Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Melun d'annuler les deux arrêtés du 26 juillet 2023 par lesquels le préfet de Seine-et-Marne a décidé leur transfert aux autorités néerlandaises.
Par un jugement n° 2308490-2308492 du 4 octobre 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé ces deux arrêtés et a enjoint au préfet de Seine-et-Marne de délivrer à M. et Mme C... une attestation de demandeur d'asile.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête enregistrée le 13 octobre 2023 sous le n° 23PA04319, le préfet de Seine-et-Marne demande à la Cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Melun et de rejeter les demandes de M. et Mme C....
Il soutient que :
- c'est à tort que le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a retenu, pour annuler ses arrêtés décidant le transfert de M. et Mme C..., le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le principe du contradictoire a été méconnu, le magistrat s'étant fondé sur des pièces produites à l'audience alors qu'il n'y était ni présent, ni représenté.
Par une ordonnance du 26 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
12 mars 2024 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour M. et Mme C... a été enregistré le 21 mars 2023.
II. Par une requête enregistrée le 13 octobre 2023 sous le n° 23PA04320, le préfet de Seine-et-Marne conclut aux mêmes fins que dans la requête enregistrée sous le n° 23PA04319 et présente les mêmes moyens au soutien de ses conclusions.
Par une ordonnance du 26 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au
12 mars 2024 à 12 heures.
Un mémoire présenté pour M. et Mme C... a été enregistré le 21 mars 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Saint-Macary a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 23PA04319 et n° 23PA04320 sont dirigées contre le même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
2. M. et Mme C..., ressortissants sri-lankais, sont entrés irrégulièrement en France et ont déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de
Seine-et-Marne. La consultation de la borne Eurodac a révélé qu'ils avaient sollicité l'asile auprès des autorités néerlandaises. Saisies le 20 juillet 2023 d'une demande de reprise en charge de M. et Mme C..., les autorités néerlandaises ont accepté le 27 juillet 2023 la reprise en charge des intéressés. Par deux arrêtés du 26 juillet 2023, le préfet de Seine-et-Marne a décidé leur transfert aux autorités néerlandaises. Il relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé ces deux arrêtés.
Sur le moyen retenu par le tribunal pour annuler les deux arrêtés du 26 juillet 2023 :
3. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
4. Pour annuler les arrêtés du 26 juillet 2023 décidant le transfert de
M. et Mme C... vers les Pays-Bas, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a retenu que les parents et le frère de M. C..., qu'il n'avait pas vus depuis quinze ans, vivaient régulièrement en France sous couvert du statut de réfugié pour les premiers, que le père de M. C... avait indiqué à l'audience les aider dans leurs démarches et que Mme C... était enceinte. Il ressort toutefois des pièces du dossier que
M. et Mme C... sont en couple et ne sont ainsi pas isolés, qu'ils sont hébergés pas une structure d'hébergement et d'accueil conventionnée par l'Office français de l'immigration et de l'intégration et qu'ils ont eux-mêmes indiqué ne pas avoir vu la famille de M. C... depuis quinze années avant leur entrée en France. Il ne ressort en outre d'aucune pièce du dossier qu'ils présenteraient une vulnérabilité particulière rendant nécessaire l'aide des parents de
M. C... ni que le soutien de M. C... auprès de son épouse, qui souffrirait de problèmes psychologiques, ne serait pas suffisant. Enfin, si Mme C... se prévalait également, en première instance, de ses problèmes psychologiques, elle n'établit ni même n'allègue qu'elle ne pourrait être suivie aux Pays-Bas. Dans ces conditions, le préfet de
Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a retenu qu'il aurait dû mettre en œuvre la clause discrétionnaire de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Toutefois, il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. et Mme C... devant le tribunal administratif à l'encontre de cet arrêté.
Sur les autres moyens soulevés par M. et Mme C... contre ces arrêtés :
6. En premier lieu, par un arrêté du 27 avril 2023 régulièrement publié, le préfet de
Seine-et-Marne a donné délégation à M. A... B..., chef du bureau de l'asile et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, les arrêtés portant décision de transfert d'un demandeur d'asile vers le territoire de l'Etat membre responsable de sa demande d'asile. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire des deux arrêtés contestés manque en fait.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5 (...) ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... ont chacun bénéficié, le 27 juin 2023, d'un entretien individuel au cours duquel ils étaient assistés d'un interprète en langue tamoul. Bien qu'ils aient tous deux signé le résumé de l'entretien et notamment la mention selon laquelle les renseignements qui y sont portés sont exacts, ils se prévalent de plusieurs omissions ou erreurs dont seraient entachés ces résumés, tenant notamment à l'absence de mention de la présence en France du père de M. C..., du statut de réfugié de ses parents, de ce que leur demande d'asile aurait été rejetée aux Pays-Bas, de leur statut de conjoint et non de concubins, de ce que M. C... aurait été torturé au Sri-Lanka et de ce que Mme C... aurait besoin de la présence de son conjoint et de la famille de ce dernier compte tenu de ses problèmes psychologiques. Alors que les résumés font état de la présence en France de plusieurs membres de la famille de M. C... et des problèmes psychologiques dont souffrirait
Mme C..., il ne ressort en tout état de cause pas des pièces du dossier qu'en l'absence des inexactitudes alléguées par les intéressés, la procédure aurait pu aboutir à un résultat différent. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 doit être écarté.
9. En troisième lieu, aux termes de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (...) / b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d'examen et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre (...) / d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre ".
10. Si M. et Mme C... soutiennent que les arrêtés contestés se fondent, à tort, sur le b du 1 de l'article 18 1 b du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, dès lors que leur demande d'asile aurait été rejetée par les autorités néerlandaises, ils n'apportent aucun élément au soutien de leurs allégations alors que les décisions des autorités néerlandaises du
27 juillet 2023 acceptant leur reprise en charge sont elles-mêmes fondées sur le b du 1 de l'article 18 de ce règlement.
11. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la même convention : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
12. Il ressort des pièces du dossier que M. et Mme C... sont entrés récemment en France et ne parlent pas le français. Si les parents et deux frères de M. C... vivent régulièrement en France, M. et Mme C... ont indiqué en première instance qu'ils ne les avaient pas vus depuis quinze années. Il ressort en outre des pièces du dossier qu'ils ne sont pas hébergés par leur famille et ils ne justifient pas du caractère indispensable de celle-ci à leurs côtés. Dans ces conditions, le préfet de Seine-et-Marne n'a pas porté une atteinte disproportionnée à leur vie privée et familiale en décidant leur transfert aux autorités néerlandaises pour l'examen de leur demande d'asile.
13. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".
14. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations. Dans ces conditions, M. et Mme C... ne peuvent utilement soutenir que les Pays-Bas seraient susceptibles de les renvoyer dans leur pays d'origine.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement, que le préfet de Seine-et-Marne est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun a annulé ses deux arrêtés du 26 juillet 2023 et lui a enjoint de délivrer à M. et Mme C... une attestation de demandeur d'asile.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2308490-2308492 du 4 octobre 2023 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Melun est annulé.
Article 2 : Les demandes de M. et Mme C... devant le tribunal administratif de Melun sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à
M. E... C... et Mme D... C....
Copie en sera transmise au préfet de Seine-et-Marne.
Délibéré après l'audience du 29 mars 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Bruston, présidente,
M. Mantz, premier conseiller,
Mme Saint-Macary, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.
La rapporteure,
M. SAINT-MACARY
La présidente,
S. BRUSTON
La greffière,
A. GASPARYAN
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23PA04319-23PA04320