Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société à responsabilité limitée (SAS) Reichen et Robert et Associés a demandé au tribunal administratif de Paris la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012, pour un montant de 241 200 euros.
Par un jugement n° 1903651 du 20 octobre 2021, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires aux fins de production de pièces enregistrés le 17 décembre 2021, le 23 décembre 2022 et le 21 juin 2023, la société Reichen et Robert et Associés, devenue la société Carta, Reichen et Robert Associés, représentée par le cabinet d'avocat Jeantet, demande à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 1903651 du 20 octobre 2021 du tribunal administratif de Paris ;
2°) de prononcer la décharge des impositions contestées, en droits et pénalités ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la méthode utilisée par le service pour revaloriser les titres de la société Reichen et Robert acquis par la société Reichen et Robert et Associés est contestable puisqu'elle ne tient pas compte des spécificités propres à l'entreprise et à son secteur d'activité ni du contexte de l'opération, et contient plusieurs erreurs méthodologiques ;
- la relation d'intérêts entre les cédants et le cessionnaire n'est pas établie pas les seuls liens capitalistiques qui existent entre eux ; au contraire, les intérêts des fondateurs et de M. A... étaient divergents, les premiers, qui souhaitaient se retirer définitivement de l'Agence et prendre leur retraite, ayant en effet tout intérêt à la céder au plus haut prix tandis que le second avait un intérêt légitime à racheter l'agence au prix le plus bas ;
- l'intention libérale fait défaut et l'administration n'apporte pas la preuve d'un avantage occulte consenti.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par la société Carta, Reichen et Robert Associés n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vrignon-Villalba ;
- les conclusions de Mme Lescaut, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Simeoni, pour la société Carta, Reichen et Robert Associés.
Considérant ce qui suit :
1. Le 30 décembre 2011, la société Reichen et Robert et Associés, spécialisée dans le secteur des activités d'architecture, a fait l'acquisition de 494 des 550 titres de la société Robert et Reichen, pour une valeur de 2 119 754 euros, conformément au prix stipulé dans la convention de location gérance conclue entre les parties le 8 juillet 2004, modifiée par avenants des 17 juillet 2009 et 15 janvier 2010. La société Reichen et Robert et Associés a fait l'objet d'une vérification de comptabilité à l'issue de laquelle l'administration, ayant estimé que la valeur des titres cédés par la société Reichen et Robert avait été minorée, l'a assujettie à un complément d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice clos en 2012. Suite à une nouvelle estimation de la valeur des titres, le montant de ce complément a été réduit. La société Reichen et Robert et Associés a demandé au tribunal administratif la décharge, en droits et pénalités, du montant d'imposition de 241 200 euros ainsi laissé à sa charge. Elle relève appel du jugement du 20 octobre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
Sur les conclusions aux fins de décharge :
2. Aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts : " Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt, diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés (...) ". Aux termes de l'article 38 quinquies de l'annexe 3 au même code : " Les immobilisations sont inscrites au bilan pour leur valeur d'origine. / Cette valeur d'origine s'entend : Pour les immobilisations acquises à titre onéreux par l'entreprise, du coût d'acquisition (...) Pour les immobilisations acquises à titre gratuit, de la valeur vénale (...) ". Il résulte de ces dernières dispositions que, dans le cas où le prix de l'acquisition d'une immobilisation a été volontairement minoré par les parties pour dissimuler une libéralité faite par le vendeur à l'acquéreur, l'administration est fondée à corriger la valeur d'origine de l'immobilisation, comptabilisée par l'entreprise acquéreuse pour son prix d'acquisition, pour y substituer sa valeur vénale, augmentant ainsi son actif net dans la mesure de l'acquisition faite à titre gratuit, laquelle, au demeurant, correspond, si le vendeur est une entreprise passible de l'impôt sur les sociétés, à un revenu distribué imposable entre les mains de l'acquéreur en vertu du c) de l'article 111 du code général des impôts. La preuve d'une telle libéralité doit être regardée comme apportée par l'administration lorsqu'est établie l'existence, d'une part, d'un écart significatif entre le prix convenu et la valeur vénale de l'acquisition et, d'autre part, d'une intention, pour le vendeur, d'octroyer, et, pour l'acquéreur, de recevoir une libéralité du fait des conditions de la cession. Cette intention est présumée lorsque les parties sont en relation d'intérêts.
3. Par ailleurs, la valeur vénale d'actions non cotées en bourse sur un marché réglementé doit être appréciée compte tenu de tous les éléments dont l'ensemble permet d'obtenir un chiffre aussi voisin que possible de celui qu'aurait entraîné le jeu normal de l'offre et de la demande à la date où la cession est intervenue.
4. Ainsi qu'il a été dit, le 30 décembre 2011, la société Reichen et Robert et Associés a fait l'acquisition de 494 titres de la société Reichen et Robert pour un montant unitaire de 4 291 euros et un montant global de 2 119 754 euros, lequel a été arrêté sur la base de l'actif net de la société au 31 décembre 2010, en tenant compte, notamment, d'un droit de présentation de la clientèle fixé à 1 900 000 euros 2003. Ayant estimé que la méthode de valorisation unique de l'actif net ainsi appliquée ne tenait pas compte de la rentabilité de la société, de sa productivité et de son rendement, l'administration a initialement procédé à la détermination de la valeur vénale des titres à la date de la cession, le 30 décembre 2011, en combinant plusieurs méthodes, à savoir la méthode patrimoniale ou mathématique, celle de la productivité et celle du rendement, et en retenant pour le droit de présentation de la clientèle la valeur de l,9 millions d'euros résultant de la moyenne mathématique des valeurs déterminées par le cabinet d'expertise JPA en 2003 puis en 2008, sur laquelle les parties à la cession se sont mises d'accord. La combinaison de ces différentes méthodes a conduit l'administration à déterminer la valeur unitaire moyenne des titres à la somme arrondie de 9 387 euros. Toutefois, après que la société a contesté la pertinence de l'utilisation des méthodes autres que la méthode patrimoniale, eu égard aux caractéristiques de la société et du marché de l'architecture, l'administration a, par courrier du 21 mars 2018, averti la société de ce qu'elle avait procédé à une nouvelle estimation de la valeur des titres, fondée sur la valeur des capitaux propres au 31 décembre 2011, en fixant à 1 053 400 millions le montant des capitaux propres et en retenant, pour la détermination de l'actif net revalorisé, un droit de présentation d'une valeur de 2 034 055 millions, correspondant à la somme de 2 359 000 euros arrêtée par le cabinet JPA en 2008, dans le cadre de l'étude diligentée par les parties à l'acte de cession, dont elle a déduit la valeur d'origine de ce droit qui a été inscrite dans les comptes de la société Reichen et Robert, toujours selon le même rapport, à hauteur de 324 945 euros (la lettre mentionnant par erreur un montant de 342 945 euros). Il en a résulté une valeur unitaire des titres de 5 613 euros, soit un écart de 30 % avec la valeur unitaire déclarée.
5. La société Carta, Reichen et Robert Associés soutient, en premier lieu, que la méthode consistant à prendre en compte le montant des capitaux propres de la société Reichen et Robert au 31 décembre 2011 tout en retenant la valorisation du droit de présentation de la clientèle déterminée par le cabinet d'expertise sur la base des années 2004 à 2008 est incohérente et que, par suite, l'administration aurait dû tenir compte des résultats des exercices 2008 à 2011. Elle soutient également, en deuxième lieu, que les redevances versées par la société Reichen et Robert et Associés à la société Reichen et Robert au titre de la convention de location-gérance conclue en 2004 ne pouvaient constituer un flux d'affaires pérenne du point de vue économique dès lors que depuis 2003, la société Reichen et Robert n'avait plus d'activité opérationnelle et plus de moyens humains permettant de développer son fonds libéral et qu'en conséquence, elles ne pouvaient pas être prise en compte. Elle soutient enfin, en troisième lieu, que c'est à tort que l'administration a refusé de prendre en compte, dans l'estimation de la valeur vénale de la société, les dividendes versés aux actionnaires au titre de l'année 2011 au motif que leur distribution n'a été décidée par l'assemblée générale qu'en juin 2012.
6. Il est constant que la société Reichen et Robert et Associés a distribué, au titre de l'année 2011, 350 350 euros de dividendes, que l'administration a refusé de prendre en compte dans l'estimation de la valeur vénale de la société au motif que leur distribution n'a été décidée par l'assemblée générale qu'en juin 2012. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'ainsi que la société le fait valoir, la distribution de ces dividendes s'inscrit dans le cadre d'une politique de rémunération des associés qui présente un caractère systématique, depuis au moins trois ans. L'administration qui indique ainsi, dans la proposition de rectification du 10 juillet 2015, que " la société RR distribue des dividendes au titre des années 2009 à 2011 d'un montant identique, à savoir 350 350 euros, il est donc reproductible " et qui en tire les conséquences lorsqu'elle détermine la " valeur d'après le rendement " de la société, n'explique pas pourquoi cette prise en compte ne serait plus pertinente après qu'elle a décidé d'utiliser uniquement la seule méthode patrimoniale, et ce alors qu'elle fait à juste titre valoir qu'à la date de la valorisation des titres, la société Reichen et Robert continuait de percevoir les redevances versées par la société Reichen et Robert et Associés au titre de la convention de location-gérance conclue en 2004, ce qui permettait une telle distribution alors même que la société Reichen et Robert n'aurait plus eu d'activité opérationnelle ainsi que la société requérante le soutient. Dans ces conditions, et alors qu'elle ne fait valoir aucun autre élément pouvant laisser présumer d'un changement possible dans la politique de versement des dividendes après la cession litigieuse, c'est à tort que l'administration n'a pas soustrait ces dividendes pour calculer l'actif net revalorisé au 31 décembre 2011.
7. Après prise en compte de ces dividendes, il en résulte un actif net revalorisé de 2 737 105 euros et une valeur unitaire de 4 976 euros. Dans ces conditions, la valeur vénale, au 31 décembre 2011, des 494 parts de la société Robert et Reichen s'élevait à 2 458 144 euros, et l'écart entre la valeur vénale de l'acquisition et le prix convenu entre les parties de 2 119 754 euros représente 16 % de ce prix.
8. Au surplus, l'administration n'indique pas pourquoi, alors qu'elle a initialement accepté de prendre en compte, au titre de la valeur du droit de présentation de la clientèle, la somme de 1 900 000 euros sur laquelle les parties à la vente s'étaient mises d'accord, elle a finalement décidé de retenir le montant de 2 359 999 euros déterminé par le cabinet d'expertise sur la base des résultats de la société Robert et Reichen de 2004 à 2007.
9. Dans ces conditions, l'écart entre la valeur vénale de l'acquisition et le prix convenu entre les parties ne pouvait pas être regardé comme étant significatif, et en conséquence, l'existence d'une libéralité ne pouvait pas être présumée par l'administration.
10. Par suite, en se prévalant uniquement de l'existence d'une communauté d'intérêts entre le vendeur et l'acquéreur, et alors que la société fait valoir les caractéristiques du marché de l'architecture et les conditions particulières dans lesquelles la cession est intervenue, l'administration n'apporte pas la preuve, qui lui incombe, de l'existence d'une libéralité qui aurait été consentie lors de la cession des 494 titres de la société Robert et Reichen.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société Carta, Reichen et Robert Associés est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Carta Reichen et Robert Associés de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903651 du 20 octobre 2021 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 2 : La société Carta Reichen et Robert Associés est déchargée des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012.
Article 3 : L'Etat versera à la société Carta Reichen et Robert Associés la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Carta, Reichen et Robert Associés et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction spécialisée de contrôle fiscal Île-de-France.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Vinot, présidente de chambre,
- Mme Vrignon-Villalba, présidente assesseure,
- M. Dubois, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 novembre 2023.
La rapporteure,
C. VRIGNON-VILLALBALa présidente,
H. VINOT
La greffière,
A. MAIGNAN
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 21PA0645702