d'expulsion donnent lieu à un réexamen tous les cinq ans à compter de la date d'adoption de l'arrêté (...) A défaut de notification à l'intéressé d'une décision explicite d'abrogation dans un délai de deux mois, ce réexamen est réputé avoir conduit à une décision implicite de ne pas abroger. Cette décision est susceptible de recours. Le réexamen ne donne pas lieu à consultation de la commission prévue à l'article L. 522-1 ".
6. Les requérants reprennent en appel le moyen tiré de ce que le ministre de l'intérieur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat en n'ayant pas procédé au réexamen des motifs de l'expulsion de M. G... tous les cinq ans, en violation de l'article L. 524-2 alors applicable du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans apporter d'élément de fait ou de droit nouveau de nature à remettre en cause l'appréciation portée sur ce moyen par les premiers juges. Par suite, il y a lieu de l'écarter par adoption des motifs retenus à bon droit par le Tribunal.
7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. "
8. La légalité de l'expulsion de M. G... prononcée en 1993 a été définitivement jugée par une décision du Conseil d'Etat n° 165590 du 29 décembre 1997, qui a considéré qu'eu égard à la gravité des motifs qui fondent cette mesure, celle-ci n'a pas porté à la vie privée et familiale de l'intéressé une atteinte excédant ce qui était nécessaire à la défense de l'ordre public. Dès lors que les requérants n'établissent, ni même ne soutiennent, que l'éloignement de M. G... du territoire français ne constituait plus une nécessité pour la sécurité publique jusqu'au 5 mai 2014, date à laquelle M. G... a présenté au ministre de l'intérieur une demande tendant à l'abrogation de l'arrêté d'expulsion, ils ne sont pas fondés à soutenir que les décisions implicites successives de ne pas en prononcer l'abrogation au terme d'une période de cinq ans méconnaîtraient les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, alors surtout qu'il est constant que M. G... n'a pas formé de demande d'abrogation de l'arrêté prononçant son expulsion avant 2014. Il suit de là que les conclusions des requérants tendant à la condamnation de l'Etat à la réparation des préjudices présentés comme résultant des seules décisions implicites de ne pas abroger l'arrêté d'expulsion en cause ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais de l'instance :
9. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1911944/4-3 du 11 février 2022 du Tribunal administratif de Paris est annulé en ce qu'il a statué sur les conclusions de la demande de M. A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... tendant à l'indemnisation des préjudices résultant des conditions de résidence surveillée de M. A... G... au Burkina-Faso.
Article 2 : Les conclusions de la demande de M. A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... tendant à l'indemnisation des préjudices résultant des conditions de résidence surveillée de M. A... G... au Burkina Faso sont rejetées comme portées devant une juridiction incompétente pour en connaître.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... G..., Mme B... G..., Mme E... G..., M. F... G..., Mme D... G..., M. H... G... et Mme C... G... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... G..., représentant unique, et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 septembre 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Auvray, président de chambre,
- Mme Hamon, présidente assesseure,
- Mme Zeudmi Sahraoui, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 octobre 2023.
La rapporteure,
P. HAMONLe président,
B. AUVRAY
La greffière,
C. BUOTLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22PA01644